Alors que la Méditerranée est considérée comme une des régions les plus vulnérables face au changement climatique, le Maghreb n'a toujours pas réfléchi à une stratégie commune. A l'occasion de la Conférence de Copenhague, qui débute lundi, Mohamed Senouci, membre algérien du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, fait le point.
Les pays du Maghreb figurent parmi les pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Que peuvent-ils attendre de Copenhague, qui s'annonce déjà comme une réunion d'arrangements entre pays riches ' La région est non seulement exposée à un ensemble de risques dont des phénomènes extrêmes (sécheresse, inondations') sont visibles parce que médiatisés, mais aussi des phénomènes plus silencieux qui auront à moyen terme un impact plus important. Les petites augmentations de température ou les petites baisses de précipitations, par exemple, plus diffuses mais cumulées sur plusieurs années, auront des effets majeurs sur les systèmes agricole ou hydraulique. En cela, les conclusions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ont été très claires : la Méditerranée, même si elle semble en apparence moins vulnérable que l'Afrique subsaharienne, constitue un véritable hot spot, d'autant qu'il s'agit d'une zone densément peuplée dont l'avenir économique a un impact sur l'équilibre régional. Le problème, c'est que l'on est parasité par Copenhague. On pense qu'il y aura un avant et un après Copenhague, qui, à bien des égards, semble s'orienter vers des arrangements entre pays industrialisés. En réalité, le chemin est encore long, le champ des possibles est encore ouvert, à condition de ne pas relâcher l'effort et de maintenir en vie un cadre de négociations internationales. A charge pour les pays de refonder un tel cadre multilatéral ! En novembre dernier, les experts du climat au Maghreb, réunis à Marrakech, avaient dénoncé le fait que les pays du Maghreb n'avaient pas mis au point de stratégie régionale. Un an après, où en est-on ' Il n'existe toujours pas de stratégie, parce que le Maghreb n'est pas visible politiquement parlant. Sans structure politique active, il est très difficile d'exister. Prenons le cas de l'Afrique : pour la première fois, on se dirige vers une position africaine commune, au moins sur des éléments de principe. C'est-à-dire que les Etats se sont mis d'accord pour demander à ce que les pays industriels prennent des engagements tangibles en faveur des pays en voie de développement et affichent un chiffre clair sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et si cela est possible, c'est en grande partie grâce au dynamisme de l'Union africaine et du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad), autrement dit, des représentations politiques, qui, dès qu'elles se sont mises en marche, ont cristallisé les points de vue. L'Algérie a joué un rôle actif dans cette démarche en présidant le Groupe Afrique dans les négociations de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (Unfccc) C'est aussi une des critiques formulées par certains scientifiques qui accusent les climatologues d'avoir « idéologisé » le débat scientifique et de surestimer les effets du réchauffement' Mais il faut rappeler que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a été créé en 1988, à la demande du G7 (devenu G8) par le Programme des Nations unies pour l'environnement et l'Organisation météorologique mondiale. Les politiques ont voulu se défausser de la question et l'ont confiée aux scientifiques en se disant qu'entre-temps, ils allaient trouver des solutions politiques. Mais, maintenant que le centre de gravité s'est déplacé vers les climatologues, c'est sûr, les politiques vont tenter de récupérer tout cela, et c'est d'ailleurs déjà le cas' En ce qui concerne la controverse scientifique, la seule, qui existe, concerne la cause du réchauffement climatique. Certains prétendent que le CO2 n'est pas le seul responsable. Tout le reste fait l'objet d'un large consensus, notamment la réalité observée du changement climatique et le fait que cette dérive climatique va se poursuivre au cours du siècle actuel. Certains climatologues regrettent même de ne pas avoir été plus alarmistes. Car sur les points où le taux de confiance était le plus faible, par exemple, la fonte des glaces, les trois ou quatre ans qui viennent de s'écouler ont montré que la situation est bien plus grave et empire plus vite que prévu. Alors, on peut toujours remettre en cause les modèles, mais pour les projections, il n'existe pas d'autre outil, on ne sait pas faire cela en laboratoire. Enfin, il est tout de même surprenant que la controverse agite certains milieux quelques jours avant Copenhague. Avant son adoption officielle, le quatrième rapport du GIEC a subi un processus continu et ouvert de validation. Le rapport contient de façon explicite les aspects sur lesquels des doutes scientifiques subsistent et souligne avec force les questions qui doivent être résolues dans le futur rapport. La société civile, les politiques, au Maghreb, ont-ils réellement pris conscience du danger ou est-ce encore quelque chose de « lointain » ' Avec un recul d'une quinzaine d'années, je dirais qu'il y a eu une évolution perceptible. Il y a dix ans, le climat était perçu comme un problème extérieur vécu « par le haut ». Mais les médias ont fait un travail fabuleux. Du côté de la population, les catastrophes naturelles qui se sont succédé ont favorisé cette prise de conscience, même si parfois la tentation est grande d'agiter le spectre du réchauffement climatique alors que nous manquons de données scientifiques. Du côté scientifique, il faut reconnaitre que beaucoup de choses restent à faire, à commencer par la mobilisation et la structuration de la communauté scientifiques autour de ce thème. Sur 650 laboratoires de recherche, aucun ne traite des changements climatiques de façon spécifique (alors que l'université de Marrakech, par exemple, est en train de devenir un pôle d'excellence sur le sujet). Et sur les 34 grands axes nationaux de recherche, le climat est abordé de façon très éclatée. Du côté des décideurs sectoriels, la prise de conscience n'est pas clairement affichée. Naturellement, on peut se féliciter qu'au plus haut niveau, des orientations figurent parfois de façon explicite dans le discours du président de la République, ou que le ministère de l'Aménagement du terriroire ait lancé, en juin 2009, un appel à des projets de recherche dédiés à la question. Mais l'action gouvernementale demeure très variable d'un secteur à l'autre, alors que le changement climatique ne possède pas, en vérité, un périmètre institutionnel précis, il est l'affaire de tous les secteurs. Cela dit, si les citoyens se sentent aujourd'hui davantage concernés, cela peut influer sur les choix futurs des politiques qui devront reposer, ne l'oublions pas, sur un certain degré d'acceptabilité sociale. La journée spéciale consacrée au changement climatique organisée par le Sénat, début novembre, en est une illustration. Je crois qu'on bascule doucement vers un nouveau paradigme, qu'il s'agira d'intellectualiser, d'internaliser et de transformer en véritable dynamique du développement futur. Sans oublier que les négociations internationales sur le climat, quels qu'en soient les résultats, influeront aussi sur les décisions internes. Les microprojets réalisés à l'échelle locale ' aménagement de petits barrages pour améliorer l'approvisionnement en eau des populations rurales marocaines, réhabilitation du palmier dattier en Tunisie, système de recyclage naturel des eaux usées dans des villages algériens 'émanent-ils d'une vision globale sur le sujet ' Non, mais elles ont pour intérêt de démontrer que les problèmes d'adaptation aux impacts actuels et futurs des changements climatiques doivent être appréhendés localement. C'est aux pouvoirs publics de libérer les initiatives et les scientifiques auraient un rôle majeur à jouer dans l'accompagnement des projets locaux. Il faut une stratégie nationale pour le long terme, mais il est prématuré d'envisager des Grenelles du changement climatique. Il faut attendre d'avoir recueilli suffisamment de données et d'informations sur le terrain (incluant les savoirs locaux) pour envisager d'abord des stratégies locales viables et efficaces avant de consolider toutes ces expériences en politique en coordonnées. Les villes auront certainement un rôle important à l'avenir sur cette question.
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Posté Le : 04/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mélanie Matarese
Source : www.elwatan.com