La Commission des
comptes de la Sécurité sociale vient de rendre public le déficit attendu de la
sécurité sociale française pour l'année 2009. 20.1 Mds d'euros de déficit
prévus (9 Mds... pour la santé et 7.7 Mds... pour la branche «vieillesse», 10.2
Mds... de déficit global pour l'année 2008). Le double de ce qui était prévu il
y a à peine 6 mois. On hésite entre le plus inquiétant : le niveau effrayant du
déficit ou l'incapacité à prévoir (à quelques mois à peine de distance) la
vitesse à laquelle il s'est creusé, avec ce que cela implique pour la fiabilité
du calcul économique et pour les anticipations qu'on peut en induire.
Redoutable incertitude !
Dans la foulée de
cette nouvelle, et le confort relatif dans lequel il s'imagine se trouver après
le résultat des élections européennes, le gouvernement avance des solutions
(toujours sous la forme d'hypothèses à négocier) qu'il n'aurait considéré qu'avec
une extrême prudence il y a tout juste quelques semaines : revoir le
financement des branches retraite et santé.
Les formules sont
toujours les mêmes axées vers une «maîtrise des dépenses». Pour la retraite,
Brice Hortefeux (ministre du Travail, à l'émission « Dimanche soir Politique»,
I-Télé-France Inter-Le Monde, D. 14 juin 2009) propose les options suivantes :
- Réduire les
pensions ;
- Allonger la
durée de cotisation (40 annuités pour toucher une retraite à taux plein depuis
1993 pour tous les travailleurs du secteur privé et depuis 2003 pour tous) ;
- Reporter l'âge
de départ à la retraite (fixé actuellement à 60 ans).
On sait par
ailleurs que l'entrée dans la vie active du fait des études est de plus en
tardive et les difficultés rencontrées par l'emploi des plus de 50 ans. En
sorte que toutes les options convergent vers une diminution réelle des
pensions, sous quelque angle que les options sont examinées. On songe au mot
d'esprit de H. Ford à propos du choix de la couleur de ses automobiles... Bien
sûr, il y a toujours la capitalisation. Mais dans l'état où se trouvent les
marchés financiers et quand on songe au sort qui fut celui des fonds de pension
dans les années trente...
Pour la branche
santé, M. Woerth (ministre du Budget) a déjà annoncé la semaine dernière qu'il
souhaitait s'attacher à «la lutte contre les abus», visant en particulier des
postes où les dépenses connaissent de fortes hausses, comme les indemnités
journalières (IJ) d'arrêt maladie.
Les réactions ont
fusé de toute part. Michel Chassang, président de la Confédération des
syndicats médicaux français, affirmait sur France Info que c'était plutôt d'un
manque de recettes que découlait le déficit de l'assurance maladie. «Tout le
monde sait qu'aujourd'hui le déficit de l'assurance maladie vient du fait de la
crise et du manque de recettes criant. Donc, ce n'est pas en tapant une
nouvelle fois sur les patients, sur les médecins et sur les dépenses qu'on va
équilibrer les comptes de l'assurance maladie».
Cette objection a
été reprise sous des termes différents par d'autres représentants syndicaux ou
politiques. Même la ministre de la Santé, Mme R. Bachelot, en convient : «Ce
dérapage de la Sécurité sociale n'est pas dû à un dérapage des dépenses mais à
un dérapage des recettes qui est lié à la crise».
Ces critiques ne
datent pas d'aujourd'hui, parce que le problème est récurrent. En effet, les
transferts des revenus collectifs aux revenus privés (aides aux entreprises,
baisse de la fiscalité directe et indirecte - on l'a vu avec la taxe
professionnelle et la TVA dans la restauration -, dispenses ou réduction de
cotisations patronales (1)...) représentent des sommes considérables depuis les
années 1980. C'est, en effet, bien de baisse de recettes dont souffrent les
budgets sociaux et non d'une incurie dans leur administration quelles que
soient les insuffisances effectivement constatées.
Ces transferts de
revenus n'ont produit aucun résultat remarquable en retour. France Telecoms,
privatisé, a ruiné ses comptes et ses actionnaires et mécontenté ses employés
et ses clients qui se plaignent régulièrement des conditions de leur travail et
de la qualité des services qui leur sont rendus. Les uns ont vendu leurs titres
et les autres ont changé d'opérateurs. Autre exemple : En GB et aux Etats-Unis
où sont pratiquées des politiques très libérales, les dépenses de santé par
habitant sont très élevées, mais la plupart des Britanniques et environ 46
millions d'Américains ne sont pas couverts ou bénéficient d'une santé
d'indigence, indigne du XXIème siècle. Ceci reste vrai même avec la récente
décision de B. Obama qui s'est démené pour trouver les 1.000 Mds$, nécessaires
l'extension de la couverture maladie à tous les Américains.
En France, les
décisions annoncées visent à continuer le démantèlement de l'économie sociale,
sous prétexte qu'elle gaspille des ressources, qu'elle coûte cher globalement à
la société et qu'elle serait mieux administrée et plus efficace entre des mains
privées ou gérée selon des grilles et normes empruntées à cette gestion
gouvernée par l'«égoïsme créatif». C'est d'ailleurs généralement ainsi que l'on
préparait (y compris sous des gouvernements socialistes - Rocard, Bérégovoy,
Fabius, Jospin) les entreprises publiques à la privatisation (2). Le débat
récent sur l'économie hospitalière tournait autour de ces problématiques.
La remise en
cause de l'économie sociale est, à l'évidence, doctrinale et polémique (pour
ainsi dire idéologique) et fait peu de cas d'une longue tradition historique en
la matière en France. C'est d'autant plus sot que l'économie publique fait la
prospérité des opérateurs privés à la recherche de clients solvables,
particulièrement précieux quand ils se font rares... De plus, qui s'opposerait
à l'idée d'user avec parcimonie, raison et bon sens - en une intendance
pointilleuse - du bien public, précisément en période de vaches maigres ? Et en
rendre compte exactement à la nation, sous l'observation, voire l'audit
rigoureux, d'organismes indépendants. L'actuelle Cour des Comptes, par exemple,
s'acquitte fort bien de cette mission dont on devrait plus largement vulgariser
les travaux et les comptes rendus !
La plupart des
observateurs voient bien que dans « économie sociale de marché», il y a bien
peu de social et beaucoup trop de marché. Et pour cause : le prédicat «social»
a de tout temps été frappé d'une débilité constitutive qui l'assimile à
l'économie de la charité accusée de consommer ce qu'elle ne consent pas à
produire.
Tout se passe
comme si l'on continuait à piloter le pays (et cela est vrai dans beaucoup de
pays d'Europe) selon des prescriptions libérales obsolètes, sans s'apercevoir
que la crise qui menace d'emporter l'économie mondiale démontre que les bases
idéologiques sur lesquelles il est arrivé au pouvoir ne sont plus d'actualité.
Entre les discours de campagne et l'exercice du pouvoir, un séisme est passé
qui a pris à contre-pied les architectes et les think tank.
Très peu porté à
l'autocritique, formaté dans cette conception de la société et de l'économie et
ayant été élu sous ce label, l'exécutif actuel continue - par inertie ? - à
mettre en oeuvre une politique qui aboutira à aggraver les effets de la crise
au lieu de les atténuer. Le langage parfois emprunté aux registres de
l'opposition reste de l'ordre de la rhétorique et de la compétition électorale.
Et dans ce domaine, des records ont été battus.
Mordicus, les
libéraux continuent de pratiquer leur politique. Avec cette précision : on a
trop tendance à « tout mettre sur le dos» des conservateurs aujourd'hui aux
affaires (en particulier en France et en Allemagne).
La défense d'un
supposé « modèle social français» paraît totalement surréaliste si l'on oublie
les profondes transformations qu'il a connues au cours de ces trente dernières
années. Il en est de même du «modèle rhénan» qui a subi le choc des décisions
de la période Schröder.
C'est sous cet
angle qu'il conviendrait d'interpréter la « politique d'ouverture» de N.
Sarkozy et le gouvernement d'union nationale pratiqué outre-Rhin entre SPD et
CDU. Toute la question est de savoir jusqu'à quand tiendrait un tel alliage qui
commence à montrer ses limites à Berlin.
Le gouvernement
français fait face, lui, quoi qu'on pense à deux obstacles majeurs : l'audience
décrédibilisée des contre-pouvoirs locaux (politiques et syndicaux) et
l'obligation dans laquelle il se trouve (à moins d'un changement de stratégie
inconcevable pour l'instant) à chercher des solutions à l'échelle d'une Union
européenne hétéroclite sur les plans économique et politique, trop vite élargie
et insuffisamment approfondie.
A l'échelle du
monde, malgré les alertes, les prévisions préoccupantes et les pétitions
réitérées sur la nécessité d'une re-régulation économique et financière, les
Etats et les institutions internationales restent sans moyens d'action et
surtout sans volonté réelle de s'en pourvoir : le cap demeure, vers un féroce
«chacun pour soi» dans chaque nation et un «sauve-qui-peut» belligène entre
chacune d'elle, avec en toile de fond une dette astronomique dont on redoute
l'éclatement stagflationniste cataclysmique qui emportera tout le monde, y
compris ceux qui présumaient prudent de décider de ne pas décider.
«Je le dis en
pesant mes mots :
Ou nous aurons la
raison ou nous aurons la révolte.
Ou nous aurons la
justice ou nous aurons la violence.
Ou nous aurons
des protections raisonnables ou nous aurons le protectionnisme.»
Nicolas Sarkozy,
OIT, Genève, le 15 juin 2009.
98ème session de
la Conférence Internationale du Travail
NOTES:
(1) Les
allègements de cotisations patronales représentent plus de 20 milliards d'euros
par an (soit l'équivalent du déficit prévu cette année), un manque à gagner
pour la Sécurité sociale que l'Etat devrait compenser.
(2) Dans le
rapport Jean-Philippe Cotis (directeur de l'INSEE) au président de la
République le 13 mai dernier, on a repris abondamment l'information selon
laquelle le partage de la valeur ajoutée (Salaires/EBE) était resté globalement
constant du début des années 1990 à nos jours, soit 68/32. Cette information
est exacte. On oublie juste de préciser que tout s'était joué au cours des
années 1980, d'abord sous gouvernement socialiste dès juillet 1983 (avec les
«visiteurs du soir») et cela s'était accéléré sous la première période de
cohabitation (1986/88) et sous le second septennat de Mitterrand (1988/1995).
Le partage était passé alors du ratio 77/23 environ à celui que l'on connaît
aujourd'hui. Entre-temps 10 points de valeur ajoutée ont changé de poche. CQFD.
Jean-Philippe Cotis (2009) : Partage de la valeur ajoutée, partage des profits
et écarts de rémunérations en France, INSEE, 90 p.
Posté Le : 18/06/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdelhak Benelhadj
Source : www.lequotidien-oran.com