Il y a des faits qui ont marqué l’histoire de la ville de Constantine et la mémoire collective de ses habitants, mais qui demeurent méconnus à ce jour. Parmi ces événements, celui de l’incendie de la rue Larbi Ben M’hidi, survenu le 12 août 1984, et qui a coûté la vie à cinq braves hommes de la Protection civile, mérite bien d’être rappelé et porté par devoir de mémoire à la connaissance de la jeune génération. Un rappel aussi contre l’amnésie qui continue de frapper tout ce qui touche la mémoire de la ville.
Un travail que nous avons décidé d’accomplir pour rendre hommage à tous les hommes de la Protection civile qui ont payé de leur vie et continuent de le faire jusqu’à ce jour pour sauver des vies humaines.
Ceci en dépit du manque d’archives de l’époque, car le seul document disponible et qui a relaté tous les détails de ce drame, ayant servi de base à notre article, a été le rapport technique de la direction de la Protection civile de Constantine, dont le rédacteur n’était autre que le commandant Benazzouz, responsable de ce corps à l’époque.
Les faits avaient commencé dimanche 12 août 1984 à minuit 15 minutes, quand l’unité secondaire de la Protection civile Boumaza, située à l’avenue Zaabane, près du pont Sidi Rached, avait été alertée pour un feu qui s’était déclaré dans un dépôt d’articles ménagers se trouvant au n°92 rue Larbi Ben M’hidi (Trik Djedida), en plein centre-ville de Constantine.
C’était déjà la panique parmi les habitants du quartier qui cherchaient à fuir les flammes par cette nuit d’été exceptionnelle.
«Arrivés sur les lieux, les agents de la Protection civile avaient constaté la gravité de la situation. Un embrasement général avait gagné tout l’immeuble. Les flammes hautes d’au moins quatre mètres sortaient de toutes les fenêtres. Aussitôt, les renforts demandés par message radio, les premières opérations d’extinction et de sauvetage avaient été entamées pour l’évacuation des 45 familles habitant les lieux», lit-on dans le même document.
Le bâtiment touché par l’incendie était composé d’un RDC abritant les magasins de vente d’articles ménagers, en plus de l’imprimerie de la wilaya avec ses magasins de vente. Les quatre niveaux supérieurs étaient à usage d’habitation, alors que trois sous-sols servaient de dépôts pour produits électroménagers en plastique, des produits cellulosiques et des tissus synthétiques. L’immeuble ayant deux façades, dont l’une donnait sur les Gorges du Rhumel et l’autre sur la rue Ben M’hidi, était délimité par l’impasse Maillot au nord et celle de Boumaiza au sud.
La tâche des sapeurs-pompiers était devenue encore plus difficile face au feu qui s’était propagé dans toutes les directions, attisé par le vent provenant des Gorges du Rhumel. C’est ainsi que dès le début des opérations, onze agents de la Protection civile avaient été blessés à divers degrés, soit par asphyxie ou par chute de gravats. L’opération de sauvetage s’était poursuivie jusqu’à 1h 30 avec l’évacuation des 45 familles de l’immeuble touché par l’incendie, mais aussi les 30 familles des bâtisses situées au-delà des impasses Maillot et Boumaiza et qui étaient également menacées. C’était pour protéger des vies humaines en prévision de toute éventualité.
- Embrasement général des lieux
Le rapport établi par les services de la direction de la Protection civile de Constantine sur les circonstances du drame note qu’à 2h10 dans la nuit du 12 août 1984, le capitaine Sissaoui Slimane, accompagné par le sergent Guedjali Ahcene, et les agents Guettouche Djemai et Moussanef Abderrahmane ont entrepris l’extinction du feu malgré l’embrasement général de l’imprimerie. Sous l’effet des flammes provenant du dépôt d’articles ménagers et des tissus synthétiques le plafond s’était effondré sous leurs pieds.
La mission des équipes d’intervention était devenue encore plus complexe. Tout en poursuivant les opérations de sauvetage des familles habitant les immeubles environnants, il fallait aussi rechercher les collègues enfouis sous les décombres, avec tous les risques d’asphyxie et de brûlures qui menaçaient les sapeurs pompiers. À 6h10, alors que les interventions se poursuivaient, une explosion précédée d’un sifflement finira par détruire les niveaux supérieurs de l’immeuble. Elle fera une cinquième victime, le sapeur Houadeg Mohamed.
Ce dernier était le porte-lance qui luttait contre les flammes au 2e sous-sol du côté de l’impasse Boumaiza. La catastrophe était indescriptible devant l’ampleur des dégâts et des pertes humaines. Une situation jamais vécue par le passé par les agents de la Protection civile à Constantine. Des renforts avaient été demandés à la direction générale de la Protection civile qui avait ordonné l’envoi de moyens humains et matériels de huit wilayas de l’Est. Après une lutte acharnée contre les flammes, le feu était éteint à 10h de la journée du 12 août 1984. La situation était enfin maîtrisée.
- Un constat terrible
Le constat des dégâts humains et matériels établi par les services de la direction de la Protection civile de Constantine était choquant. Trois corps des bâtiments avaient été détruits par les flammes, alors que 45 familles s’étaient retrouvées sans abris. L’imprimerie de la wilaya et les dépôts de produits ménagers, literie et tissus synthétiques ont été complètement détruits.
Si on ne déplorait pas de pertes humaines parmi les habitants, le corps de la Protection civile de Constantine avait perdu cinq braves hommes. Il s’agissait du capitaine Sissaoui Slimane, âgé de 52 ans, 30 ans de service et père de 8 enfants, du sergent Guedjali Ahcene, 31 ans, 11 ans de service et père de 3 enfants, ainsi que des sapeurs Houadeg Mohamed, 31 ans et 7 ans de service, marié sans enfants, Guettouche Djemai, 22 ans et 2 ans de service, célibataire et Moussanef Abderrahmene, 22 ans et 2 ans de service, célibataire.
Ces cinq hommes, qui avaient donné une leçon exemplaire de courage et de bravoure, avaient été parmi les premiers à secourir des familles menacées par un incendie d’une rare violence.
Du côté des 11 agents blessés à divers degrés, dès le début de l’opération, on citera les sous-lieutenants Benkaïdia Abdelhamid, Boumaraf Rachid, Harkati Hocine, Kebbous Tayeb, Dib Sebti, le sergent Lagaguine Youcef et les sapeurs Dadou Messaoud, Djebbar Boubekeur Seddik, Belhadef Mourad, Hiad Azzedine et Bentama Abdelaziz.
Parmi ces derniers, certains avaient été hospitalisés pour des durées variant entre trois et huit jours alors que d’autres avaient été soignés sur place à l’hôpital et déclarés sortants. Le rapport de la Protection civile n’avait pas manqué de noter la poursuite des opérations de recherche des corps des cinq hommes ensevelis sous les décombres.
Les surprises de cette catastrophe ne cessaient pas se produire. Lors de la découverte des corps inanimés du capitaine Sissaoui et du sergent Guedjali, un éboulement est survenu faisant sept blessés parmi les officiers et les agents de la Protection civile des autres wilayas appelés en renfort.
- Des hommages aux braves
Le 13 août 1984 à 00h40’, les corps du capitaine Sissaoui et du sergent Guedjali avaient été retirés. Ils avaient été inhumés le lendemain au cimetière central de Constantine, en présence du secrétaire général du ministère de l’Intérieur, des autorités de la wilaya et une foule nombreuse.
Selon les témoignages recueillis auprès de ses anciens collègues, le capitaine Sissaoui s’apprêtait à partir vers les Lieux saints de l’Islam pour accomplir le pèlerinage. Il avait tout préparé, mais le destin en a décidé autrement.
Les sapeurs Houadeg Mohamed et Gettouche Djemai, dont les corps avaient été retirés le 16 août, avaient été enterrés le lendemain avec tous les hommages respectivement aux cimetières d’El Gammas et de Benchergui.
Le dernier corps, celui de Moussanef Abderrahmane, avait été retiré le 18 aout à 11h, pour être inhumé le même jour au cimetière de Chelghoum Laid, dans la wilaya de Mila.
La consternation et l’émoi étaient grands à l’époque dans le corps de la Protection civile suite à la perte de ces cinq braves hommes qui ont mené leur mission jusqu’au dernier souffle.
Aujourd’hui, leur souvenir est encore présent à l’unité Boumaza de Constantine dans laquelle ils exerçaient. Une unité au passé historique.
«Je suis fils d’un sapeur pompier et j’avais bien connu ces braves hommes quand j’étais jeune et je venais souvent voir mon père à l’unité Boumaza où il travaillait, notamment le capitaine Sissaoui Slimane que je respectais beaucoup et dont je garde de très bons souvenirs de jeunesse ; c’est pour cela que j’ai décidé de leur rendre hommage pour que nul n’oublie leurs sacrifices en gravant leurs photos sur des cadres en céramique affichés sur le mur du foyer de l’unité qui a été baptisé Foyer des cinq martyrs», a révélé à El Watan le lieutenant Rabah Boudraâ, chef de la même unité.
On ne manquera pas de rappeler que les noms de ces martyrs ont été également donnés à différentes unités. Ainsi celle de la cité Fadila Saâdane a été baptisée au nom du défunt capitaine Sissaoui Slimane, celle d’Ibn Ziad porte le nom du regretté sergent Guedjali Ahcene, alors que les noms des défunts Guettouche Djemai, Houadeg Mohamed et Moussanaf Abderrahmene ont été donnés respectivement aux unités d’El Khroub, Zighoud Youcef et le poste avancé du Polygone à Constantine.
Les causes de ce tragique événement, qui demeure unique en son genre dans les annales de la Protection civile à Constantine n’avaient pu être déterminées avec certitude juste après l’opération. Mais il était certain que les dépôts incriminés étaient, selon toute vraisemblance, à l’origine de cette catastrophe.
Selon le rapport de la Protection civile, les hypothèses émises portaient sur la possibilité d’une fermentation dans un milieu clos et confiné de produits divers cellulosiques et des matières plastiques, avec l’hypothèse d’un court-circuit dû à la vétusté des installations. Ainsi le feu avait pris dans les dépôts avant de se propager attisé par les vents provenant des Gorges du Rhumel.
S.Arslan
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Posté Le : 16/09/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : S.Arslan
Source : https://elwatan-dz.com/ publié le mercredi 14 septembre 2022