Algérie

«Contre le terrorisme, des pays européens ont eu recours à la torture» Christian Nils Robert. Expert onusien de lutte contre la torture



Professeur à l'université de Genève, Christian Nils Robert est expert européen auprès du comité de lutte contre la torture et aussi du conseil de l'Association de prévention contre la torture (APT). Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il parle de la croisade que mène son organisation pour interdire cette pratique hideuse partout dans le monde, y compris en Algérie.
- Traiter le sujet de la torture dans un pays où cette pratique est toujours considérée comme un tabou'

Je fais une lecture particulière parce que je suis en Algérie, un pays que je connais. J'ai essayé d'utiliser dans mon exposé introductif le moins possible le terme torture parce que je sais que celle-ci renvoie à des souffrances terribles sur plusieurs générations. D'abord celle vécue par la génération de la période coloniale et de la guerre de libération. Puis celle vécue plus récemment, durant les années 1990, où le pays a été confronté au terrorisme. Je me suis dit qu'il ne fallait pas utiliser le mot torture, qui doit réveiller des douleurs dans l'esprit des Algériens. Evidemment, la convention onusienne parle de torture, mais moi je préfère parler de traitement inhumain et dégradant. Cela répond plus à l'attitude de croisade que l'APT mène pour une bonne gouvernance dans les établissements où se trouvent les personnes en situation de vulnérabilité.

- Est-ce que l'Algérie est un pays où la torture est une pratique courante '

L'APT est une association préventive, donc elle promeut la prévention au lieu de la réaction. Elle n'est pas habilitée à traiter les plaintes individuelles. C'est la commission africaine qui devrait d'abord recevoir les plaintes individuelles. Elle n'est pas bien fonctionnelle, mais cela finira par arriver. C'est elle qui devrait agir de façon réactive et, de notre côté, nous intervenons en amont pour prévenir contre les actes de mauvais traitement. Je suis expert auprès du Comité Europe. Pour la commission contre la torture, lorsque nous intervenons, en tant que comité, au niveau d'une prison ou d'un asile psychiatrique, nous analysons l'ensemble de l'institution pour voir où sont les points faibles ou les mauvaises gouvernances qui pourraient laisser échapper aux surveillants ou membres du personnel de santé, des comportements inadéquats ou inadaptés à la situation du détenu ou de la personne en cure de soins.

- Certains experts estiment que les meilleurs des textes en matière de lutte contre la torture ne servent à rien s'ils ne sont pas suivis d'une volonté politique de les appliquer. Qu'en dites-vous '

Le mécanisme que nous essayons de promouvoir dans le monde est un mécanisme national, donc interne, mais qui doit être fortement indépendant, très solide financièrement, donc sans dépendance directe du gouvernement ou du Parlement, composé de gens compétents auxquels les détenus et les malades psychiatriques peuvent faire confiance, pour ensuite que ce conseil essaye de promouvoir des actions correctives dans les établissements analysés. Le mécanisme national de prévention est aussi un moyen préventif. Il ne sera pas chargé uniquement de recevoir des plaintes. Il peut utiliser celles-ci comme moyens d'alerte. Mais le premier et le plus important de ses objectifs est l'analyse systémique des institutions et des systèmes de protection contre la torture'

- Comment pouvons-nous instaurer ces systèmes de protection lorsque l'on sait que dans beaucoup de pays, l'accès aux lieux de détention est interdit aux ONG '

C'est le grand défi de ce Suisse qui a eu l'idée de créer une convention européenne, puis un protocole facultatif. C'est effectivement une confrontation avec la puissance institutionnelle répressive de n'importe quel Etat, qui est une puissance régalienne. C'est extraordinaire de contraindre les Etats à la signature et la ratification de ce protocole facultatif et d'instaurer une institution à l'intérieur de l'Etat pour lutter contre cet Etat, puisque la torture est pratiquée par l'Etat. Je pense que certaines institutions sont plus exposées que d'autres à exploiter ces situations de vulnérabilité, notamment durant les premières heures d'arrestation. Cela peut être le cas en matière de lutte contre le terrorisme et il est évident qu'il faille prendre en considération des situations réelles pour obtenir des informations. Mais il est de notoriété publique que nous obtenons plus d'informations lorsque nous ne torturons pas. Les convictions d'un torturé sont exceptionnelles au point que l'on considère que pratiquement dans l'histoire, à part quelques exceptions que la CIA a évoquées récemment, on n'a jamais pu obtenir des renseignements valables. Soit ce sont des aveux faux, soit ce sont des personnes qui résistent dans des situations des plus extrêmes. Dans ces conditions, il est exceptionnel que les tortionnaires obtiennent des résultats et les chances d'obtenir des renseignements en créant ces situations, appelées «la bombe à retardement», sont infimes.

- Pourtant, ce moyen inhumain est de plus en plus utilisé par les pays confrontés à la lutte contre le terrorisme, y compris par les Etats souvent présentés comme étant des défenseurs des droits de l'homme'

Dans ces situations, les tortionnaires vous disent soit qu'ils n'ont rien obtenu, soit qu'ils ont arraché de faux aveux, soit qu'ils ont été confrontés à des personnes très fortes de personnalité, qui résistent. Dans cette guerre contre le terrorisme, il y a effectivement les Etats-Unis, mais aussi une brochette de pays européens qui ont contribué les yeux fermés, consciemment ou non, à des actes de torture, de pressions psychologiques, physiques, sur des personnes qui ont transité par des pays européens. Cela est totalement inadmissible et s'est fait en violation de la convention contre la torture.

- Selon vous, l'Algérie est-elle disposée à signer le protocole facultatif à la convention onusienne de lutte contre la torture '

Je pense que cette journée consacrée au protocole facultatif, que la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l'homme a organisée à Alger, est très révélatrice et les déclarations du président de cette commission me rendent très optimiste. Il est important de multiplier ce genre de rencontres pour réunir la société civile avec les institutions de l'Etat pour des actions de ce genre, dans le but de promouvoir la signature de ce protocole et d'inciter à la création d'un mécanisme national de protection ' peut-être la Commission, peut-être une autre qui réponde à des critères connus que l'APT a publiés 'qui sera à même de veiller de manière très indépendante, au respect des engagements internationaux de l'Algérie, notamment en matière de lutte contre la torture et les traitements inhumains des personnes vulnérables.


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