Algérie

Coup d'Etat du 19 juin 1965 : aux fondements du «système»



Coup d'Etat du 19 juin 1965 : aux fondements du «système»
Que s'est-il passé de 1962 à 2017 ' El Watan Magazine propose de regarder dans le rétroviseur pour tenter de comprendre l'Algérie actuelle. Plongée dans le pays aux premières heures de l'indépendance.Jeudi 18 juin 1965. Le président Ahmed Ben Bella apparaît serein dans la tribune officielle du stade d'Oran admirant le jeu des légendaires Pelé, Garrincha, Djalma Santos et leurs coéquipiers. Dans sa tournée préparatoire pour la Coupe du monde, l'équipe de Vicente Féola a fait une escale en Algérie pour y affronter l'équipe nationale d'abord le 18 juin à Oran puis pour un match retour à Alger le 20 juin.
Le président, qui avait été, dans une précédente vie, footballeur professionnel- le seul ayant accédé à la magistrature suprême- y savoure ses derniers instants de liberté. Ce jour-là, les Brésiliens l'emportent par trois buts à zéro. Mais un autre match, autrement plus décisif, se joue dans les coulisses du pouvoir.
Malgré les rumeurs de mésentente avec son ministre de la Défense, le président de la toute jeune République algérienne démocratique et populaire tente d'y faire bonne figure, arborant le sourire franc qui avait tant séduit une partie du peuple algérien aux premières heures de l'indépendance. Il sait que sa popularité est en baisse et que son autorité est contestée au sein même du pouvoir. Devant la presse nationale et étrangère présente ce 18 juin 1965, il martèle que la direction du FLN est «plus unie que jamais».
Lui qui avait déjà rompu avec ses anciens compagnons d'armes, Mohammed Khider, Boudiaf, Aït Ahmed, Krim Belkacem, Ferhat Abbas, s'échine à réduire l'influence du groupe qui l'avait mis au pouvoir, en commençant par Kaid Ahmed, ancien ministre du Tourisme et Abdelaziz Bouteflika, fringant ministre des Affaires étrangères?
C'est que le président ne fait pas dans la dentelle. Son ton emporté et ses décisions brutales et non concertés agacent en haut lieu. Son style improvisé («un gouvernement de la tribune et du micro», selon l'expression de Jean Lacouture) ne fait pas l'unanimité.
Mais en ce mois de juin, il était surtout concentré sur le sommet afro-asiatique qui devait s'ouvrir le 29 juin à Alger et dans lequel il peaufinerait son image de leader du Tiers-Monde ainsi que du 10e Festival mondial de la jeunesse dont il confia le soin à une commission présidée par Mohamed Boudia. Quelques heures après être rentré à Alger ce 18 juin, Ahmed Ben Bella est réveillé aux aurores à sa résidence de la villa Joly par des soldats venus l'arrêter pour «haute trahison».
Ce fut ce qu'on appelle un «coup d'Etat réussi», sans effusion de sang (hormis quelques incidents du côté de Annaba). Rachid Benyelles raconte dans ses mémoires (Les arcanes du pouvoir, éditions Barzakh) : «En apprenant ce qui allait se produire dans la nuit, je n'étais certes pas surpris, puisque qu'il était de notoriété publique que le torchon brûlait, depuis quelque temps déjà, entre Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène, mais de là à participer directement à un coup de force, c'était un pas que je ne pensais pas franchir un jour.
Pas la moindre démonstration de soutien au président déchu n'a eu lieu dans les quartiers populaires de Bab El Oued et de la Basse-Casbah qui étaient sous ma responsabilité. Il en était de même dans les autres quartiers de la capitale ainsi que dans les autres villes du pays, à l'exception de Annaba où un petit groupe de manifestants s'était heurté à des militaires qui, pris de panique, avaient fait usage de leurs armes, causant ainsi la mort d'une dizaine d'adolescents.»
Boumediène, grâce à l'aide duquel, trois ans plus tôt, il a pris le dessus sur ses rivaux de la direction du FLN, fait publier un communiqué-programme pour expliquer les raisons du coup d'Etat. Un réquisitoire en règle contre le pouvoir personnel du «tyran» accusé tour à tour de «calculs sordides», de «narcissisme politique» et d'«amour morbide du pouvoir».
«Quelle que soit l'importance de sa mission, poursuit le communiqué, nul ne peut prétendre incarner seul à la fois l'Algérie, la révolution et le socialisme. Quelle que soit la forme que peut prendre la confusion des pouvoirs, elle ne peut permettre de disposer du pays et des affaires publiques dont on a la garde comme d'une propriété personnelle et privée.» Le communiqué assure que les options fondamentales de l'Algérie sont «irréversibles» et les «acquis de la révolution inaliénables».
Les soutiens et les amis de Ben Bella retourneront très vite leur veste, acceptant de collaborer avec le nouveau régime. Dans son ouvrage Présidents algériens à l'épreuve du pouvoir, Badredine El Mili, qui était alors dans les rangs de l'Union nationale des étudiants algériens (UNEA), raconte : «Le comité directeur de l'union, réuni en urgence, décida d'une manifestation immédiate qui rassembla devant le Cercle Taleb Abderrahmane des centaines d'étudiants contrés par les CNS qui la démantelèrent, procédant à de nombreuses arrestations.
Le mouvement se disloqua, ses dirigeants furent dispersés, internés, exilés, ou contraints à la clandestinité.» Quelques mois, plus tard, les étudiants furent réunis à la salle Atlas par le nouveau pouvoir intéressé à recruter les cadres de cet Etat «révolutionnaire» appelé «à survivre aux événements et aux hommes» qu'il proclama le 19 juin 1965.
Chahuté par une salle surchauffée, le colonel Mohand Oul Hadj ne put prendre la parole pour faire passer le message de Houari Boumediène, président du conseil de la Révolution. Un jeune homme surgit alors de derrière l'estrade, s'empara du micro et harangua l'assistance. Il avait pour nom Abdelaziz Bouteflika. «Nous avons, dit-il, déserté, en 1956, les bancs et les travées des lycées et de l'université pour vous permettre d'étudier dans le confort de la liberté.
A votre tour de montrer que vous êtes responsables et que vous voulez prendre le relais. Alors, si vous êtes prêts au dialogue, dialoguons !» «Un silence, dont personne ne savait de quoi il allait accoucher, plana, de longues minutes, au- dessus de la salle.
Puis, un, deux, vingt, cent applaudissements. Les étudiants avaient décidé de coopérer avec le nouveau régime. L'ère du romantisme révolutionnaire venait de prendre fin.» Ce pronunciamiento est l'un des éléments fondateurs du «système actuel».
Pour se prémunir d'un sort similaire à celui de son prédécesseur, Houari Boumediène conserve le poste de ministre de la Défense et crée le Conseil de la Révolution. Il incarne ainsi un nouveau pouvoir militaire, nationaliste, intransigeant et autoritaire. Le président déchu, lui, n'aura pas droit à un procès. La rencontre Brésil-Algérie, qui devait se dérouler le 20 juin, a été annulée.


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