Pour l'historien français, Michel Pierre, l'auteur de BD italien, Hugo Pratt est «une synthèse» de littérature d'aventure occidentale.Michel Pierre, historien français, spécialiste de l'œuvre d'Hugo Pratt, a animé une conférence à la faveur du 6e Festival international de la bande dessinée d'Alger (Fibda), clôturé hier à l'esplanade Riad El Feth à Alger. Ancien directeur de l'Institut français de Florence (Italie) et auteur de Les femmes de Corto Maltes, Michel Pierre a conçu et coordonné un numéro spécial de la revue française Marianne, Récits du monde, escales du temps consacré au personnage de Hugo Pratt. «J'ai rencontré Hugo Pratt à la fin des années 1970. J'ai collaboré avec lui à plusieurs ouvrages, et à la fin de sa vie j'ai pu être présent à ses côtés. Hugo Pratt est décédé en 1995. Je continue en tant qu'historien à travailler sur son univers graphique et littéraire», a-t-il dit.
Il a rappelé que l'Italien Hugo Pratt (né en 1927 à Venise) a vécu en France, en Argentine, en Suisse, a suivi son père, militaire, en Ethiopie lors de l'occupation de ce pays par l'Italie' «Par ses lectures, sa vie, sa bibliothèque, Hugo Pratt est une synthèse étonnante de la littérature d'aventure occidentale de la fin du XXe siècle. Pour moi, au-delà de la bande dessinée, il clôt tout un moment qui passe par les grands auteurs anglo-saxons et français, comme Jacques London», a-t-il noté. Pratt a, selon lui, révolutionné la BD d'aventure européenne. «La jeune BD d'aventure en France est issue de ce dynamitage opéré par Hugo Pratt», a-t-il appuyé.
Il a illustré son propos en montrant un extrait d'une BD où l'on voit Corto Maltese parlant avec un corbeau. «Corto Maltese est un héros silencieux, solitaire. Un personnage borderline, en détachement par rapport à la réalité dans laquelle il évolue. Il est entre le rêve et la réalité. C'était nouveau dans l'histoire de la BD. L'intuition géniale de Hugo Pratt a été de créer une silhouette avec une casquette de marin, un sac de marin, la redingote, un pantalon pattes d'éléphant et une boucle d'oreille (à gauche)», a relevé Michel Pierre.
Le style Corto Maltese
Selon lui, la mode vestimentaire représentée par Corto Maltese pouvait se démoder, mais pas son style. «C'est pour cela que l'univers de la publicité, de la mode et du stylisme a pris Corto comme modèle. Son visage a été utilisé pour des publicités de parfum», a-t-il souligné. D'après Michel Pierre, le look de Corto Maltese n'a pas été immédiat chez son auteur. C'est un personnage dont Hugo Pratt a construit peu à peu le caractère. Hugo Pratt n'avait pas le physique de son héros, mais il y a des éléments qui se rapprochent. Il s'est inspiré pour les traits de son personnage de l'acteur américain Burt Lancaster.
Des traits qui vont être affinés plus tard. Corto est à plusieurs reprises interrogé par la police, il répond : «Je suis Corto Maltes, résident à Antibois, né à Malte. Corto signifie rapide, et Maltèse par Hugo Pratt a choisi de le faire naître au milieu de la Méditerranée, à Malte», a précisé l'historien. Hugo Pratt a fait «voyager» son personnage à partir de 1900. Ainsi, Corto Maltese ira en Chine lors de la guerre des Boxers, en Mandchourie, en océan Pacifique, en Argentine, en Irlande, au Yémen, en Somalie, en Mongolie, en Turquie, en Suisse, aux Caraïbes' L'enfance éthiopienne de Hugo Pratt a, d'après Michel Pierre, marqué l'œuvre du dessinateur.
«De 1939 à 1942, Hugo a été en contact avec une réalité qu'il allait condamner plus tard, le colonialisme. En 1942, il est embarqué vers l'Italie avec sa mère par la Croix- Rouge. Son père meurt dans un camp de prisonnier. C'est donc un adolescent marqué par le fascisme, par la guerre et par l'arrivée des Américains à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, d'où la présence de ce conflit dans ses œuvres. Plus tard, il développera son travail de dessinateur dans des journaux argentins. Il circulera dans toute l'Amérique du Sud. On retrouvera cette influence dans ses œuvres également», a-t-il noté.
Il a relevé que Hugo Pratt, de 1946 à 1995, a toujours voyagé et dessiné. Corto Maltese apparaît comme un personnage secondaire en 1967 dans la BD, La balade de la mer salée, publiée en Italie. Au début des années 1970, Hugo Pratt commence à publier ses aventures dans Pif gadget en faisant de Corto Maltese un personnage principal (Pif était proche du Parti communiste français). Chez l'éditeur Casterman, Hugo Pratt publiera plus tard des albums.
«Et c'est le succès. On tirait les albums à plus de 400 000 exemplaires. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. C'était phénoménal ! Il y avait dans les dessins d'Hugo Pratt les femmes, l'ésotérisme, les fables, la fantaisie, le rêve, la réalité crue' Hugo Pratt était plus Anglo-Saxon et Italien dans ses influences que Français», a soutenu Michel Pierre ajoutant que Hugo Pratt était également proche de l'univers de Jose Luis Borges, le romancier argentin, et de Milton Caniff, auteur de BD américain. Il a relevé que la liberté économique d'un dessinateur lui permet de faire ce qu'il veut, sans contraintes (Hugo Pratt avait connu le chômage à la fin des années 1960).
«C'était du temps où l'on pouvait fumer et boire de la BD. Aujourd'hui, c'est plus difficile. En plus, ce qui est rare dans la BD, Corto Maltese, qui était un assassin avec Raspoutine, était un grand lecteur. C'est à l'image de Hugo Pratt qui avait une bibliothèque de plus de 30 000 volumes. Il avait la curiosité de l'autodidacte. Hugo avait aussi du rythme dans ses dessins, un rythme cinématographique», a relevé Michel Pierre parlant également des aquarelles de Hugo Pratt.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 13/10/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com