La complexité des costumes féminins du sud algérien contraste avec la précarité des conditions de vie qui sévissent dans les régions désertiques. En bordure du versant sud- ouest du massif de l’Aurès, entre Biskra et El-Bayadh, en passant par Bou-Saâda et Laghouat, les tribus sédentaires et nomades qui peuplent les Hauts Plateaux et l’Atlas saharien obéissent à des traditions vestimentaires aux origines antiques. Parmi les costumes les plus caractéristiques, ceux des monts des Ouled Naïl et du Djebel Amour sont destinés à devenir représentatifs des villes de Biskra et de Bou-Saâda, dès le XIXe siècle. Apparentés aux costumes aurésiens, ils s’organisent autour du péplum à fibules et accordent un rôle primordial à la parure, en particulier aux bijoux de tête.
La melehfa ou lhef des femmes Ouled Naïl se drape autour du corps de la même manière que l’elhaf de l’Aurès, soit par l’intermédiaire d’une paire de fibules en argent, ajourées et cernées de dentelures. La fibule, appelée bzima, ketfiya ou khelala, selon les localités, a la forme d’un triangle plat ou légèrement renflé sur les côtés. Sa base soutient l’ardillon, alors que son sommet s’oriente vers le sol. Elle peut être supplantée par un modèle plus archaïque qui consiste en un anneau métallique épais, aux extrémités saillantes, pourvu d’un ardillon acéré. Une chaîne chargée de porte- talismans, appelés hrouz ou ktoub, joint les deux fibules. Sur les épaules, la mante de fin lainage ou de cotonnade se superpose au péplum et exploite les ardillons de ses fibules pour rester en place. Parfois, une broche circulaire la maintient sur le haut de la poitrine : cette habitude s’applique davantage à la chemassa ou semmacha mdeoura, illuminée d’une pièce de monnaie ou d’un discret miroir arrondi des villageoises du Djebel Amour qu’au mdeouar des Ouled Naïl. Plus coquettes, ces dernières préfèrent accrocher leur fibule arrondie sur le bord supérieur du péplum en guise de bijou ornemental. Elles choisissent sinon de destiner deux broches, serties de verres colorés et entièrement bordées de grenailles ou de petits disques perforés, à la fonction de temporaux, ou encore d’en agrafer trois exemplaires sur la devanture de leur turban, au-dessus du front.
Le mdeouar peut aussi effleurer le menton, lorsqu’il est épinglé sur les bords du voile de tête blanc surmonté par le turban. Il le referme ainsi autour du visage. Toutefois, à cause de l’étroitesse de ce voile qui parvient difficilement à contourner la coiffure volumineuse des femmes Ouled Naïl, deux petites fibules liées par une double chaîne se substituent souvent à la broche ronde. Cette solution permet de laisser le voile entrouvert afin d’exhiber les énormes tresses, rembourrées de brins de laine, spécifiques aux coiffures de la région. De même, les pendants de tempes du type chenag, la jugulaire ou qtina avec ses chaînes mentonnières à anneaux aplatis et les colliers de différentes longueurs, notamment l’imposant plastron de rangs de sequins appelé chentouf, apparaissent au grand jour. Enfin, les khros, larges anneaux d’oreilles portés en nombre, profitent également de cette disposition du voile pour déployer leurs demi-sphères filigranées ou ajourées, d’autant que les oreilles sont complètement masquées par les cheveux tressés. Des mcharef à dents de scie de style aurésien les remplacent parfois. En revanche, la visibilité des joyaux affichés sur la façade du haut turban qui domine la coiffure des Ouled Naïl ne dépend pas de l’agencement du voile. Outre les trois mdeouar, les femmes se parent fréquemment d’un diadème, ‘assaba ou jbin, formé d’une ou de deux rangées de plaques à charnières. Les habitantes du Djebel Amour l’appellent mchebek et plantent au sommet de sa plaque centrale une, voire plusieurs plumes d’autruche. Il existe une autre sorte de diadème, plus souple, qui aligne des pièces d’orfèvrerie allongées et renflées, prolongées par des breloques; une petite plaque carrée, garnie de dessins filigranes et d’un verre serti, s’insère au milieu du joyau.
Les femmes de l’Atlas saharien choisissent leurs bijoux avec autant de minutie que les textiles attribués à chaque pièce du costume. Afin d’obtenir un ensemble vestimentaire harmonieux, la couleur du pan d’étoffe posé sur les épaules en guise de mante doit trancher avec la teinte claire du voile, mais elle doit en même temps se différencier du tissu du péplum et de celui des manches rapportées de la chemise. À cette somme de toiles de coton et de laine hétéroclites s’additionnent aussi les deux ou trois tissus distincts qui forment le majestueux turban. Dès la fin du XIXe siècle, l’abandon des lainages artisanaux et la propagation des indiennes et d’autres étoffes manufacturées d’importation stimulent cette propension à l’assortiment d’imprimés et de coloris panachés. Si une femme Ouled Naïl ne laisse pas flotter le pan de son péplum librement, elle le resserre autour de la taille avec une haute ceinture en tissu, généralement rayé, qui ajoute à l’aspect bigarré du costume. Lors des fêtes, elle lui préfère cependant une large ceinture métallique, décorée de volutes gravées et de chaînes terminées par des pendeloques. La forme massive de cet accessoire s’accorde avec les dimensions des dhouh et des souar, bracelets rehaussés de tiges saillantes qui parent chaque avant-bras. Sans oublier les hauts bracelets de chevilles ornés de plaques pivotantes en forme de fleurs stylisées.
La magnifique ceinture des habitantes de l’Atlas saharien est pourtant amenée à disparaître car, comme dans les autres régions rurales d’Algérie, le péplum finit par se retirer devant une gandoura accompagnée d’une ceinture plus fine. Au début du XXe siècle, cette robe admet deux types de hzam de style citadin pour adhérer à la taille. Le premier, en cuir revêtu de velours brodé au fil d’or, comme le second avec ses plaques ajourées rectangulaires à charnières, se ferment par une boucle métallique richement travaillée. Le turban des Ouled Naïl va connaître lui aussi un déclin : la primauté revient désormais au diadème et à la jugulaire qui substituent des rangs de louis d’or aux chaînes en argent.
Malgré la raréfaction des turbans, les costumes de l’Atlas saharien continuent à privilégier la coiffure et les bijoux de tête par rapport aux vêtements. Cette caractéristique se retrouve dans les costumes féminins du Mzab. Située au sud de Djebel Amour, sur le chemin qui lie Laghouat au cœur du Sahara, Ghardaïa, cité fondée au XIe siècle par les Kharédjites, révèle un patrimoine vestimentaire diversifié, en dépit du rigorisme de la doctrine religieuse ibadite. La richesse du costume mozabite réside surtout dans sa nature métissée, à la fois citadine et rurale. La position stratégique de la ville qui vit des échanges commerciaux entre les métropoles du Nord et les oasis du Sud, explique sans doute cette hybridité. Au début du XXe siècle, celle-ci se manifeste, par exemple, au niveau des bijoux qui dominent la coiffure nuptiale appelée kambousa ou takenboust. Ils s’apparentent aux modèles des monts de l’Aurès ou de l’Atlas saharien, mais leur taille mesurée et l’éclat de l’or finement ouvragé leur confèrent une touche citadine indéniable. Ainsi, l’étroit chignon, élevé en hauteur, qui réunit une partie des cheveux de la mariée retient plusieurs fibules en or triangulaires et circulaires, ainsi que trois épingles, khellelat, sans oublier les cauris porte-bonheur. Des foulards et un bandeau ou ‘akri de soie rouge qui soutiennent une jugulaire et une paire de temporaux parachèvent cette coiffure. Chaque pendant de tempe ou tekfina arbore plusieurs chaînes à maillons aplatis, suspendues à une plaque triangulaire en or ajouré aux deux bords latéraux dentelés et courbés.
Le reste du costume nuptial paraît moins original : la chemise à manches de tulle et le péplum blancs sont complétés lors du troisième jour des noces par un ample fichu coloré ou ‘abrouq qui s’accroche aux fibules, puis, trois jours plus tard, par un voile de laine blanc, le ksa. C’est seulement à l’occasion du septième et dernier jour de la célébration du mariage que ce costume devient plus riche. Il exhibe un ksa rouge, une coiffure nouvelle avec trois tresses prolongées par des glands argentés et quantité de joyaux. Les fibules ajourées du type tisegnest, épinglées sur le péplum à hauteur d’épaules, les broches ou bzaïm arrondies aux cabochons de verre coloré, les boucles de ceinture de style constantinois, les innombrables colliers appelés cherka qui comportent notamment quelques ‘asreyin chargés de sequins et de pièces en or représentant des mains stylisées et des croissants de lune, ainsi que les souar ou tisegdrin, bracelets aux motifs redondants, diffusent une lumière éclatante qui valorise la couleur du ksa. À côté des fibules et des colliers, le buste est orné d’une parure pectorale qui réunit des breloques en forme de main, des fragments de corail et plusieurs boîtes à amulettes prophylactiques carrées, cylindriques ou triangulaires. Enfin, trois ou quatre paires de grandes boucles d’oreilles achèvent de donner à la parure un aspect opulent. A l’aube du XXe siècle, deux sortes d’anneaux d’oreilles cohabitent à Ghardaïa : le plus ancien, appelé tiouinès, se termine par un verre coloré ou par un renflement qui représente une tête de serpent, pendant que le plus récent, la mecherfa ou timechreft, ressemble au bijou aurésien du même nom, avec sa frange de chaînettes dite idlalen.
Moins réglementé que les différentes tenues nuptiales, le costume quotidien mélange plus librement les bijoux en or et en argent. Il bénéficie en outre du goût des femmes mozabites pour les accords de couleurs intenses. Elles réservent les teintes sombres, en particulier le noir, le violet et le bleu foncé, au péplum, dit melahfa. Le coloris du lainage du péplum, remplacé dès les premières décennies du XXe siècle par des cotonnades et autres textiles de fabrication industrielle, se marie à ceux, généralement plus délicats, du foulard de tête et de la longue mante en soie finement rayée, appelée ‘abrouq ou meherma, qui enveloppe les épaules et le dos. Le soin apporté au choix des couleurs s’observe jusque sur le galon lisse ou tressé, appelé tasfift, qui rehausse de sa tonalité vive les bords de la melahfa. Les chaussures traditionnelles en cuir rouge complètent cette composition chromatique. Au contraire, la chemise et la gandoura enfilées sous le péplum, pendant la saison froide, utilisent des étoffes aux tons clairs et neutres, tels que le blanc ou le rose. Seules la couleur des voiles est strictement dictée par la coutume mozabite. Le khemri en laine, tissé sur les métiers domestiques, doit être noir. Il est cerné d’une bande de soie rouge, enrichie de broderies géométriques polychromes. En hiver, ce voile ancien remplace le fichu de tête. Quant au ksa en étoffe rouge, il peut être parcouru de rayures noires ou blanches. Le haouli dont les femmes mariées s’enveloppent, dès qu’elles sortent de chez elles, reste en revanche uniformément blanc. Similaire au haïk des villes septentrionales, l’élément le plus externe de la tenue de sortie confirme ainsi le rattachement du costume mozabite à la famille des costumes citadins algériens. D’ailleurs, à l’instar des Tlemcéniennes et des Blidéennes, les habitantes de Ghardaïa et des cités voisines, telles que El-Ateuf, Melika ou Bou-Noura, ramènent le haouli sur leur visage de façon à ne dévoiler qu’un seul œil.
Les villes du Mzab, passées sous protectorat français au milieu du XIXe siècle, se rattachent à l’Algérie coloniale en 1882, sans assister à l’arrivée de familles européennes. La population mozabite, déjà réputée pour son conservatisme, sauvegarde donc aisément ses traditions vestimentaires. Les autres provinces sahariennes sont annexées plus tardivement encore par l’administration coloniale, vers la première décennie du XXe siècle. Les costumes vernaculaires des villes et des oasis, comme Ouargla, El-Goléa, Beni-Abbès ou Timimoun, parviennent eux aussi à se préserver de toute forme d’acculturation. Parmi les costumes les mieux épargnés par les nouveautés venues du Nord, celui des Touaregs du Hoggar et du Tassili demeure sans conteste le plus original. Contrairement aux costumes des abords septentrionaux du Sahara, ils ne semblent pas avoir assimilé le principe du péplum de type dorien. Ceci expliquerait pourquoi la fibule, tellement chère aux Algériennes des autres provinces, reste absente de la parure, pourtant complète et variée, de la Targuia. Ces longues tuniques en toile, évasées vers le bas, sont en effet cousues sur les côtés. L’ensemble du costume garde toutefois l’allure d’un majestueux drapé grâce au voile enveloppant, porté ouvert ou rabattu sur une épaule. Un pendentif en argent, appelé asarou n’seoul à cause de sa forme de clé, aide à le stabiliser. Ce bijou qui distingue les femmes de la noblesse est rehaussé de hachures et de dessins géométriques incisés.
La jeune fille targuia accède simultanément au port du voile, akerhei, et des bijoux chargés d’attributs symboliques et magiques. Le costume nécessite, dès lors, une dépense importante car, en plus des joyaux, le voile utilise plusieurs mètres de tissu. Arrangé de manière à découvrir le visage et la partie frontale de la coiffure, il n’est pas conçu pour assurer les mêmes fonctions que son homologue masculin. Dans cette société traditionnellement matriarcale, c’est l’homme targui qui doit se voiler le visage avec une pièce d’étoffe noire, bleue ou blanche ne découvrant que les yeux. Les couleurs du voile féminin s’inscrivent dans une belle gamme de tons foncés violacés, allant de l’aubergine au noir brillant. De manière générale, à l’exception des manches de la tunique et des longs mouchoirs ou manchons en toile blanche qui pendent aux poignets des femmes aristocratiques, la Targuia tend à privilégier les vêtements confectionnés dans des tissus unis et sombres. Elle s’assure surtout que l’étoffe du voile soit suffisamment lustrée et luminescente pour exalter l’éclat de ses bijoux en argent.
L’élément le plus resplendissant de la parure demeure le pectoral exhibé pendant les cérémonies. Il apparaît pour la première fois sur le costume nuptial. Son nom qui signifie message en berbère « tamachek » l’indique, le teraout est composé d’amulettes prophylactiques où sont glissés des billets qui contiennent des extraits de versets coraniques. Suspendue au cou à l’aide d’un simple cordonnet en cuir ou par l’intermédiaire d’un pièce intercalaire en forme de carré ou de losange, l’amulette triangulaire principale retient trois ou cinq triangles plus petits, bordés de pendeloques ou tichetchatin.
Une paire de temporaux en argent repoussé qui alignent plusieurs triangles de dimension moyenne, analogues à ceux du teraout, s’épinglent à la coiffure finement tressée. Ils dissimulent en partie les énormes anneaux d’oreilles, appelés tizabaten, terminés par une tête renflée à facettes triangulaires. Le pendentif pectoral de la mariée n’exclue pas la présence d’un autre teraout, plus simple, qui comporte une pièce unique, le plus souvent en forme de losange, accrochée à une lanière de cuir ou à un collier de perles foncées. Les femmes portent aussi une troisième forme de pendentif censé éloigner les esprits malins, la khomeyssa, qui rassemble cinq losanges en quinconce. Enfin, les pendentifs les plus légers, appelés tineghel, présentent le nombre le plus élevé de variantes. Les bracelets, réalisés dans des matières différentes, sont également omniprésents dans la parure de la Targuia. Les anneaux en corne cohabitent avec les modèles en argent aux dénominations diverses, tels que 1’issoghan bombé aux dessins géométriques délimités par des fils torsadés et remplis de grenailles. Quant aux bracelets massifs, munis de deux têtes à facettes incisées, ils peuvent aussi se porter aux chevilles.
Les femmes touaregs partagent avec leurs concitoyennes des zones sahariennes plus septentrionales un engouement insatiable pour les bijoux, mais elles sont bien les seules à accorder autant d’importance aux bagues. Lors des occasions particulières, elles les enfilent sur les doigts des deux mains, malgré leurs dimensions encombrantes. Les bagues les plus prisées, appelées tessek ou tissek, supportent un chaton en forme de boîte carrée, cylindrique ou tronconique dont la sur face est décorée de hachures incisées, de grenailles, parfois aussi de demi-sphères ornées de filigrane. Celles dont le couvercle est amovible, en particulier la bague circulaire qui emprunte parfois le nom de la lune, tellit, recèlent un fragment d’étoffe imprégné de substances parfumées ou des graines qui s’entrechoquent en émettant des sons censés détourner les esprits maléfiques. Parée de bagues mystérieuses, la Targuia peut al ors rajuster gracieusement les pans de son précieux voile qui flotte au rythme des vents du désert.
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Posté Le : 13/01/2018
Posté par : patrimoinealgerie
Source : azititou.wordpress.com