Algérie - Ben Azouz

Crime contre la nature à Skikda : Une zone humide d'importance internationale mise à sec



Crime contre la nature à Skikda : Une zone humide d'importance internationale mise à sec
En 2001 la zone humide de Guerbès-Sanhaja, à l’est de Skikda est classée dans la convention de Ramsar* comme étant «une zone humide d’importance internationale».

Le 20 juillet 2006, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le Fonds mondial pour la nature (WWF) lui accordent une attention particulière en lui allouant 230 000 dollars pour appuyer financièrement les efforts de la direction générale des forêts et mener à bien un plan de gestion intégré devant permettre sa préservation. Entre temps, cela n’empêchera pas la poursuite de l’hémorragie dévastatrice qui mine la zone et qui risque, aujourd’hui, d’emporter 14% de la biodiversité du nord du pays contenus dans ce périmètre.Sujette à une extraction hallucinante de sable, au défrichement et au pompage intensif de ses eaux, la zone de Guerbès se meurt. Mais comment identifier ces crimes ? Comment cerner le mal qui ronge une superficie de plus de 42 000 hectares ?

Pour Belkacem, Boudjemaâ, Saâd et El Haj Hacène, le plus vieux, la question ne se pose même pas. Ils connaissent la région comme leurs poches et, simultanément, ils nous promettent déjà bien de «mauvaises surprises». Le périple de tous les gâchis est alors entamé.Première escale : Garaât Lemsaoussa. C’est l’un des 14 marais qui composent le complexe de la zone humide Guerbès-Sanhaja. L’un des plus importants aussi car il renferme une aulnaie largement mentionnée dans divers travaux scientifiques comme étant «l’une des dernières stations conservées d’une végétation euro-sibérienne très rare en Afrique du Nord».

On pompe en plein jour !

El Haj Hacène, un ancien moudjahid, conduit nerveusement pour quitter Ben Azzouz et pénétrer, vers le nord, dans le cœur même de la zone humide. Nerveusement toujours, il arrête sa fourgonnette devant Lemssaoussa et entame un long réquisitoire : «L’accès à ce marais est très difficile et c’est la raison qui a fait de ces lieux une zone de transit durant la guerre de Libération pour tous ceux qui devaient rejoindre les frontières de l’Est. Ici se sont abrités Kafi, Boubnider, Benaouda, Boussouf et d’autres encore. Malheureusement, aujourd’hui on ne respecte rien, ni la mémoire ni la nature. Regardez autour de vous, regardez ce qui se passe...» Le contraste est cinglant. En face le vert intense du marais s’engouffre interminablement dans une végétation luxuriante ; juste à côté, des pompes, des remorques pleines à craquer de pastèques, des tonneaux d’essence qui fuient et des drains.

Des dizaines et des dizaines de mètres de drains qui prennent racine dans les eaux du marais puis, dans une indémêlable toile d’araignée, vont arroser des centaines de carrés de pastèques, plus loin, en amont. Le gâchis est à son summum en cette journée caniculaire de juillet. Les «pilleurs» d’eau, soucieux d’intensifier le débit, installent, en toute quiétude, des pompes. Ici, on ne s’en cache pas. On pompe en plein jour et, pour éviter toute rupture de carburant, on se permet même de ramener des fûts entiers de gasoil qui jalonnent les routes longeant plusieurs marais.

Pourquoi tant de massacre ? L’un des «pilleurs» rétorque machinalement : «Je vis de ces cultures et ici on n’a pas d’eau pour irriguer. Donnez-moi de l’eau et je ne toucherai plus jamais ces marais.» C’est l’archétype de l’argumentaire avancé par tous ceux qui nuisent à leur propre région.Pour Saâd, natif de Ben Azzouz et grand connaisseur de l’agriculture locale, l’excuse avancée par les «pilleurs» tient la route. Il explique : «Ils ont raison quelque part. C’est une région agricole par excellence. Ici la surface agricole utile occupe 47,4% de la superficie totale de la zone. Ben Azzouz est aussi classée en pole position au niveau national en matière de production de tomate industrielle. On a promis, il y a plus de 5 ans, un périmètre irrigué à partir du barrage de Zit Mba mais à ce jour, rien n’a été fait. Ne trouvant pas d’eau pour leurs cultures spéculatives, les agriculteurs ont trouvé dans les marais une source intarissable.».

Une source estimée à 40 millions de mètres cubes que se disputent la pastèque et la tomate industrielle.
Plus grave encore, au moment où l’on pompe l’eau de la zone, on y déverse quotidiennement près de 11 000 m³ d’eaux usées ! Navrant ? Pas encore, surtout quand nos guides nous lancent en pleine figure : «Vous n’avez encore rien vu !»

La saignée du défrichement

Belkacem, retraité, prend le relais. Sans dire un mot, il nous conduit vers le lieudit El Djebbara, plus au nord. Une fois arrivés, il arrête son véhicule et nous demande de le suivre sans se faire trop remarquer. On assiste alors à une opération de défrichement en live ! La personne qui à l’œuvre a pris soin d’ouvrir une piste, de délimiter «son» périmètre sur des terres forestières et d’entamer le défrichement. Le tout sans être inquiété… Saâd, qui en a vu d’autres, vient en rajouter à l’étonnement ambiant : «A Zouarâ, à l’est, la situation est pire encore puisque plus de 70 ha des terres ont été défrichées cette saison. C’est pratiquement le même topo à Lekhlalba, Oum Laaroug…»

On estime aujourd’hui le nombre des cultivateurs de pastèque à près de 2000 sur les 3600 agriculteurs que compte la daïra de Ben Azzouz. La moitié d’entre eux procède, annuellement, à des défrichements. Les répercussions sur le biotope de la zone sont perceptibles à l’œil nu. Vue du ciel, la zone est comme balafrée par des centaines de carrés de pastèques et autant de carrés dénudés de toute végétation. Saâd continue ses explications : «Ce qui est grave, c’est que les terres défrichées cette saison seront totalement abandonnées l’année prochaine et l’année d’après. Les cultivateurs estiment que les meilleures pastèques sont produites sur des terres en friche. Ils ne cultivent jamais le même périmètre deux années de suite. Jamais ! Il leur faut à chaque saison dénicher de nouvelles parcelles pour les défricher et ainsi de suite…»

Un véritable carrousel destructeur. Une hémorragie qui n’en finit plus et dont les répercussions sont significative : plus de 42% des terres de la zone humide sont affectées par un grave phénomène d’érosion éolienne. A cela s’ajoute le danger, au quotidien, du pâturage extensif de plus de 50 000 bovins et ovins. Belkacem reprend les commandes et nous invite à découvrir un autre crime. L’un des plus hideux commis contre la zone humide : l’extraction de sable. Direction Tacht Achour, un hameau cloisonné entre les communes de Ben Azzouz et Djendel, à l’extrême ouest de la zone humide. La piste qui y mène à partir d’une bifurcation fantôme est bordée par une interminable allée de pins centenaires. Le paysage est féerique, ce qui encourage Belkacem à en rajouter : «Cette ferme à gauche accueillait, dans les années 1970, la famille royale de Belgique qui y séjournait pendant les vacances. Ici, c’était un paradis sur terre avant que les marchands de sable ne viennent tout détruire.»Le sable. Ce grain magique qui devait former le rempart de la zone humide allait finalement causer sa propre ruine.

Le sable de tous les crimes

Dix sablières activaient impunément durant plus de huit ans dans le périmètre. Des millions de tonnes de sable ont été «officiellement volées» et des dunes entières décimées. «Nous y voilà… regardez le résultat !»
Nous sommes à l’entrée de la plus importante sablière qui était gérée par un baron qui savait «arroser» les petits et les grands responsables. Boudjemaâ, un habitant des lieux, se joint à nous. Le paysage semble un espace lunaire qui s’étend sur plus de 100 ha totalement désertiques. Pourtant, une voix officielle a tenu à nous rassurer, avant notre déplacement, que l’exploitant «avait planté de grands espaces».

Sur place, point de plants. Seuls quelques mimosas tentent de pousser dans ce désert. «La sablière a cessé l’extraction en 2009. Son exploitant n’a cependant jamais été inquiété pour la remise en état des lieux. Après avoir emporté des dunes entières, il a continué son massacre en piochant dans les fonds», explique notre guide en nous faisant visiter des canyons de 10 mètres de profondeur sur près d’un kilomètre de longueur. L’espace, où rien ne pousse aujourd’hui est parsemé de dizaines de monticules de gravats et de décombres. «Ces déchets solides ont été apportés par l’exploitant pour faciliter la circulation aux camions qui infestaient la sablière. Il a emporté le sable et a laissé derrière lui une décharge», ajoute Boudjemaâ, qui insiste pour nous montrer le bouquet final : une immense dune de plus de 30 m de hauteur, située à la limite de la sablière, a été à moitié «volée».

Dénudée, elle s’est retrouvée à la merci des vents marins et ne tardera pas à léguer son sable qui avance dangereusement vers les champs avoisinants. «Moi je vous dis, d’ici l’été prochain, toutes ces terres agricoles disparaîtront sous le sable», estime Boudjemaâ.
Même constat de désolation dans d’autres lieux qui servaient de sablières comme à Mzaj Stah, au nord de Ben Azzouz. «On a donné ces terres à un exploitant qui prétextait la construction d’une verrerie. Il a emporté le sable et point de verre. En 2009, on s’est rassemblés pour lui interdire l’accès. Il a osé porter plainte contre nous pour entrave», raconte le vieux Hacène. L’administration, comme pour se donner bonne conscience, s’est contentée de planter un panneau pour rappeler que les lieux font partie d’une zone protégée.

A quelques dizaines de mètres de ce panneau, les engins d’extraction, pourtant à l’arrêt depuis, sont encore là comme s’ils guettaient le moindre fléchissement de l’administration pour reprendre le massacre. «Jamais ! Nous avons juré que ce terres ne seront plus jamais souillées par les marchands de sable», jure sévèrement le vieux Hacène. Et, à voir ses yeux, on ne peut que le croire.



Note :

*Traité intergouvernemental sur les zones humides, adopté dans la ville iranienne de Ramsar, en 1971, et entré en vigueur en 1975

Khider Ouahab


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