Algérie - Revue de Presse

Costa Gavras (Réalisateur, cinéaste et producteur)



« Le cinéma, c?est raconter la société sans leçons ni politique... » Bien que sa voix soit enrouée, le grand cinéaste Costa Gavras, l?auteur du fameux Z, tourné en Algérie en 1969, a un phrasé clair, franc et sans ambages. C?est encore une fois les retrouvailles avec l?Algérie. Une grande histoire et passion, peut- être... Oui, je suis revenu plusieurs fois, ici, en Algérie. Par exemple, j?étais ici cet été. Puis, je suis allé dans le Sud algérien, il y a trois ou quatre ans. Je suis ravi d?être là. Avez-vous des projets de film en Algérie ? Effectivement, nous avons deux projets de film en Algérie. Une production de ma société. L?un réalisé par Mehdi Charef, Cartouche gauloise, et un autre s?intitulant Mon colonel de Laurent Herbier qui va être tourné au mois de février à Constantine, Sétif et probablement à Annaba. Cet été, on a fait des repérages. On avait rencontré le président de la République, M. Bouteflika, avec des cinéastes algériens. C?était une réunion autour du cinéma, parce que le Président s?intéresse au cinéma. Cela est intéressant. Je pense qu?il veut relancer le cinéma algérien comme dans les premières années de l?indépendance. Je trouve que le cinéma algérien faisait de beaux films. Vous êtes l?invité de marque du 1er festival du film français en présentant votre nouveau film Le Couperet... Oui, il y a ce petit festival. J?en suis ravi. Le Couperet est une nouvelle urgence de la société de consommation... Cela a été toujours la société. Personnellement, je pense que le cinéma peut parler uniquement de mages ou de planètes. Je considère que le rôle du cinéma, c?est de raconter notre société, sans donner de leçons ou dispenser d e cours politiques, mais de raconter la société avec ses moyens. Le cinéma, c?est aussi le spectacle, le plaisir, aimer, haïr, rire, pleurer, éventuellement. Ce sont les films que j?ai aimés depuis que je vais au cinéma. Ils parlent de notre monde. Avec cette tradition grecque... Il y a 2500 ans, on faisait des pièces de théâtre en Grèce. Des pièces qui se jouent toujours aujourd?hui, qui sont vues du monde entier et qui parlent des femmes, des hommes et de la société. Vous avez - dit que Le Couperet est une fiction sociale... C?est une fiction sociale, mais j?ai dit aussi que c?est une sorte de conte amoral. Le mouvement de la société est de plus en plus amoral. Ce ne sont plus les hommes qui comptent, ce sont l?économie, les finances... Ce n?est plus l?humanisme, « l?économisme ». Un petit reflet de notre société. C?est aussi décliné sur une trame de comédie... Dans une tragédie, il y a une part de comédie. C?est pour cela qu?il y a de l?espoir. J?ai aimé traiter ce sujet grave avec un ton, çà et là, comique. Un humour un peu noir. Le tournage du fameux Z en Algérie est un souvenir immanquablement intense... Formidable ! Z, c?était formidable ! L?Algérie m?est très chère ! Il y a trois pays qui me sont chers dans la vie. La Grèce où je suis né, la France où je vis et l?Algérie qui m?a adopté. Le film Z que j?ai voulu tourner du fond du c?ur et qui fait le tour du monde, c?était grâce à l?Algérie. Un succès inattendu, retentissant, et un oscar à la clé. Une belle aventure... Personne ne croyait au film Z, sauf nous qui l?avons fait, les acteurs Yves Montand... et une autre personne qui a cru en nous. C?est le ministre de la Culture Mohamed Seddik Benyahia, à l?époque. Il avait lu le scénario et avait apporté aussitôt sa caution. Il nous avait dit : « On n?a pas d?argent à vous donner mais on met à votre disposition des moyens pour tourner où vous voulez et quand vous voulez. » Z installait déjà votre marque de fabrique « progressiste » incarnée par L?Aveu, Etat de siège, Missing... Une urgence politiquement incorrecte... C?étaient les urgences de cette époque-là. Il y a eu L?Aveu et Missing. Aujourd?hui, la situation a complètement changé. Nous sommes devenus une société qui a un seul chef, l?Amérique, et une seule ambition, l?argent. L?argent est devenu une idéologie, un dogme. Il faut que les gens soient rentables. Aujourd?hui, la classe moyenne ne compte plus. On la traite comme on a traité des ouvriers. Quand quelqu?un perd un emploi à 40 ans, c?est fini. Il ne trouvera plus de travail. On embauche des jeunes qui coûtent moins cher et qui sont plus enthousiastes. Contre les capital et capitalisme sauvages... Il s?agit d?un libéralisme agressif, capitalisme sauvage qui s?impose un peu partout dans le monde. Malheureusement, ce sont les grosses sociétés qui dirigent les pays et le monde et non pas les gens que nous élisons. Cela est un nouveau phénomène. Et le pouvoir des médias, comme vous l?avez souligné dans votre film Mad City ? Evidemment ! C?est l?autre pouvoir énorme dans la société. Celui qui est dans chaque foyer. C?est le pouvoir de la télévision. Ce qui est tragique, à mon avis, - c?est une idée personnelle-, c?est que la télévision est devenue privée et qu?elle se trouve sous les intérêts du privé, des gens... La télévision devrait être un tout petit comme l?éducation nationale, l?armée, la police... La télévision devrait appartenir à l?Etat (secteur public). La télévision est un média extraordinaire pour éduquer le monde et divertir. Très souvent, la vulgarité l?emporte sur la qualité. Avec vos deux films que vous produisez en Algérie, vous revenez sur la torture et le colonialisme... La torture, c?est une chose horrible. Absolument ! Le film qu?on va produire parle du colonialisme et de la torture aussi. C?est aussi un moyen de parler d?alors et d?aujourd?hui. Faire un parallèle. Je pense qu?il faut faire de plus en plus de films sur cette période-là. C?est la seule façon de retrouver ce qui me paraît absolument nécessaire, une acceptation d?un peuple envers l?autre. Compréhension et grande amitié. Le concept de l?Algérie française est un concept fou et sans fondement. Les nouvelles générations de France et d?Algérie sont plus éloignées des passions de premier degré. Que pensez-vous de la loi portant sur le colonialisme positif ? Cette loi imbécile, c?est bien finalement qu?ils l?aient votée. Cela permet un débat formidable. Cela permet à des gens comme Giscard d?Estaing de dire que ce n?est pas une bonne loi. D?ailleurs, comment un parlement peut-il décider de l?histoire ? C?est inacceptable. Il y a des historiens pour cela. Sincèrement, vous avez un beau palmarès, les oscars... On fait toute une histoire quand on n?a pas un prix. Mais quand on les a... Mais bon, je dis ça va. Ne me dites pas que les oscars sont dans des cartons... (rires). Dans des cartons, c?est les mépriser. Ils sont sur une étagère. Mais ça fait un peu beaucoup. Comment percevez-vous le cinéma, actuellement, dans le monde, notamment à Hollywood ? Il y a cette idéologie récente qui vient de Hollywood prônant l?entertainment, le tout-divertissement comme le football ou le cirque. C?est terrible ! C?est comme Le pacificateur (Le film). De l?autre côté, en Europe et ailleurs, on fait des films plus libres où l?on parle d?autres choses, où l?on essaie de trouver de nouvelles écritures du cinéma. C?est comme une sorte de contre-poids à Hollywood. L?Amérique impose son cinéma politiquement. Nous en avons des exemples flagrants. C?est pour cela que je défends le cinéma algérien. Je pense que chaque pays doit avoir son propre cinéma avec des réalisateurs comme Lakhdar Hamina, Ahmed Rachedi, Merzak Allouache... Je ne crois pas que le cinéma puisse exister sans l?aide de l?Etat. Des projets avec des réalisateurs algériens... Tout dépendra des scénarios. C?est toujours le problème du sujet qui devrait correspondre à quelque chose qui me touche profondément. Oui, bien sûr !


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