Algérie

“Contre l’institutionnalisation de la religion”



Liberté : Vous êtes connu en homme qui bouscule les mentalités et vous paraissez souvent provocateur et même polémique ?
Adonis : Je revendique ces deux epithètes. Je suis même content de générer autour de moi et autour de ce que j’écris cet esprit polémique et provocateur qui remet en cause tout ce qui relève du conservatisme. On ne peut pas construire un avenir sur un passé dépassé de toute part. Le passé n’est valable que s’il est perçu comme point d’appui et d’élancement pour mieux se projeter vers l’avenir. Le monde arabe est victime
justement du statisme des idées imposées par des régimes tyranniques restés hélas cloués à un passé révolu.
Le tissu social dominant dans les pays arabes est le tissu religieux et les forces laïques n’ont pas été capables de proposer une alternative et libérer ainsi l’esprit bridé. Je suis contre l’institutionnalisation de la religion. Toute ma philosophie est un appel au changement qui doit se construire sur une lecture lucide et réfléchie du passé.Comment jugez-vous la production poétique arabe aujourd’hui?
La poésie arabe et même la littérature arabe dans son ensemble, jadis créatives et productrices de thématiques attractives, ont cessé d’être libres depuis que la dimension religieuse les a enrobées. Elles ne suggèrent plus de hauteur de vue dans les débats d’idées. Il n’y a pas que ces deux disciplines qui accusent un net retard. Il y a aussi et surtout le domaine politique qui est totalement sclérosé par la religion. On ne règle pas les problèmes sociaux avec une mentalité dépassée. La langue arabe mérite d’être libérée de l’embrigadement des textes religieux car la liberté est le facteur essentiel pour toute réussite. La religion est un apport à Dieu et en tant que telle, elle doit être mise à l’abri de la pratique et de la conception profanes. Nous assistons au retour des religions de part le monde. Mais face à ce retour il y a des remparts institutionnels érigés ailleurs que les Arabes n’en n’ont pas. C‘est toute la problématique qui se pose alors.Que représente pour vous l’écriture ?
Je vis en permanence à la recherche d’une écriture. Je n’ai pas une définition toute prête de l’écriture. Je suis comme un aventurier qui cherche à impulser un changement aux textes arabes actuels car les intellectuels arabes ne remplissent pas leur mission d’éveilleurs des peuples et des consciences. Ils sont otages de la complaisance et de la complicité.Vous êtes poète traduit dans de nombreuses langues et surtout très sollicité. Quel sens donnez-vous à la dimension universelle ?
 On ne naît pas universel mais on peut le devenir. Ce n’est cependant pas une fin ou un objectif en soi. Un grand poète doit nécessairement jaillir de quelque part, je veux dire d’un milieu initiatique où naissent les premiers sentiments, les premières pulsations. Ce peut-être son petit village du coin, sa ville ou encore son pays. Pour arriver à l’universel, il faut démarrer du local. C’est-à-dire à partir de soi-même d’abord. L’universalité est la somme des âmes de la culture. à ce propos, vous avez été nominé cette année au Nobel de littérature…
Oui, j’ai été nominé pour la cinquième fois. Mais je n’accorde pas trop d’iimportance au titre. Le Prix Nobel, comme tout autre titre d’ailleurs, n’ajoute pas grand chose au texte. Ce ne sont pas les prix qui font les écrivains. Ce sont plutôt les écrivains qui font les prix.Propos recueillis par  Abdennour Abdesselam


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