Constantine : une ville, des héritages de Fatma-Zohra Guechi, Essai - Éditions Média-Plus, Alger, 2004

Le passé composé d'une cité millénaire

Aborder l'histoire de Constantine par le truchement de ses multiples facettes, reconnues aujourd'hui comme autant d'héritages à redécouvrir, suppose dresser un inventaire rigoureux capable d'embrasser le patrimoine millénaire de la cité. L'ouvrage collectif intitulé Constantine, une ville des héritages, dirigé par l'historienne Fatma-Zohra Guechi et paru aux éditions Média-Plus, avait placé la barre à ce niveau d'ambition pour défricher un chantier dont les horizons ne font que reculer. L'équipe d'auteurs, constituée de chercheurs à l'université de Constantine, a choisi de concevoir le travail sous trois approches et deux volets. D'abord, une approche onomastique, ensuite en brossant le tableau des institutions et, à la fin, à travers l'urbanisme et l'architecture. Le chapitre signé par Nedjma Benachour revêt, quant à lui, une fonction différente mais offre néanmoins un éclairage inédit et assez révélateur mettant en valeur les témoignages de grandes personnalités de la littérature française du XIXe siècle. A travers des textes comme Salambo, Veloce, Heure d'Afrique ou encore La Juive de Constantine, on découvre aisément comment le regard a priori exotique de Gustave Flaubert, Alexandre Dumas père et Téophille Gautier est transformé en observation sociale après avoir fait une rencontre inespérée avec une cité pas comme les autres. « L'aspect documentaire, conclut l'auteur, ancre cette littérature du voyage dans un extra texte riche. (Ils) ont vu l'installation de la colonisation française en Algérie ainsi que le passage d'un type de société à un autre. De ce point de vue, leurs témoignages constituent une richesse documentaire indéniable quand bien même ils manqueraient souvent d'objectivité ou de prises de position idéologiques anticolonialistes ».
L'ensemble des contributions, au nombre de neuf, tente d'explorer l'histoire de Constantine en dépoussiérant ses héritages multiples. Pour la plupart, il y a même un fil conducteur qui est celui de la dualité qui détermine un certain nombre de rapports fondamentaux dans l'histoire de Constantine. Ville marché, ville citadelle, Cirta qui abandonne son nom punique par l'acte re-fondateur de Constantin est plus riche encore grâce à son héritage antique. Le chapitre consacré à cette période, qui reste encore méconnue à cause du manque de documentation et l'absence de fouilles, nous offre, cependant, un regard qui s'étend jusqu'au royaume berbère de Massinissa qu'on retrouve dans des fragments écrits de Ptolémée Evergete et de Tite-Live tout en essayant de faire ressortir le statut particulier donné par l'empire romain à cette « splendidae coloniae constantinae », à travers, notamment, les monuments qui se dressent toujours sur son territoire. La dualité est aussi manifeste dans l'évocation urbanistique et architecturale de la cité qui porte sur le dos de son rocher deux modèles de villes (les quatre derniers chapitres). La vieille ville et la ville coloniale se tournent le dos et font preuve d'une adversité inégale portée à son paroxysme par les modèles du palais du bey et de l'hôtel de ville, témoins imposants d'une rupture héritée d'une rencontre violente entre deux civilisations. Cette même rencontre déterminera la retranscription des noms comme imposée par la loi coloniale de 1882. En analysant le fond onomastique de la population qui va passer à partir de cette date de la filiation triptyque au moule patronymique binaire, le chercheur Fatma-Zohra Guechi jette la lumière sur l'origine diverse des noms et des populations et apporte des réponses à des questions sur l'histoire et surtout l'identité. L'intérêt de cet ouvrage collectif qui ouvre la voie à une série de travaux sur Constantine réside dans l'originalité des angles qui traite de son histoire. Le lecteur profane ou averti trouvera bien « un outil précieux pour une compréhension renouvelée de notre cité ».