«Les hommes
n'acceptent le changement que dans la nécessité, et ils ne voient la nécessité que
dans la crise» Jean Monnet (1)
Utopie, c'est le
terme utilisé par de nombreux experts et observateurs pour qualifier le
processus référendaire engagé il y a quelques mois par l'un des pays européens
en difficultés. Il s'agissait pour le peuple islandais de répondre, d'abord, si
oui ou non, il accepterait de contribuer au dispositif de remboursement des
créanciers de la banque en faillite Icesave(2) soit
les banques anglaises et hollandaises. Il s'agissait pour le peuple islandais,
ensuite, de dire s'il serait prêt à assumer les conséquences d'une éventuelle
faillite du système bancaire national et la remise en cause de la signature de
l'État islandais.
Le peuple
islandais a exprimé son avis. Il a pris sa décision de façon on ne peut plus
claire. Le résultat du référendum était implacable et sans appel. Le citoyen
islandais, également contribuable, a catégoriquement refusé de supporter et
d'assumer les conséquences des erreurs et des bêtises commises par la banque
islandaise Icesave à l'internationale en toute complicité et complaisance avec
des instances publiques chargées normalement d'éviter ce genre de situation. Le
jugement populaire est tombé en contradiction totale avec l'avis du parlement
qui avait accepté, en majorité absolue, auparavant de rembourser les deux pays
concernés.
Il s'agit d'abord
d'un précédent historique et d'une première mondiale émanant d'un pays européen
et non tiers-mondiste concernant un aspect aussi important que la sécurité du
système bancaire et financier ainsi que la solvabilité de l'État in fine. Il
s'agit également d'un fait unique en son genre concernant le mode de décision
de refus ou de déclaration de faillite en ayant recours à la voie référendaire
et non à une décision gouvernementale ou législative où ces deux modes sont en
contradiction (contradiction entre le choix du peuple et celui des
représentants du peuple!!). Il s'agit enfin, fort probablement, du début d'une
série d'autres décisions populaires sur le vieux continent, et peut être même
ailleurs, concernant le fonctionnement du monde de la banque-finance et la
dette publique et les liens douteux qu'entretiennent la sphère politique et la
sphère banco-financière.
En effet,
auparavant, des pays en difficultés économiques et financières, principalement
tiers-mondistes, ayant vécu des situations aussi sombres que celle de
l'Islande, avaient évoqué la cessation de paiement et avaient même menacé de ne
plus payer leurs dettes publiques afin de presser et d'obliger leurs créanciers
à apporter aides et nouveaux financements pour les accompagner dans leurs
efforts et tentatives de redressement économique. Mais, souvent voire même
toujours, ces pays ont été menacés, de l'autre coté, par les clubs de
créanciers de représailles économiques et financières sévères et extrêmes s'ils
ne se mettaient pas à table pour négocier de nouveaux accords de
rééchelonnement de leur endettement. Ceci était souvent accompagné de mesures
économiques et sociales drastiques, très dures et
fortement impopulaires, voire même politiquement suicidaires, pour les
gouvernements en place. Nous pouvons citer à titre d'exemple le Mexique en
1994, l'Algérie(3) entre 1995 et 1998, certains pays
de l'Asie du Sud-est pendant la crise de 1997.
Dans les annales
contemporaines des relations économiques et financières internationales, aucun
pays européen classé comme non-tiers-mondistes n'a déclaré sa faillite en
refusant catégoriquement d'assumer les conditions de sécurité du système
bancaire et financier du pays ainsi que de rembourser ses dettes publiques et
privées. La Grèce
avait annoncé son intention de recourir au référendum pour l'approbation des
accords que le pays avait signés avec l'Union Européenne et les clubs des
créanciers afin de le sauver de la faillite et d'éviter la cessation de
paiement de ses dettes publiques. Mais, promptement, l'UE a réagi, par la voie
de la France
et de l'Allemagne, par ailleurs principaux créanciers de la Grèce, en ordonnant
de façon dictatoriale au gouvernement grec d'imposer au peuple l'accord et à
l'appliquer contre son gré, ou d'assumer les conséquences de leur sortie
définitive de l'UE. Nous connaissons tous la suite des évènements dans ce pays,
avec l'installation d'un nouveau gouvernement dit « technocrate » et imposé par
les clubs des créanciers. Les observateurs l'ont même qualifié de gouvernement
« Goldman Sachs » allusion aux poids des banques et des marchés financiers dans
l'imposition de ce gouvernement au peuple grec.
Ensuite,
l'Islande a fait appel à un mode de prise de décision incontestable et
fortement légitime, soit « le référendum populaire » malgré l'approbation du
parlement. Dans l'histoire des crises économiques du siècle dernier et de ces
dernières années, aucun pays n'a osé avoir recours à ce mode de prise de
décision concernant l'endettement. Il s'agit là de renvoyer les créanciers
institutionnels de l'État islandais à la masse populaire pour justifier leur
décision de ne pas honorer l'endettement de leur pays concernant Icesave. Il
s'agit également pour le pays de donner une réponse populaire aux
tout-puissants marchés financiers internationaux pour justifier leur refus
d'apporter aide et soutien à la banque en difficultés alors qu'auparavant, ce
genre de décision est pris par les organes exécutifs des pays. C'était le cas
lors de la crise mexicaine de 1994 et pour certaines institutions financières
lors de la crise asiatique de 1997. La voie référendaire n'a jamais été
utilisée pour ce genre de décision.
Les gouvernements
savaient pertinemment que ce genre de décision était impopulaire, populiste et
contre-productive. L'Islande, en procédant ainsi, a tout simplement rappelé au
monde entier les principes de la démocratie populaire et de la souveraineté des
citoyens comme source de pouvoir. Elle a également mis à mal et remis en cause,
non seulement, l'hégémonie des marchés sur l'économie internationale, mais
également démasqué l'allégeance des représentants du peuple aux rouages du
pouvoir. Même si le gouvernement en place n'a cessé de rappeler et de rassurer
les créanciers sur les intentions du gouvernement d'honorer ses engagements et
qu'il disposait de moyens pour le faire, ce référendum est un vrai cas à
méditer.
Enfin, l'ampleur
de la crise actuelle qui ne cesse de s'élargir, le poids de l'endettement
public dans les zones traditionnelles de forte croissance et de fort
endettement surtout en Europe et aux États-Unis, et la taille gigantesque et
sans précédent de la bulle des C.D.S(4) laissent
présager des décisions semblables de la part de certains pays affaiblis.
En effet, si cet
évènement islandais passe sans conséquences graves sur l'Islande, d'autres pays
suivront le même chemin. Les milliers de milliards de dollars américains de
dettes que détiennent les créanciers de l'Europe, des USA risquent de partir en
fumée sur simple référendum populaire de ces pays fortement imprégnés des
principes démocratiques et de liberté des peuples.
En effet, qui
oserait affronter les États-Unis d'Amérique pour les forcer à honorer leurs
engagements financiers si le peuple américain dit un jour « non » ?!!
D'ailleurs, une décision, fortement contestable à l'époque, a déjà été prise
par ce même pays en 1971, lorsque de façon unilatérale, le gouvernement
américain avait annoncé la suspension définitive de la convertibilité de sa
monnaie en or et son refus catégorique d'assurer à l'avenir cette convertibilité(5).
Par ailleurs, une
autre décision populaire pourrait bien être prise par LE PEUPLE, dans un pays
où la « LIBERTÉ » et les décisions « DÉMOCRATIQUES » sont sacralisées dans le
but de briser ces liens indéfectibles entre « POUVOIR POLITIQUE » et « POUVOIR
DES MARCHÉS ». Ceci pourrait, également, venir de l'un des pays européens en
difficultés surtout avec les délocalisations massives et l'installation durable
du chômage.
Malgré la
réussite politique des marchés en Grèce, en Italie et en Espagne en y
installant des gouvernements complices et complaisants à l'égard des banques et
des marchés financiers, malgré le recollage provisoire des liens douteux entre
ces deux sphères avec des coûts sociaux amers, d'autres pays moins faibles
pourraient se rebeller soudainement et initier un cercle infernal de reconquête
du pouvoir par les peuples furieux et affaiblis. L'Espagne, le Portugal ou la France pourrait bien en
être le premier domino-déclic !!!
Plusieurs aspects
récents à la fois logiques et objectifs appuient cette perspective, certes
sombre, mais pas totalement impossible :
Il s'agit d'abord
du relèvement historique du plafond d'endettement public aux États-Unis
d'Amérique à niveau sans précédent avec une dévaluation déguisée du dollar face
à certaines monnaies clefs de l'endettement mondial (Yuan, Euro, Yen, Franc
suisse, monnaies de l'Asie du Sud-est). Ceci est également accompagné d'une
fixation du taux d'intérêt directeur de la FED sur une période allant jusqu'à trois ans à
des niveaux jamais égalés et proches de zéro pour cent(6).
Si on considère, avec une simple hypothèse non loin de la réalité, que les taux
de croissance aux É-Unis d'Amérique resteront faibles pour cette même période,
et avoisinant également zéro pour cent eh bien, les fonds des créanciers
fonderont sous l'effet de l'inflation de façon extraordinaire !!!
Il s'agit,
ensuite, du déficit commercial de certains pays européens, traditionnellement
exportateurs comme la France
et l'Espagne. En effet, ces deux pays affichent des chiffres hallucinants en
termes de déficit commercial et de chômage. Ils sont également fortement
endettés par rapport à leurs Produits Intérieurs Bruts. Si, par ailleurs, cette
tendance de délocalisation, de désinvestissement et de désindustrialisation ne
s'arrête pas et se poursuit pour quelques années, les convictions politiques et
populaires se chargeront d'y mettre fin.
Les
présidentielles en France ont déjà affiché certaines de ces convictions et de
ces volontés notamment l'intention de l'un des candidats de renégocier tous les
accords de son pays tout en en déclarant publiquement et solennellement que son
ennemi n'était autre que le « le monde de la finance » et des marchés
financiers, donc(7). Il existe, également, des
mouvements populaires et sociaux qui bougent en Espagne dans le même sens de
l'indignation et de la volonté de récupérer les libertés populaires et de
briser les relations préjudiciables qu'entretiennent les politiques et les
financiers.
Il s'agit, enfin,
de ce retour massif des contestations populaires, non seulement dans plusieurs
pays dans l'hémisphère sud, mais aussi dans certains pays développés. Une prise
de conscience généralisée est en train de s'installer dans les populations
concernant notamment la gravité de la complicité et de la complaisance des
pouvoirs politiques avec les marchés financiers dont la voracité ne cesse de
grandir et d'engloutir de nouvelles richesses populaires en toute impunité
souvent et en toute illégalité parfois. On constate une forte organisation de
ces mouvements et l'émergence des partis politiques qui défendent ces idées
populaires notamment les partis d'extrême gauche, les partis des travailleurs,
les partis écologiques, les partis nationalistes et populistes ainsi que les
associations de lutte contre la domination des marchés financiers.
Ces trois
facteurs définissent l'avenir sombre des pays créanciers et détenteurs de
dettes publiques et les condamnent à accepter les conséquences d'une éventuelle
décision populaire légitime et incontestable de refuser d'assumer les
conséquences ou de payer les frais d'une gestion catastrophique des pouvoirs
politiques en place. Qui oserait aller demander au peuple français, espagnol ou
américain des comptes sur une telle décision référendaire souveraine ?
Examinons
maintenant l'autre face de la pièce et la situation des pays créanciers et
détenteurs de dette publique. Il s'agit de voir de près, pour ce qui nous concerne,
le cas de l'Algérie qui détient une partie de ces dettes souveraines et qui
risque de subir un jour les conséquences d'une telle décision.
Même si certains
économistes pensent que c'est totalement invraisemblable, cette hypothèse, ou
du moins une partie de cette hypothèse demeurerait envisageable, peu probable
qu'elle soit. Si pour le cas de l'Islande, les principaux pays concernés,
Angleterre et Hollande, disposent de moyens matériels et juridiques pour
récupérer leur dû et leurs créances dans ce pays voisin, quels seraient les
moyens dont dispose l'Algérie pour prétendre pouvoir récupérer ses fonds auprès
d'un pays comme les États-Unis d'Amérique ou la France ou même de l'Espagne
?
En effet,
officiellement, sur les 180 milliards de dollars de réserves de change dont
elle dispose, l'Algérie a placé entre quarante et soixante milliards de dollars
uniquement en bons de Trésor aux États-Unis d'Amérique, d'après les
déclarations des officiels algériens. Le reste étant utilisé dans divers
placements financiers totalement garantis et sans risques majeurs, toujours
selon les mêmes déclarations. Nous supposons que ces placements concernent des
actifs émis par des institutions étatiques et quasi étatiques dont le risque
est le plus faible sur les marchés, soit des bons de Trésors de différents
États et des titres de placements émis par les institutions financières
internationales quasi étatiques.
Alors quels sont,
actuellement, les États à même de rassurer les pouvoirs publics algériens et de
leur fournir des garanties suffisantes de stabilité politique, sociale,
économique et financière pour les convaincre de placer les 120-140 milliards
dollars restant ? Quels sont, actuellement, les actifs de risque zéro qui
pourraient avoir la bénédiction des responsables algériens ? Quels seraient,
donc les risques auxquels ses placements sont exposés et les éventuelles
répercussions sur l'Algérie si l'un de ces pays débiteurs agit comme l'a fait
l'Islande ?
* Économiste et
chercheur
Notes et
références:
1- Homme d'État
français, 1888-1979, dans Mémoires Éditions Fayard, 1976,
2- Le référendum
organisé le 9 avril 2011 a
vu une victoire du non avec plus de 60%, après le refus du Président de
ratifier la loi sur le remboursement de la dette de la banque Icesave.
3- L'accord de
stabilisation Stand-by et le Programme d'Ajustement Structurel P.A.S après la
«presque-cessation» de paiement en 1994.
4- Credit Default
Swap est la nouvelle bulle à risque que tous les observateurs craignent de voir
exploser. Elle pèse actuellement plus de quarante-cinq mille milliards dollars
U.S soit plus du double de la capitalisation boursière américaine.
5- Le 15 aout
1971, Richard Nixon, alors Président des U.S.A décida unilatéralement de
dévaluer le dollar américain et de suspendre sa convertibilité totale vis-à-vis
de l'or. Un véritable diktat subi même par les partenaires traditionnels des
U.S.A.
6- La taille
actuelle (au 30 septembre 2011) de la dette américaine est de 14980 milliards
dollars U.S soit 102% du PIB de 2010 selon les données du FMI.
7- Voir les
déclarations de François Hollande lors du discours d'investiture socialiste du
candidat aux présidentielles françaises.
8- Robert
Blondin, figure emblématique de la radio québécoise, auteur, animateur,
réalisateur et consultant reconnu également , dans 7 degrés de solitude ouest,
Éditions QUINZE, 1989.
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Posté Le : 23/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Zerouali Mostefa*
Source : www.lequotidien-oran.com