Le monde a vécu plusieurs épidémies et/ou pandémies qui ont provoqué des crises sanitaires, dont les conséquences sont peu ou prou dommageables pour les nations, aussi bien sur le plan humain que sur le plan économique et social. A ce titre, on peut citer entre autres les épidémies de la peste (notamment la peste noire), celles du choléra, l'épidémie de la grippe espagnole, celle du virus d'Ebola, la grippe A (H1NI), l'épidémie de dengue, celle de SRAS? ; ces terribles catastrophes sanitaires ont frappé irréversiblement le monde entier et fait des centaines de millions de victimes dans le monde au cours de l'histoire.De ce fait, le moins qu'on puisse dire, c'est que les épidémies et les pandémies sont une partie intégrante et prenante de l'histoire de l'humanité et il semblerait même que cela rentre dans le cours naturel des choses et obéit à une certaine harmonie, à un ordre biologique bien établi, et ce, nonobstant le fait que cela engendre bien entendu des victimes.
S'agissant du nouveau coronavirus, désigné sous l'acronyme anglais Covid-19 (Corona Virus Infectious Disease 2019), quelle que soit notre grille d'analyse, il faut savoir qu'au-delà des pertes en vies humaines qu'on déplore et que l'on peut guère négliger, toute crise sanitaire, notamment celle du Covid-19, comporte des effets avérés et/ou attendus sur la société et l'économie.
La spécificité de la pandémie de Covid-19 par rapport aux pandémies du passé, c'est que nous vivons dans un monde qui a beaucoup changé : il est devenu plus libéral, plus intégré, très normalisé, très incertain, plus pollué, avec la montée en puissance de l'hyper mondialisation, le développement des moyens modernes de transport, l'avènement de l'internet et du numérique, l'émergence de la société de l'information.
Tous ces facteurs et bien d'autres agiraient à double niveau : tout d'abord, ils faciliteraient la propagation du virus entre pays, stricto sensu, du fait notamment de l'essor du tourisme de masse et des voyages d'affaires ; ensuite, ils accentueraient et/ou aggraveraient les effets politiques, économiques, sociaux et culturels de la pandémie. Partant de là, notre contribution consiste à présenter quelques éléments d'analyse ayant trait aux principales leçons que l'on peut retenir pour l'économie mondiale, par rapport à la crise sanitaire actuelle du nouveau coronavirus
. Pour y répondre, six grands thèmes de réflexion seront successivement abordés dans notre contribution, à savoir la crise sanitaire induirait une crise économique conjoncturelle ; vers un autre modèle économique ' fragilité de la civilisation humaine et vulnérabilité des grands pays développés, «démondialisation», montée des nationalismes et relocalisations ' Les Technologies de l'information et de la communication (TIC) à la rescousse de l'économie mondiale ; qu'en est-il de l'Algérie '
1. La crise sanitaire induirait une crise économique conjoncturelle
Après plusieurs semaines de confinement en raison du coronavirus, l'économie mondiale en pâtit : chute libre de la croissance du Produit intérieur brut (PIB), montée du chômage, déficits budgétaires ; augmentation de la dette publique des Etats (déjà importante avant l'apparition du Covid-19), chute des valeurs boursières ; appareil productif en veille ; des pans entiers de l'économie sont touchés par des fermetures et des faillites d'entreprises, s'agissant notamment des PME, mais également des grandes structures, secteurs économiques à l'arrêt (transport aérien, tourisme, hôtellerie, restauration, industrie?) ; difficultés des entreprises, etc. Face à la crise, bon nombre de pays (les Etats-Unis, l'Europe?) ont lancé des programmes de soutien à l'économie.
A titre illustratif, on peut citer le cas de l'Allemagne qui a adopté un plan inédit de 1 milliards d'euros pour lutter contre les impacts économiques et sociaux de la crise du Covid-19. Par ailleurs, les cours du baril de pétrole plongent à leur plus bas niveau. A ce titre, le 20/04/2020, le prix du baril américain de pétrole West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en mai 2020 a atteint moins (?) 37,63 dollars, son plus bas niveau jamais atteint. Il faut savoir que le pétrole subit l'effondrement de la demande, dû aux mesures de confinement instaurées à cause de la crise sanitaire mondiale. Selon plusieurs observateurs, la consommation mondiale de pétrole dans le monde a baissé d'environ 20 millions de barils par jour. Parallèlement à cela, le marché a été inondé de pétrole à bas coût, du fait notamment que l'Arabie Saoudite ait lancé une guerre de prix avec la Russie pour maximiser ses parts de marché. En ce qui concerne la croissance économique, les dernières estimations de celle-ci révèlent un net recul comparativement aux prévisions d'avant la crise sanitaire. A titre d'exemple, on s'attend à une croissance de 2% en Chine cette année, alors que les prévisions de croissance chinoise étaient de 6%.
Pis encore, certains pays prévoient une récession économique en 2020, c'est-à-dire une baisse de leur croissance, à l'instar de la France avec un recul de 8% du PIB, ou des USA, dont le PIB a chuté de 4,8% au premier trimestre selon une estimation du département américain du commerce. Néanmoins, petit bémol, bon nombre d'économistes soutiennent l'hypothèse d'une reprise économique mondiale et pensent qu'on retrouverait éventuellement le chemin de la croissance au cours du second semestre 2021, dans la mesure où la crise du coronavirus est exogène au système capitaliste, contrairement par exemple à la crise financière mondiale de 2008 (la crise des subprimes) qui était un choc endogène au capitalisme contemporain, c'est-à-dire inhérente à son fonctionnement d'ensemble. En d'autres termes, pour le moment, la crise du Covid-19 n'aurait pas impacté l'économie réelle, ni l'économie financière d'ailleurs. Résultat : la crise du coronavirus induirait une crise économique conjoncturelle, car une fois les mesures de confinement sont levées et l'appareil productif est remis en marche, l'activité économique devrait normalement rebondir et retrouver les chemins de l'expansion.
2. Vers un autre modèle économique '
Le capitalisme et le libéralisme ont toujours privilégié l'individu au groupe, l'intérêt individuel à l'intérêt commun. En effet, cette crise sanitaire mondiale a montré, à juste titre, les limites du paradigme dominant où l'on fait passer la rentabilité et le profit devant le bien-être commun. Pendant des décennies, les entreprises et/ou les Etats ont dépensé des milliards de dollars dans des domaines inutiles, inappropriés d'un point de vue existentiel, mais ô combien rentables économiquement ! On a autorisé des surproductions budgétivores dans les consommations ostentatoires, la société de loisirs, le divertissement et l'économie du spectacle, les superflus, le trompe-?il ou l'illusion, etc. On a investi dans l'infiniment grand (la conquête de l'espace, de la lune, de mars), au détriment de l'infiniment petit (l'étude des bactéries et des virus).
On a consacré des dépenses faramineuses à l'armement, aux dépens de l'éducation, de la santé et de l'agriculture. On a édifié un système où les émoluments ou les revenus du praticien de la santé, de l'enseignant ou de l'agriculteur sont très dérisoires (dans certains cas au salaire minimum garanti), au moment où les hommes ou les femmes de spectacle, les sportifs, les rentiers? gagnent des fortunes chaque mois. Certains d'entre-deux sont devenus milliardaires. Les disparités de revenus ont atteint des niveaux invraisemblables. Ainsi, désormais, il va falloir adopter une autre philosophie de pensée, un autre modèle économique, un autre paradigme, en donnant une importance accrue à des domaines jusque-là marginalisés tels que l'éducation, l'université et la recherche, la santé, l'agriculture, l'environnement, l'économie verte, les énergies renouvelables, etc.
3. Fragilité de la civilisation humaine et vulnérabilité des grands pays développés
En dépit que la civilisation humaine ait atteint des sommets inimaginables et jamais inégalés dans les techniques et les sciences, il n'en reste pas moins que celle-ci demeure encore très fragile. En effet, pendant des années, on pense avoir plus ou moins «domestiqué» la mort, avec notamment l'augmentation de l'espérance de vie de la population et le développement de la médecine Or, avec la crise du Covid-19, on se rend compte avec désarroi et stupéfaction, que la plupart des pays ne parviennent pas, ou au mieux très difficilement, à assurer l'un des besoins les plus primaires de leurs citoyens, à savoir la sécurité sanitaire.
Parmi les enseignements de la crise du Covid-19, il convient de retenir, nous semble-t-il, la vulnérabilité ou l'impuissance de certains grands pays développés (notamment les USA, la France, l' Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni?) : hôpitaux à bout de souffle, dotation insuffisante en moyens ou kits de dépistage, manque ou indisponibilité des matériels médicaux (masques, bavettes, gants de protection, gels hydroalcooliques, respirateurs artificiels?), manque de certains produits de première nécessité, etc. Il faut noter que ces grandes puissances consacrent globalement une part assez appréciable de leur richesse nationale (PIB) aux dépenses de santé (11% du PIB de la France, 17,2% du PIB des USA en 2016). Mais néanmoins, face à la pandémie, l'efficacité de leurs politiques sanitaires se pose avec acuité. Pour les USA, leur politique sanitaire jugée trop libérale est mise à mal et leur système de santé a toujours été leur talon d'Achille. Ainsi, dans ce domaine, on peut considérer ces pays comme des colosses aux pieds d'argile.
Par conséquent, ils ont adopté une démarche très classique que d'aucuns considèrent moyenâgeuse, celle du confinement total, du fait notamment de l'insuffisance de leurs capacités de dépistage. En revanche, d'autres pays s'en sortent pas mal.
Il s'agit de pays, comme la Finlande, la Norvège, le Danemark, l'Allemagne, l'Autriche ou la Corée du Sud, qui ont, semble-t-il, mieux résisté à la crise sanitaire. A ce titre, l'exemple de l'Allemagne est frappant ; elle recense presque autant de personnes infectées que la France, mais déplore beaucoup moins de décès. En gros, ces pays sont bien classés selon l'Indice de développement humain (IDH), créé par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD).
Ils consacrent beaucoup de moyens à la santé. Avec la crise, ils en ont affecté davantage. Mais le succès de ces pays s'explique essentiellement par l'efficacité de leurs politiques de santé en termes notamment des objectifs définis, des choix et arbitrages économiques faits, etc. Dès lors, ces pays ont adopté une démarche moins orthodoxe, celle du dépistage massif, du port systématique de masques et du confinement partiel.
A suivre
Par Dr Ali Mokrane
Maître de conférences ?A-(HDR) à la faculté d'économie de Tizi Ouzou. Enseignant en génétique, cytogénétique, génétique de développement et génétique humaine.
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Posté Le : 20/05/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ali Mokrane
Source : www.elwatan.com