Algérie

Corruption et ballon rond



Le monde footballistique italien est une fois de plus frappé par un séisme dont l'amplitude pourrait se révéler apocalyptique. Après le célèbre totonero au début des années quatre-vingt, qui vit plusieurs clubs prestigieux tels le Milan AC

et la Lazio de Rome pénalisés par la justice pénale et sportive, après Calciopoli 1, en 1986, et Calciopoli 2, vingt ans plus tard, voilà maintenant que Scomessopoli, le parigate, décrédibilise une fois de plus le sport roi de la péninsule.

Les faits : tout commence le 14 novembre 2010. Ce jour-là se dispute un obscur match de troisième division opposant les équipes de Crémone et de Pagani. Une rencontre dont l'épilogue sportif ne fait aucun doute. Toutefois, d'après les enquêteurs, durant la mi-temps, le gardien de but de Crémone, aurait versé dans les boissons distribuées à ses coéquipiers une substance contenant des benzodiazépines, autrement dit de puissants somnifères, afin de les plonger dans un état de somnolence et ainsi amoindrir la qualité de leurs prestations sur le terrain. Au terme de la rencontre, cinq joueurs de Crémone sont victimes de malaise ; deux autres passent la nuit à l'hôpital. Plus grave : un de leur coéquipier, en état de torpeur, perd malencontreusement le contrôle de son véhicule alors qu'il rejoint son domicile. Suite à ces incidents, la direction du club, alarmée par le résultat des prélèvements sanguins, dénonce les faits au parquet. Une enquête (Last Bet, le dernier pari) est ouverte et il est décidé de procéder à des écoutes téléphoniques.

 Le réseau criminel mis à jour s'articulerait autour de trois « clans » aux rôles parfaitement définis. Tout d'abord la « bande des Gitans », dont la mission était d'établir les tarifs de la corruption, de 50 à 400 000 euros à distribuer aux corrompus en fonction des rencontres. Les « Albanais », de leur côté, avaient pour tâche de livrer l'argent aux joueurs soudoyés. Enfin, les « Bolognais » percevaient les garanties bancaires auprès des parieurs pour couvrir les mises et éviter tout risque financier. Seize personnes, parmi lesquelles plusieurs joueurs professionnels qui avaient déjà trempé dans Calciopoli, ont été arrêtées ce 1er juin. Vingt-huit autres sont inculpées. Le chef d'inculpation retenu à leur encontre est l'association de malfaiteurs.

Le cas le plus éclatant est sans aucun doute celui de Giuseppe Signori, ancien attaquant vedette de la Squadra Azzurra. Il ressort clairement de l'enquête que l' L'homme aux 200 goals, comme l'appelait les « Bolognais », dont il était le leader, dirigeait l'ensemble de la machinerie criminelle. Grand parieur lui-même, le compte-rendu des écoutes téléphoniques dresse le portait d'un personnage machiavélique, capable des pires turpitudes, dont le moteur semblait être, tel Mirko Czentovic, le joueur d'échecs de Stefan Zweig, de tirer tout l'argent possible de son renom dans le milieu sportif. En creux, se dégage également des documents de l'enquête le portait sociologique d'un milieu essentiellement composé d'anciens sportifs professionnels, parieurs compulsifs, paraissant ne pas même soupçonner l'existence d'autres valeurs que le jeu et l'argent, capables de parier des sommes folles sur le numéro de plaque de la voiture qui leur passait sous le nez.

Nous le disions en ouverture : il ne s'agit hélas pas du premier scandale de ce type en Italie. Il ne s'agit pas non plus de procéder à des amalgames qui n'auraient pas lieu d'être. Cependant, comment ne pas relever la dérive affairiste qui frappe le pays depuis quelques années. Comment ne pas faire de parallèle avec le récent scandale relatif à la vente de titres d'étude par certaines facultés universitaires ? Avec le scandale des faux chirurgiens pratiquant en toute impunité, en échange d'importants pots-de-vin, dans un certain nombre d'hôpitaux publics ? Avec le détournement impliquant des membres du gouvernement, il y a moins d'un an, de sommes d'argent destinées à la reconstruction des zones sinistrées par le tremblement de terre en Abruzzes ? Avec la condamnation, il y a quelques jours, de l'ancien gouverneur de la Banque d'Italie pour délit d'initiés ? Avec l'inculpation pour corruption aggravée de l'ex ministre des Infrastructures et du Pape rouge, le Cardinal Sepe, alors à la tête de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, le dicastère le plus riche du Vatican ? Sans même parler des nombreuses inculpations du premier ministre lui-même pour corruption et faux bilans.

 Bref, ces affaires, bien que ne présentant aucune connexion matérielle avec le scandale qui frappe le monde sportif, sont reliées entre elles par une évidente dérive éthique. Une frange toujours plus importante des institutions de la République est en effet victime d'une forme de cannibalisation par les milieux affairistes, par le crime organisé, présents avec toujours plus de puissance au cÅ“ur même de l'appareil d'Etat. A l'évidence, l'intérêt général, le respect des règles n'y sont plus des normes absolues. Et, à cet égard, la responsabilité personnelle de M. Berlusconi est immense. Son mépris sans cesse affiché pour la justice, pour le respect de la loi, pour les autres pouvoirs institués est un déni démocratique d'une gravité extrême. De même, la présence aujourd'hui banalisée dans l'entourage et le parti du premier ministre d'individus condamnés en voie définitive pour collusion avec la mafia est un autre signe inquiétant de cette dégénérescence éthique des institutions.

S'il n'en est pas l'inventeur, le berlusconisme a indéniablement consacré la philosophie du chacun pour soi, le modèle de l'éternel vainqueur, obnubilé par le succès, sûr de lui et de son pouvoir de séduction, prêt à toutes les roueries, à toutes les mystifications, à toutes les collusions pour parvenir à ses fins. Les règles, c'est pour les idiots, nous dit-il en substance. Or les facteurs moraux, éthiques ont une influence certaine sur le type de citoyenneté que véhicule une nation. Si la règle n'est pas intériorisée par chacun comme étant plus importante que l'objectif personnel que l'on poursuit, que le succès recherché, la décadence est inévitable. Concluons par Platon : lorsqu'une cité démocratique trouve dans ses guides de mauvais échansons, prédisait-il, elle s'enivre de ce vin impur au-delà de toute décence. C'est alors le début de la décadence.

*Politologue








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