, lors de l'émissionLa chute spectaculaire du prix du pétrole survenue entre juin et décembre 2014, le cours du Brent passant de 100 à 50 dollars en l'espace de quelques mois, a eu un effet dévastateur sur les exportations algériennes composées à près de 94% d'hydrocarbures. La chute des prix se conjugue à une contraction des quantités d'hydrocarbures exportées (-9% au T1 2015 par rapport au T1 2014). Les recettes à l'export ont donc logiquement fondu de moitié, comme en attestent les chiffres des douanes algériennes pour le premier semestre 2015. Durant les six premiers mois de 2015, les exportations se sont établies à 19,28 mds usd contre 33,24 mds usd à la même période de 2014, soit une baisse de près de 42%.Quant aux importations, elles se sont chiffrées à 27,07 mds usd contre 30,07 mds usd durant la même période de l'année écoulée, en baisse de 9,98%. Cette baisse faciale des importations est due en partie à la baisse de l'euro qui a perdu 15% de sa valeur contre le dollar entre le S1 2014 (1,35 EUR/USD en moyenne) et le S1 2015 (1,15 EUR/USD en moyenne) ? l'Algérie réalisant 40% de ses importations avec la zone euro - ainsi qu'à la baisse constatée au niveau mondial sur les prix des produits alimentaires et les matières premières industrielles importées par l'Algérie. Ainsi, les baisses d'importations en valeur de produits énergétiques (-1,12 mds usd), de biens de consommation non alimentaires (-4,5 mds usd) et de produits alimentaires (-5,12 mds usd) ont été plus que compensées par les importations de biens d'équipements en forte hausse. En réalité, on observe donc une poursuite de la croissance des importations, hors effets de change et de prix des produits importés.Dans ce sillage, les réserves de change de l'Algérie ont enregistré une forte contraction en s'établissant à 159,918 mds usd à fin mars 2015 contre 178,938 mds usd à fin décembre 2014, selon les derniers chiffres de la Banque d'Algérie. Il est probable qu'à fin juin 2015 les réserves de change officielles sont d'ores et déjà en deçà de 150 mds usd et qu'elles se situent autour de 130 mds usd d'ici la fin de l'année. Ces réserves restent confortables au regard d'une dette externe limitée à 3,8 mds usd, mais leur contraction importante en l'espace de quelques mois aurait pu être évitée si une dépréciation plus significative du dinar algérien avait été initiée. Ce dernier s'est bien déprécié de 11% par rapport au dollar entre décembre 2014 et mars 2015, mais cette dépréciation modeste traduit essentiellement une adaptation à la baisse du cours EUR/USD. De l'avis même de la Banque d'Algérie, "Le taux de change effectif réel du dinar algérien reste apprécié par rapport à son niveau d'équilibre de moyen terme, en situation d'élargissement du différentiel d'inflation et de tensions sur les marchés de change".Les finances publiques algériennes ont été fortement affectées par la chute du prix du pétrole en raison de leurs dépendances vis-à-vis de la fiscalité pétrolière. Sur la période 2000-2013, cette dernière représentait entre 60% et 75% des encaisses totales effectivement recouvrées par l'Etat. La création du Fonds de Régulation des Recettes (FRR) au début des années 2000 traduisait une volonté de thésauriser une partie des encaisses de la fiscalité pétrolière au delà d'une masse correspondant à un prix de référence de 19$/baril de pétrole brut jusqu'en 2007, puis de 37$/baril à partir de 2008. La plus-value des recettes recouvrées au delà de ce volume budgétisé était transférée au FRR. Ce dernier a été utilisé dans un premier temps pour rembourser par anticipation la dette extérieure algérienne avec un décaissement total de 36 milliards de dollars sur la période 2000-2008 (sur la base des montants annuels décaissés en dinars et du taux de change moyen USD/DZD constaté pour chaque année).A partir de 2006, le FRR a été ponctionné dans des proportions de plus en plus importantes pour combler un déficit budgétaire croissant. Ce dernier a explosé en 2011 suite à une augmentation massive des dépenses de fonctionnement. Hors cet "effet 2011", les dépenses de fonctionnement auraient été inférieures en 2014 de près de 10 mds usd par rapport à leur niveau anticipé en intégrant cet effet. Les dépenses d'équipement, quant à elles, non pas été comprimées et ont au contraire poursuivi leur croissance dans les années 2011-2014 pour se situer autour de 31 md usd en 2014. Si l'on en croit la LFC 2015 (Loi de Finances Complémentaire), le gouvernement ne prévoit pas de freiner la progression des dépenses d'équipement. Exprimées en dollars, celles-ci progresseraient de 20% sur un an pour atteindre 38 mds usd fin 2015. Le gel des projets d'équipement non encore engagés devrait impacter le budget 2016 et priver l'économie algérienne de son moteur principal de croissance, l'investissement public.De manière générale, cet état des lieux montre le caractère déséquilibré et non soutenable des finances publiques algériennes, dont les hypothèses de base ont été calées sur des recettes pétrolières élevées, des niveaux de subventions explicites et implicites sur l'énergie et les produits alimentaires qui frisent les 30% du PIB, et des dépenses d'équipement colossales ? 20 à 25 milliards de dollars par an - dont le financement par voie budgétaire n'est plus possible.Compte tenu du niveau atteint par ces dépenses, le prix du pétrole qui équilibre les comptes publics ? le "point mort" fiscal - se situe selon nos calculs autour de 120$/baril depuis 2011. Le manque d'actualisation de ce "point mort" fiscal, ainsi que les ponctions croissantes sur un fonds qui n'aurait du servir qu'à la marge ? comme instrument de régulation - et non comme mode de comblement principal d'un déficit structurellement déséquilibré, ont enlevé toute sa raison d'être au FRR. Au regard d'un déficit colossal de 38 mds USD projeté par le gouvernement dans la LFC 2015, et en intégrant "l'effet d'aubaine" liée à la dépréciation du dinar, il restera d'après nos calculs un solde de 10 à 15 milliards usd dans le FRR d'ici la fin de l'année 2015.Ces considérations montrent l'urgence qu'il y a aujourd'hui à prendre à bras le corps la question des subventions, dont de nombreuses études ont montré qu'elles étaient à la fois inefficientes, coûteuses et inéquitables. Ces subventions sont inefficientes car elles encouragent une surconsommation locales des ressources, énergétiques notamment, dont le coût d'opportunité se mesure en termes de recettes d'exportations perdues, ainsi qu'en coûts liés à la congestion des agglomérations urbaines, au premier chef desquelles figurent la capitale, Alger, qui accapare près de 25% des immatriculations automobiles sur le marché national.De la même manière, les subventions implicites sur le prix de l'électricité n'incitent pas les industries locales à se moderniser et à réaliser des gains de productivité pour accroitre leur compétitivité. Cela est valable y compris pour les industries très énergivores comme la sidérurgie ou la cimenterie pour lesquelles les subventions devraient être temporaires dans le cadre d'un contrat de performance conclu avec la puissance publique. Les subventions énergétiques implicites - hors budget - représentent entre 10% et 15% du PIB algérien, selon le FMI. Elles sont extrêmement coûteuses pour l'Etat en le privant de recettes fiscales considérables, et elles empêchent Sonatrach, déjà ponctionnée lourdement par l'Etat au titre de la fiscalité pétrolière, de constituer une capacité d'autofinancement suffisante pour investir à la fois dans l'amont et dans l'aval pétrolier et gazier, se diversifier dans les énergies renouvelables, et déployer une stratégie de développement à l'international.Ces subventions, enfin, sont inéquitables puisque les études les plus sérieuses comme celles du FMI et de la Banque mondiale montrent qu'elles profitent jusqu'à dix fois plus au premier quantile de la population en termes de revenus (les 20% les plus riches) par rapport au dernier quantile (les 20% les plus pauvres). Elles sont donc associées à des politiques sociales régressives et non redistributives. Les politiques de transfert monétaire ciblées sur la population sont beaucoup plus équitables, avec pour corollaire un coût qui représente une fraction seulement de celui des subventions généralisées. Les propositions ne manquent pas pour réformer le système, qu'elles viennent d'organisations internationales, d'universitaires algériens et étrangers ou de think tanks comme NABNI et CARE, ainsi que du FCE (Forum des Chefs d'Entreprise) qui appellent tous le gouvernement à se saisir en priorité de ce problème. Ce qui importe c'est de conduire ces réformes en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, en utilisant des technologies innovantes comme les cartes à puce et l'identification biométrique pour cibler les bénéficiaires de transferts directs de revenus, et de prévoir une montée en puissance graduelle des réformes pour atténuer l'impact négatif sur les prix et sur l'activité économique.Le financement des infrastructures nécessite également un changement de stratégie et des actions concrètes. Le gouvernement avait déjà évoqué l'année dernière la participation des banques publiques à la réalisation des grands équipements sans donner de plus amples détails. Or, les banques algériennes font face aujourd'hui un retournement violent de leur situation en matière de liquidité, passant d'une situation de surliquidité à une situation d'insuffisance de liquidité nécessitant un refinancement auprès de la Banque d'Algérie. En soi, une telle situation de manque structurel de liquidité bancaire n'est pas nécessairement mauvaise, puisqu'elle donne enfin l'opportunité à la banque centrale de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort, et de mettre en oeuvre une véritable politique monétaire, en utilisant non seulement l'instrument des réserves obligatoires mais également l'instrument des opérations de refinancement comme cela est le cas dans la plupart des autres pays émergents. Néanmoins, cela signifie que l'appétit des banques pour financer des projets à très long terme mobilisant des ressources précieuses est limité.Face à cela, il est urgent aujourd'hui d'associer les opérateurs privés aux grands projets d'infrastructures en rationalisant ces derniers et en réalisant des études beaucoup plus approfondies sur leur coût d'opportunité social, ainsi que sur leur viabilité économique et financière. La mise en place de tels Partenariats Publics Privés (PPP) nécessite généralement un engagement fort de l'Etat à couvrir tout ou partie du risque économique associé à la construction, et à l'exploitation de ces équipements (autoroutes, voies ferrées, métros et tramways, ports, aéroports, centrales électriques, réseaux de télécommunications, etc.).On peut aussi penser à la création d'un fonds d'investissement public pour le développement des infrastructures qui pourrait associer des bailleurs de fonds internationaux et d'investisseurs privés au financement des projets. Cette association pourrait se faire à la fois par la souscription d'obligations émises par ce fonds et garanties par l'Etat, ou par la participation conjointe des investisseurs privés dans les PPP évoqués pus haut. Ce fonds pourrait être créé sur la base du reliquat du FRR et bénéficier d'un effet de levier important grâce à l'attraction de financements complémentaires nationaux et étrangers.Dans les faits, le FRR finance aujourd'hui à la fois des dépenses d'équipement et des dépenses de fonctionnement qui ont fortement crû après 2011, ce qui n'est pas optimal d'un point de vue économique. Transformé en Fonds national pour les infrastructures, adossé aux capacités d'expertise technique de la CNED (Caisse Nationale d'Equipement pour le Développement), il pourrait le cas échéant continuer à être abondé par les recettes de la fiscalité pétrolière après avoir révisé le point mort fiscal à un niveau plus réaliste, et limité les ponctions budgétaires aux bénéfices réalisés par le fonds. Il prendrait en charge à concurrence avec les banques, les opérateurs privés et les bailleurs de fonds internationaux une partie du financement des équipements publics, allégeant du même coup considérablement les finances publiques. De plus, en bénéficiant d'une autonomie de gestion, lui permettant d'attirer des compétences pointues, il pourrait déployer ses ressources dans un cadre pluriannuel soumis au contrôle du parlement, et à des obligations de transparence et de communication renforcées.En définitive, les solutions techniques ne manquent pas pour sortir de l'impasse budgétaire actuelle. Ce qui importe c'est de prendre conscience de la non soutenabilité des déséquilibres hérités d'une période d'abondance artificielle, et d'opérer une révolution copernicienne dans la philosophie et dans les modalités de l'action publique. Dans un contexte de raréfaction des ressources issues de la rente, c'est un préalable indispensable pour poursuivre la réalisation des objectifs ambitieux de développement inscrits au coeur du pacte politique et social algérien, tout en passant le relais au secteur privé, en décarbonant l'économie algérienne et en la plaçant sur un sentier de croissance équilibrée et soutenable.Alexandre KatebChef économiste de Tell Group.Tell Group est un groupe de services financiers diversifiés avec une présence à Alger, Dubaï, Paris, Londres, Monaco. Tell Markets, filiale de droit algérien de Tell Group est la première société privée à avoir obtenu une licence IOB (Intermédiaire en opérations de Bourse) auprès de la COSOB.
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Posté Le : 04/08/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Alexandre Kateb
Source : www.maghrebemergent.info