Algérie

Corps à corps



 Abd Al Rahman Al Kawakibi (1855-1902), ce Syrien de la ville d'Alep, formé aux études classiques, ne pouvait, durant sa courte vie, se tenir en place, tant il éprouvait le besoin de tout connaître sur une société à  la merci du despotisme. Ayant occupé des postes administratifs très importants sous l'empire ottoman, ou ce qu'il en restait, il eut la manie de relever, puis d'analyser dans son grand traité, «les traits caractéristiques du despotisme», les méfaits d'une gouvernance dictatoriale qui avait déjà, en son temps, mystifié la notion de citoyenneté et annihilé tout réflexe face au colonialisme britannique, puis français, dans tout le Moyen-Orient.
Après avoir sillonné l'Asie mineure de part en part, il fit le projet, classique bien sûr, de visiter l'Afrique du Nord avec l'idée de mieux étoffer son traité. Or, les menées subversives et les intrigues ont eu raison de lui dans son exil égyptien en 1902, où il fut empoisonné par des adversaires qu'il aurait tant gênés.Barbe drue, regard perçant rappellant bien un autre visage très célèbre, celui d'Al Afghani – qui, comme lui, fut empoisonné en Turquie –, Al Kawakibi ne pouvait échapper à  un destin violent. Ses ennemis qui l'avaient pourchassé dans tout le Moyen-Orient, devaient donc le rattraper au Caire, son lieu d'exil, et mettre fin à  sa vie le 13 juin 1902. Faut-il dire que son assassinat reste, jusqu'à ce jour, drapé d'un voile opaque, puisque rien n'a filtré sur les auteurs du crime ' C'était l'époque où les opposants au despotisme ottoman se faisaient exécuter soit par strangulation dans des donjons et des cachots, ou encore jetés dans les eaux du Bosphore, pieds et mains liés. Al Kawakibi, qui avait tâté du journalisme durant une courte période, en fut le témoin à  plusieurs reprises et eut quand même le courage, au péril de sa vie, de dénoncer les forfaits commis par les derniers Ottomans.
En fait, son traité est une lecture de tout instant, sous toutes les latitudes, en ce sens qu'il se prête à  une double approche : politique et psychologique à  la fois. Selon son analyse, le despotisme politique est révélateur de l'absence totale d'humanisme car il ne permet aucune évolution, de quelque nature qu'elle soit, au sommet comme à  la base. Ainsi donne-t-il en exemple l'empire ottoman qui connaissait alors ses derniers soubresauts en Turquie et dans le Moyen-Orient qu'il tenait encore sous sa domination. Quant au despotisme qui est d'ordre psychologique, il fait de l'être humain un esclave «à la merci de quelques instincts, à  un type de comportement imperméable au moindre changement».
En intellectuel éclairé et engagé qui rappelle, par bien des aspects, certains hommes du siècle des lumières en Europe, Al Kawakibi se guide surtout à  la lumière du message coranique pour étayer ses idées sur le despotisme. Celui-ci sera toujours présent, voire menaçant, dans les sociétés les plus évoluées, dès lors qu'il peut prendre racine un peu partout, chez l'individu en tant que tel comme dans la grande société. Le corps à  corps est donc inévitable d'autant que la liberté, comme l'affirme Al Kawakibi, a été créée  afin que l'homme puisse se regarder et se corriger.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)