Livres
Le serment d'Oujda. Roman de Mansour Kedidir. Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2023, 350 pages, 1.500 DA
L'auteur fait dire à un de ses personnages-clés : «Dieu n'a pas créé uniquement le diable et l'ange, il a créé aussi notre frère Laassel qui unit les deux» (p 196). Laassel, le personnage central du roman, a réussi ses études (secondaires), son militantisme lors de la guerre de libération nationale et son intégration auprès des plus hauts rangs du commandement militaire de l'époque, auprès desquels il a compris et perfectionné son art de manipuler les idées et les hommes, tout en jouissant pleinement des facilités offertes par la vie alentour. Sa seule obsession était le pouvoir, «il ne l'aimait pas seulement. Il le vénérait. Plus qu'un sacerdoce, il en avait fait une mystique». Une mystique entretenue dès le jeune âge par un père (un vendeur ambulant devenu Mokkadem de zaouïa), puis par une mère poule, puis par des chouyoukhs de zaouiates. Bien que fainéant, il avait sa propre définition du génie (qu'il était ou qu'il voulait être sans partage) : mobiliser le mal, tout le mal, le mensonge, la perfidie et même le meurtre pour construire ce qu'il voulait comme le bien. Il ne faisait pas de différence entre le licite et l'illicite, le moral et l'immoral..., tout se mesurant à l'aune de sa personne, son ego et son pouvoir... «Crime et Châtiment» revisité !
Une philosophie (') de vie qui l'amena au sommet du pouvoir politique du pays : conseiller du Chef de l'Etat et très proche du commandement militaire, ministre, puis... Chef de l'Etat. Il avait seulement oublié, en cours de route, ce qu'un jour, un de ses cheikhs conseillers lui avait dit : «Prends garde aux succès momentanés qui te griseront; ce ne sont que des mirages qui te feront oublier la promesse faite aux humiliés et aux pauvres. Si tu t'écartes de la voie de Sa vérité, tu connaîtras une fin malheureuse tragique, ta mort sera alors lente et atroce». Ainsi fut-il !
Tout ceci raconté avec, en accompagnement, une histoire d'amour de jeunesse (qui aurait pu être très belle). Quand il s'en est souvenu, il était trop tard !
L'Auteur : Natif de Mécheria, énarque, sciences politiques, ancien juge d'instruction, procureur général (Tizi Ouzou) et chef de cabinet à la chefferie du gouvernement (gouvernement Benflis Ali). Auteur de plusieurs romans... ainsi que d'un essai sur «l'Armée algérienne dans la lutte contre le terrorisme» (en 2012 aux Editions universitaires européennes). Ancien chercheur au Crasc. Enseignant chercheur à l'Ecole supérieure d'économie d'Oran.
Extraits : «J'ai prié devant la tombe (note : d'un cheikh de zaouïa) pour être le plus intelligent des hommes, le plus malin et le plus perspicace, et jamais le fils d'une femme ne pourrait me jouer un sale tour» (Le personnage : p 52), «Tu as vu comment ils m'ont rabaissé à cause de ma taille ' Mais ils oublient que Dieu m'a donné une autre qualité : un cerveau» (Le personnage : p 78), «Le renseignement est le sang qui fait fonctionner tous les organes de la Révolution. S'il s'arrête, notre élan s'éteindra» (Un personnage : p 97), «L'indépendance ne va plus tarder (...). Certains se préparent pour accaparer le pouvoir. Chacun aiguise ses armes (...). Les immaculés tomberaient les premiers, seules les hyènes survivront» (Un personnage : p 115), «Un journaliste français disait de lui que chaque mot qu'il prononçait en cachait un autre. En plus de cette capacité, il avait le don de la réversibilité. Il ne tarda pas à mettre en pratique sa stratégie» (p 183), «Entouré de belles fleurs, tout homme qui a connu durant des années de guerre la privation et les souffrances voudrait oublier ce qu'il a laissé derrière lui... Un jour, il inventera une autre histoire de son passé» (p 227).
Avis : De l'histoire fiction... qui cache l'histoire (naissance, jeunesse, militantisme, calculs politiques...) d'un homme, cultivant des complexes multiples et malade de pouvoir et d'un pouvoir malade de ses hommes.
Citations : «Dans une révolution, il n'y a de place ni pour les sentiments ni pour la morale; vous devez être tout le temps sur le qui-vive, exploitez le maximum de vos capacités destructrices et ne vous fiez à personne. L'arme que vous portez ne suffit pas, c'est de votre intelligence et votre ruse que vous aurez besoin; en somme, suivez votre instinct de survie» (Un personnage : p 90), «Un chef ne doit jamais se précipiter (...), ce sont les autres, les subordonnés et de simples gens qui se hâtent pour une raison quelconque» (Un personnage : p 93), «Sans le souk, l'Arabe ressemblerait à l'Européen, un homme sans âme qui court derrière le temps» (p 145), «On ne tue pas forcément parce que ce sont nos ennemis. Ils nous ont tellement écrasés que l'acte de tuer est devenu le seul moyen de se reconnaître, de s'identifier» (p 171)
La nuit la plus longue. Roman de Mansour Kedidir. Apic Editions, Alger 2015, 372 pages, 950 dinars (Fiche de lecture déjà publiée). Pour rappel, extraits. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/ vie politique /bibliothèque d'almanach.
Un roman noir. Un roman décrivant un gros village perdu de l'intérieur du pays, partagé entre une modernité qui tarde à venir ou qui n'arrive pas à s'imposer et un conservatisme rurbain têtu. Un village abandonné à son sort, «oublié de Dieu» Aïn Dib, avec ses chacals humains et ses chiens errants... : misère et pauvreté, gestion locale, administrative et sécuritaire, despotique, scolarité non généralisée et programmes scolaires obsolètes ou inadaptés, discours religieux extrémistes, discours politiques démagogiques et trompeurs...
Le bout du monde pour Salman, le prof («gauchiste» et aux «opinions politiques douteuses») de lettres dans un lycée de la capitale, «muté» à la fin des années 80-début des années 90, en tant que directeur d'un collège.
La culture «islamiste» (importée) puis l'islamisme actif, puis le terrorisme islamiste vont peu à peu apparaître, se développer puis régner sur la région, bouleversant brutalement et sauvagement (faux barrages, cadavres piégés, enlèvements, égorgement et viols à l'appui) la vie d'une société déjà lourdement éprouvée par la pauvreté et les dépassements de la gouvernance locale. Les anciens «damnés du village» font régner la terreur puisant les éléments de leur haine dans les profondeurs d'un passé mythifié, dans une foi aveugle, indiscutée et non négociable, et dans la vengeance à l'endroit des «nantis».
Extrait : «Le sujet (de la fonction et de la place de la religion dans notre société) est très délicat, il ne faut pas l'aborder publiquement, parce qu'en le faisant, on provoquerait les passions et les haines. Personne ne permettra de critiquer la religion ! Pour le commun des mortels, la moindre observation à l'endroit de l'islam, aussi pertinente soit-elle, est considérée comme une offense à Dieu» (p 219).
Avis : Un roman sur la «tragédie nationale» (décennie rouge) et une «analyse» de l'islamisme extrémiste.
Citations : (...), «Depuis l'origine de l'humanité, le cimetière était devenu le premier lieu où les hommes ont appris à se rassembler...
Mais les services de sécurité voyaient le cimetière comme le meilleur champ pour reconnaître le troupeau, identifier, déceler les rapports, examiner de loin les têtes et mesurer la gravité des égarés» (p 53), «L'islam était la seule religion dans laquelle tout le monde trouve son compte. Le despote justifie ses déviations et la plèbe y trouve un moyen pour se révolter. C'est cette ambivalence qui a malheureusement prévalu au Maghreb... Le Kharidjite y trouva des adeptes les plus virulents» (p 172), «Pourquoi, Dieu, les gens ont-ils oublié aussi facilement cette expression «je t'aime», expression simple qui cicatrise les blessures et efface la douleur» (p 236)
PS : -Ouvrage paru récemment en Algérie édité en trois langues (tamazight, français, arabe). N° spécial de la Revue de la Faculté des Lettres et des Langues de l'Université de Béjaïa. Actes du Colloque national sur Idir (25, 26 et 27 octobre 2022) : «Idir : au-delà d'une voix, une ?uvre d'art». Une douzaine d'articles et d'études scientifiques (consultables sur le Net). Une source documentaire pour les étudiants et les chercheurs intéressés par le domaine artistique, particulièrement par le chant amazigh qui relève du patrimoine culturel immatériel.
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Posté Le : 24/08/2023
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Belkacem Ahcene Djaballah
Source : www.lequotidien-oran.com