C’est une erreur de croire que les faussaires ne s’intéressent qu’aux secteurs juteux, c’est-à- dire ceux qui rapportent vite ; les pâles copies du tapis de Babar (made in China, en Turquie et quelquefois même en Syrie) circulent déjà chez un bon nombre de commerçants.
Située à une trentaine de kilomètres au sud de la ville de Khenchela (chef-lieu de wilaya), la petite commune de Babar se targue d’être la capitale ou encore la gardienne du tapis berbère de la tribu des Nememchas, l’une des plus grandes sinon la plus grande tribu des Aurès. Une tradition plurimillénaire que les Nememchas ont su garder et sauvegarder, contrairement à d’autres régions du grand Aurès, où le tissage a pratiquement disparu, hormis le tapis des H’rakta (une tribu des Aurès) dans la région de Aïn El-Beïda et Oum El-Bouaghi où quelques familles continuent, en dépit des difficultés, à maintenir la hazata (métier à tisser), souvent pour répondre aux besoins de la famille et rarement comme un moyen de production de richesse.
Loin de la carte postale et des dépliants bien illustrés et distribués lors des différentes manifestations culturelles et touristiques, loin de la réalité du terrain, même avec de bonnes intentions, le tapis de Babar n’est pas au meilleur de sa forme. Et pour cause…
PÉRIL JAUNE
Un danger, et pas des moindres, menace cette richesse nationale, ce patrimoine universel : la contrefaçon. Car c’est d’elle qu’il s’agit. C’est une erreur de croire que les faussaires ne s’intéressent qu’aux secteurs juteux, c’est-à-dire ceux qui rapportent vite, au moindre coût et en catimini, grosse et énorme erreur. Les contrefacteurs s’intéressent à tout et pour preuve : les pâles copies du tapis de Babar (made in China ou Turquie et quelquefois même en Syrie) circulent déjà chez un bon nombre de commerçants qui écoulent leurs marchandises, certes, loin de la région (à Sétif, Batna et autres grandes villes). Mais qui va les empêcher de s’emparer du marché et de l’inonder par l’ersatz et l’imitation comme ils ont l’habitude de le faire dans les autres secteurs ?
Pour les non-connaisseurs parmi les consommateurs, c’est une bonne affaire, une aubaine même ; la forme est la même, les motifs sont identiques et, en plus, c’est beaucoup moins cher. Si on laissait faire, nous partagerions la responsabilité de la mort d’une empreinte millénaire et nous aurons signé de nos propres mains cette condamnation à mort subite, car notre silence serait complice. Il va sans dire que chez les vendeurs et les revendeurs de tapis, on regrette beaucoup le temps où les touristes des quatre coins du monde, Allemands, Américains, Français ou Italiens frappaient aux portes des villageois pour leur demander s’ils ont des tapis à vendre. C’était à la fin des années 1970. Chez Bouaziz Tahar, vendeur de tapis, le temps n’est pas aux bonnes affaires, mais plutôt aux ventes occasionnelles. Il nous dit à ce propos : “Il y a des artisans qui déposent chez moi leurs marchandises (tapis, oreillers, carpettes). J’en vends et je prends ma marge, ça se passe comme ça.”
En connaisseur, il nous informe que c’est à partir du noir, rouge et blanc que les sept couleurs du tapis naissent, c’est l’une des spécificités du tapis de Babar. “Mais en plus de la rareté des clients, il y a la concurrence déloyale qui fait mal au tapis chaoui. De la Turquie, de la Chine et même de la Syrie, on vous propose des tapis qui ont presque les mêmes motifs, les mêmes couleurs, mais qui ne sont pas authentiques, en plus d’être de mauvaise qualité.”
Un malheur ne vient jamais seul et la suite nous enseigne que ce tapis a beaucoup trop d’ennemis visibles, invisibles et dissimulés
“La vieille femme était seule, face à elle-même, face à ses enfants que Dieu lui a donnés. Les paras arrivent la nuit, à bord d’un half-track, cassent la porte et emportent son mari. Elle le suit en pleurs et lui demanda : Que vais-je faire de ceux-là. Ils étaient onze à dormir à même le sol. Son mari lui répondit en levant le doigt vers le ciel : ils ont celui-là ! Cette histoire est longue comme les nuits qu’elle a passées seule à tisser le tapis ; ce beau tapis où elle mit toute sa vie pour le finir. Ce tapis était son confident, elle lui chantait des airs oubliés, elle lui racontait avec des couleurs ses joies et ses souffrances. C’était son journal, c’était sa vie. Ainsi s’écrit l’histoire de nos mères tantôt sur la pierre, tantôt par le chant, tantôt par le fil et les couleurs.”
À l’artisanat, comme l’appellent les habitants de Babar, qui est en réalité une coopérative municipale mitoyenne au siège de l’APC, où sont employées 45 ouvrières.
Arrivés à 9h, nous n’avons pu accéder à ce modeste atelier qu’après moult tractations : on nous invoque l’absence du maire pour une réunion à la daïra, mais ce n’était pas la véritable raison. La rencontre avec les tisseuses semblait gêner plus d’un. Ce n’est qu’à 10h30 passées qu’on ouvre comme une cellule, la lourde porte dudit atelier. La prise de contact s’annonce délicate et difficile. Les ouvrières semblent méfiantes et distantes, et la présence de deux membres de l’Assemblée communale, qui nous accompagnaient, n’arrangeait pas la situation. Il fallait donc recourir à la langue maternelle, le chaouia, pour installer le tant soit peu de confiance. Crescendo, l’atmosphère se détendait et les tisseuses acceptaient, tant bien que mal, notre présence. Notre première interlocutrice s’appelle Djamila M’hamdi et compte 15 ans d’exercice à la coopérative.
Considérée comme l’une des plus anciennes, elle parle avec confiance et nous donne quelques explications : “ici nous tissons plusieurs types de tapis, coussins ou carpettes, exclusivement en laine de mouton. Cependant ce sont les tapis muraux qui sont les plus demandés. Avant, ce genre de tapis servait à séparer les espaces hommes et femmes. De nos jours, ce tissage sert à l’ornement des maisons, mais aussi de certains édifices. Pour aller vite, nous travaillons à deux ou quatre ouvrières et parfois plus sur le même tapis (ahouli), qui peut prendre trois à six mois…” Une autre ouvrière, beaucoup moins chevronnée, 7 ans d’exercice, Mme Hamdaoui, nous rappelle, avec une certaine fierté, que le tapis de Babar avait décroché un prix mondial en 1910, lors d’une exposition universelle en France. C’est la famille Sid, une lignée d’artisans de père en fils, qui ont toujours gardé jalousement le secret du bien-faire, mais aussi des motifs et dessins qui ornent, jusqu’à nos jours, le tapis de Babar. D’ailleurs, l’encadreuse des ouvrières n’est autre qu’une arrière-petite fille Sid, pour dire combien la famille est attachée au tissage.
Le nom de famille Sid est synonyme de tapis de Babar. Le dégel n’est pas total avec le reste des ouvrières qui affichent une certaine méfiance. C’est après lui avoir donné des garanties de rapporter intégralement ses propos que Salmi Alima accepte de nous parler. Elle nous dit avec rage et en chaoui : “Vous venez, vous nous prenez en photo puis plus rien. On ne vous reverra jamais. Notre situation est la même depuis des années. Vous savez combien je touche après un mois de travail ? Eh bien ! j’ai honte de le dire, à peine 3000 DA et quelques centimes, après 12 ans de labeur. L’atelier m’a pris ma santé et ma jeunesse.” Elle s’arrête un instant, étouffée par les larmes, puis elle continue : “nous sommes 45 ouvrières, il n’y a aucune qui soit permanente. Nous sommes toutes rémunérées au filet social, alors qu’un bon nombre de filles sont mariées.”
Les paroles d’Alima nous expliquent qu’il n’y avait aucune méfiance mais plutôt de l’amertume, de se voir exposée comme une curiosité de foire, comme c’était le cas il y a quelques jours, lors de la fête du tapis, mais celles qui le font, il faut oser le verbe qui (enfantent) ce tapis qu’on expose fièrement comme patrimoine matériel de notre culture, souffrent le œmartyre, comme cette autre ouvrière qui nous montre sa main, sachant qu’elle n’est pas la seule. Elle souffre de polyarthrite. Comment peut-on rester sourd à ces cris de détresse ? D’un côté, des conditions de travail remontant au Moyen-âge et de l’autre, un ennemi sournois, traître, qui risque de faire disparaître une empreinte millénaire qu’on nomme fièrement l’écriture avant l’alphabet. Un jeune étudiant prépare une thèse de fin d’études qu’il consacre au tapis de son village natal, Babar.
Dans sa recherche, ce dernier découvre qu’en 1968, la poste algérienne avait émis 500 000 exemplaires d’un timbre intitulé “Tapis des Nememchas”. Les idéogrammes et les motifs font aussi l’objet d’une recherche approfondie. Il se fait aider pour cela par les anciens du village. L’épi qui annonce la belle saison, le père qui rentre enfin chez lui après avoir pris part aux batailles, le cheval blanc annonce la naissance d’un nouveau-né en bonne santé… une prise en charge réelle par la tutelle est impérative dans les meilleurs délais.
source: Liberte
Si ce n'est pas trop tard
Syphax Hamatou
19/08/2014 - 211120
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Posté Le : 16/06/2014
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Quotidien Liberté
Source : http://www.city-dz.com/ Publié le 31 juillet 2010