La profanation de la dépouille de DJ Arafat, l'icône ivoirienne du coupé-décalé, peu après son inhumation, a fortement choqué l'opinion. Douze personnes ont été interpellées et la police a lancé un appel à témoins. Sputnik revient sur l'hommage qui a précédé ces incidents.
Dans la foulée d'un ultime hommage royal qui aura duré toute une nuit au stade Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, DJ Arafat a été inhumé le 31 août dans le cimetière de Williamsville, l'un des plus grands d'Abidjan.
Mais des fans de l'icône du coupé-décalé qui, depuis l'annonce de son décès, croient à une supercherie, n'ont pas hésité à investir par centaines les lieux avant de retirer le cercueil de la tombe et de l'ouvrir.
Des images et vidéos de la dépouille de la star de 33 ans, décédée le 12 août à Abidjan dans un accident de moto, ont aussitôt envahi la toile.
Le ministre de la Défense Hamed Bakayoko, qui entretenait une relation quasi filiale avec le défunt artiste, estime que les actes qui se sont produits après l'inhumation sont l'?uvre "d'individus isolés et manipulés". Dimanche soir, le préfet d'Abidjan Vincent Toh Bi Irié a annoncé l'interpellation de douze personnes et assuré que les "enquêtes se poursuivent afin d'interpeler tous les coupables et situer les responsabilités à tous les niveaux".
Depuis, la police a lancé lundi en fin d'après-midi un appel à témoins sur les réseaux sociaux. La liste d'une dizaine de personnes recherchées a ainsi été publiée. Pour certains Ivoiriens, la profanation de la tombe de DJ Arafat et les heurts qui ont suivi n'ont pu se faire qu'en raison d'un laxisme des autorités ivoiriennes.
Vous n'avez jamais été dans l'organisation de funérailles jusqu'à l'enterrement' C'est le minimum. Surveiller la tombe jusqu'à ce qu'elle soit hermétiquement fermée. Et en plus une vidéo circule ou les chenapans disaient qu'ils allaient déterrer le corps.
Quoi qu'il en soit, ces incidents au cimetière sont survenus après que, contrairement aux inquiétudes de nombre d'Ivoiriens, la veillée artistique en hommage au roi du coupé-décalé s'est dans l'ensemble déroulée dans une ambiance festive et disciplinée.
Retour sur une nuit d'hommages riche en musique et en émotions
L'hommage musical a démarré dans l'après-midi du vendredi. Les artistes locaux et les personnalités africaines qui ont volontiers fait le voyage jusqu'à Abidjan se sont succédé jusqu'au matin.
Si certains, comme le Congolais Fally Ipupa ou l'Ivoirien DJ Mix 1er (qu'Arafat appelait son "jumeau"), emportés par l'émotion, ne sont pas parvenus à aller au bout de leur prestation, d'autres, comme le Nigérian Davido, le Camerounais Tenor ou encore le Malien Sidiki Diabaté, ont fait le show.
Le passage de Sidiki Diabaté est d'ailleurs fort apprécié des chinois (c'est le nom donné aux fans de DJ Arafat). La star malienne, en plus d'avoir magnifiquement exécuté avec sa kora l'Abidjanaise, l'hymne national ivoirien, et Djessimidjeka, l'un des plus grands tubes de la star devenu par la force des choses l'hymne des chinois, a offert en cadeau à son défunt ami son disque de platine à titre posthume.
Un disque de platine remis entre les mains de celui que Yôrô (l'un des nombreux surnoms d'Arafat) considérait comme son père, le ministre de la Défense Hamed Bakayoko.
"Yôrô, c'est mon fils et je l'assume. Je suis ministre, oui, mais cela ne m'empêche pas d'aimer cette valeur sûre de l'Afrique", a déclaré ému Hamed Bakayoko, vêtu d'une veste en cuir, d'un jean et de chaussures que lui avait offerts DJ Arafat.
Après le disque de platine, ce fut au ministre de la Culture Maurice Bandama d'annoncer la décoration, à titre posthume, du chanteur de l'Ordre du mérite national de Côte d'Ivoire.
"DJ Arafat n'est pas le créateur du coupé-décalé mais c'est lui qui, par son talent et son génie, l'a révolutionné et rendu mondialement célèbre. Nous procéderons, sur accord du Président de la République, à sa décoration à titre posthume dans l'ordre le plus suprême de notre pays", a déclaré Maurice Bandama.
Le roi du coupé-décalé est finalement décoré à l'aube dans le stade le plus mythique de Côte d'Ivoire, peu avant le départ de sa dépouille pour le cimetière.
Les ex-internationaux de football Didier Drogba et Kader Kéita, amis de la défunte star, également présents à la veillée et appelés à monter sur scène, étaient effondrés. Une émotion qui n'a pas manqué de gagner - à l'arrivée de la dépouille de DJ Arafat - le public, jusque-là euphorique.
Jusqu'au bout, certains fans espéraient que l'annonce de sa mort ne soit qu'un canular et que Daïshi (un autre surnom d'Arafat) apparaisse triomphalement au stade.
"Il est mort! Le Daïshikan, le Beerus Sama, le grand Yôrô est vraiment mort!", répétait hébété à la sortie du stade un adolescent tenu par la main par son ami.
Les deux adolescents de 15 et 16 ans font partie de ceux qu'en Côte d'Ivoire, certains appellent la génération Arafat.
Un artiste qui aura marqué son époque
"Quoi qu'on ait pu dire de lui, quoi qu'on ait pu penser de lui, il faut reconnaître que DJ Arafat a su marquer sa génération. Je n'étais pas spécialement fan de sa musique, mais je reconnais qu'il a grandement contribué au rayonnement de la culture ivoirienne dans le monde", a confié à Sputnik une quinquagénaire venue elle aussi lui rendre hommage.
Chanteur, compositeur, chorégraphe, producteur, arrangeur, danseur et batteur émérite, DJ Arafat, de son vrai nom Ange Didier Houon, était un artiste hors pair.
Fils d'un artiste-musicien et ingénieur du son qui le battait souvent (c'est l'artiste lui-même qui le confie dans une vidéo sur sa page Facebook, ndlr) et d'une mère chanteuse bien souvent en tournée, DJ Arafat a quitté à l'adolescence le domicile familial pour la rue. Il a officié comme DJ dans des maquis (bars) de Yopougon, haut lieu du monde de la nuit à Abidjan, avant d'être repéré par un producteur.
En 2003, à l'âge de 17 ans, il a sorti "Jonathan", un morceau en hommage à son défunt ami DJ Jonathan, qui l'a propulsé sur le devant de la scène et fait connaître du grand public.
Après la disparition en 2006 de Douk Saga, le créateur du coupé-décalé (genre musical né au début des années 2000), DJ Arafat s'est progressivement et durablement imposé comme la référence en ce domaine et le plus grand ambassadeur en Afrique et dans le monde de ce genre musical.
Sa discographie est riche de tubes comme "Kpankor", "Kpankaka", "Ketebo" ou encore le très récent "Moto-moto", sans oublier le célèbre "Djessimidjeka", qui font danser depuis 2003 la Côte d'Ivoire et bien au-delà.
Il a été le premier artiste du coupé-décalé à remplir en solo le Palais de la Culture d'Abidjan, la plus grande salle de Côte d'Ivoire. Un exploit réalisé le13 août 2010 et qu'il a réitéré chaque 26 décembre de 2011 à 2018.
Sa notoriété lui a valu de nombreuses collaborations avec d'autres stars africaines comme Fally Ipupa, Davido ou encore Toofan (groupe togolais).
En 2012, il a reçu aux Kora Awards le prix du meilleur artiste africain de l'année et celui du meilleur artiste masculin de l'Afrique de l'ouest. En 2017, il a été élu meilleur artiste de l'année pour la deuxième année consécutive aux Awards du coupé-décalé.
Auréolé de nombreux prix nationaux et internationaux, le "Président de la Chine" était de loin l'artiste ivoirien le plus suivi sur les réseaux sociaux (plus de cinq millions de fans et followers), mais aussi celui qui avait la réputation la plus sulfureuse, notamment en raison de ses frasques et des clashs, ces joutes verbales auxquelles il aimait s'adonner dans des vidéos sur Facebook.
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Posté Le : 22/09/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Le Maghreb
Source : www.lemaghrebdz.com