D'ici et d'ailleurs : Vivre entre Alger et Alger

C’est très à la mode de vivre entre ailleurs et l’Algérie. Cela fait in, bourgeois, bien intello, et aux orties le terme émigration. On dit «je vis entre Alger et… ». Il faut expliquer que l’ailleurs c’est l’Europe. Les pays du bonheur à revendre, de la culture, des rencontres artistiques, des noctambules, de la liberté. On brocarde dans un snobisme infantile à vivre entre sa ville natale et l’autre ville d’adoption. Mais les cités brumeuses les ont-elles adoptées, ces personnes de la transhumance à l’emporte-pièce 'Ainsi Hassina, une grand’mère qui n’hésite pas à délaisser mari et foyer durant six longs mois pour aller vivre dans la région de Strasbourg. «Je vie entre là bas et ici», dit-elle avec fierté. Cet ancien parlementaire également a élu domicile en Italie. Il vit entre sa maison «deuxième position» et celle de Tipaza. L’épouse de ce monsieur se fait un plaisir de répéter sa chance à tourner le dos «au pays» pour aller de temps à autre respirer l’air de la péninsule adriatique. Itou pour ce grand monsieur à la retraite, universitaire à souhait qui se vante «d’avoir des enfants qui vivent là-bas» où il y va régulièrement tous les deux mois. Chaima une vieille femme illettrée, n’échappe pas à cette nouvelle mode du snobisme, et chante à qui veut l’entendre quand on lui demande pourquoi on la voit plus : «je vis entre Londres et Alger». Cet homme des médias montre sa satisfaction en disant «Ma sœur en …». On a l’impression que 15 millions d’Algériens vivent entre ces ailleurs mirobolants et leur pays d’origine. Un SDF, encore tout jeune, a mis son grain de sel au cours de la conversation et a déclaré : «il n’y a que moi qui vit entre Alger et Alger».