Algérie

CONSTANTINE: De Cirta à Constantine : le Rocher de la résistance



CONSTANTINE: De Cirta à Constantine : le Rocher de la résistance
La ville de Constantine a toujours fasciné ceux qui l'abordent pour la première fois. Nul besoin de s'enfoncer dans ses anfractuosités et ses replis pour flairer la vie intérieure et sentir une forme de mysticisme qui envoie son aura au-delà de la ville, dans la périphérie du Rhumel.
Le visiteur qui s'y rend à partir d'Alger, ne peut pourtant pas deviner à partir de la plaine de Aïn Smara le joyau historique qui l'attend dix-neuf kilomètres plus loin. Le massif de Djebel Chettaba, culminant au pic Zouaoui à 1316, reçoit un soleil abondant de part son exposition dans l'adret et annonce le Vieux Rocher duquel il n'est séparé que par la cassure géologique qui sert de lit à Oued Rhumel.

En face, Djebel Feltène prend naissance autour de la bourgade de Seguin et se prolonge sur les coteaux de Aïn Smara. L'abord de la vieille Cité s'annonce par le développement des échancrures de la rivière mythique, et c'est à grand-peine que l'on apprivoise la configuration étagée de la ville. La césure entre l'ancienne Cité et les nouveaux faubourgs se lit comme dans la plupart des villes algériennes ; seulement ici, l'aspect et l'intensité sont plus prononcés.

Rien ne peut en effet faire confondre dans l'esprit de l'observateur la monotonie de la plaine de Aïn El Bey, avec ses nouvelles constructions et son gigantisme, avec l'aspect ramassé, bariolé et épicé de la médina ancestrale. Quand on parle de la ville, on sait parfaitement qu'il s'agit du village du Rocher, et des entrailles et de l'âme de Constantine.

Depuis le quartier Lamoricière jusqu'au fort de Sidi M'cid, en passant par Sidi Mebrouk, Mansourah, El Kantra, Faubourg Lamy et, de l'autre côté, Saint-Jean et Bellevue, l'ancienne agglomération a choisi son site, sa mémoire et son devenir. Elle est, en plus, sertie de petits villages qui, jadis, du temps où la campagne alimentait la ville, lui servaient de greniers : Hamma Bouziane, au Nord sur la route de Skikda, le Khroub, au Sud-est sur la route de Oued Zenati et Guelma, Aïn Smara et Oued El Othmania, à l'Ouest sur la route d'Alger, et les légendaires Djebel Ouahch et Oum Settas sur son flanc oriental.

Ancienne capitale de l'Algérie numide, Constantine a, depuis toujours, été une grande ville provinciale dont le destin est intimement lié à la vie nationale. Il s'ensuit qu'elle a constitué l'objet de convoitises de tous les occupants qui ont eu à s'installer dans ce vaste pays.

En plus de sa position stratégique au carrefour des grands flux humains et commerciaux faisant la jonction entre les Hauts Plateaux de l'Est et la Méditerranée (via les ports de Skikda et de Annaba), son occupation par l'envahisseur étranger est considérée comme le vrai symbole d'une emprise totale sur le reste du pays tant elle offre toutes les caractéristiques d'une cité rebelle par son relief, sa morphologie et l'esprit de résistance de ses populations.

Parmi les voyageurs-soldats qui accompagnèrent les troupes françaises, le capitaine de Génie Carette est considéré comme un témoin privilégié. Dans un rapport paru en 1848 sous l'intitulé :‘'L'Algérie et les États tripolitains (réédité par les éditions Bouslama-Tunis en 1980), il présenta la monographie de l'Algérie dans ses moindres détails : aspects physiques et spatiaux (relief, climat, hydrographie), économiques, humains, culturels et religieux. Il décrit la prise de Constantine en octobre 1837 avec force détails. Mais, avant de développer les plans d'attaque et les faits de la résistance constantinoise, il prit le soin d'offrir une carte de visite de la ville du Vieux Rocher.

Farouche beauté et site altie: c'est par ces mots que le capitaine Carette commence sa description de Constantine : " Il est difficile d'échapper à un sentiment mêlé d'étonnement, de respect, et presque d'effroi, lorsque, pour la première fois, l'on se trouve en face de cette ville étrange, de ce nid d'aigle, comme on l'a dit souvent, qui fut la capitale de la Numidie-royaume et de la Numidie-province, et dont la conquête a été pour la domination française elle-même un si puissant auxiliaire, un si utile enseignement. La ville de Constantine dessine une espèce de parallélogramme dont les quatre angles regardent les quatre points cardinaux.

Les indigènes la comparent à un burnous déployé et assignent à la pointe sud, occupée par la Casbah, la place du capuchon. La face dirigée au sud-ouest est la seule partie de la ville que la nature ait rendue abordable. La face nord-ouest est bordée par un talus haut et raide. De ce côté, la ville domine la vallée du Rhumel dont l'œil suit le cours jusqu'à six lieues environ.

Les deux autres faces sont couvertes par un incroyable fossé, encaissé entre deux murailles de roches à pic dont la hauteur moyenne est de cent dix mètres ". Suite à cette configuration qu'il qualifie d'étrange, le capitaine Carette cherche à justifier l'ancienne appellation que les Arabes ont donné à la ville, à savoir ville aérienne, et la dénomination antique de Cirta qui voulait dire en phénicien taillé dans le pic.

" C'est au fond de ce précipice que le Rhumel, réuni à Boumerzoug [descendant du mont Guerioun, au nord de Aïn Kercha,NDLR], roule en cascades ses eaux torrentueuses. Il entre au pied de la pointe sud et sort au pied de la pointe nord. La porte naturelle par laquelle la rivière s'engouffre dans le ravin n'a pas plus de cinq à six mètres de largeur sur une hauteur de quarante mètres.

La porte de sortie présente une de quarante mètres sur une élévation presque verticale de cent soixante-dix mètres. Parvenu à l'extrémité de son ravin, le Rhumel se précipite avec un horrible fracas d'une hauteur de soixante mètres et disparaît dans un nuage de poussière. Cette caractéristique imposante forme un des accidents les plus remarquables du sol de l'Algérie. Après avoir franchi la dernière cascade, le Rhumel, redevenu calme, entre dans une belle vallée bordée de magnifiques jardins d'orangers, de grenadiers, de cerisiers, qu'il arrose et vivifie ".

L'un des aspects de la ville qui frappera par la suite le capitaine de Génie était le reste de la civilisation berbéro-romaine dans cette cité qui était la capitale de la Numidie. Il signalera l'aqueduc romain situé au sud de la ville à environ 1,5 km de la confluence du Rhumel-Boumerzoug. Il est constitué de six arceaux en pierre de taille dont le plus élevé dépasse vingt mètres de hauteur.

Cet aqueduc conduisait les eaux issues de sources de Boumerzoug vers des grands bacs dont il reste des ruines sur les sommets de Koudiat-Ati. En bas de cette grande colline, se dessine la voie romaine qui conduisait jusqu'à Carthage (Tunis) dont la chaussée est faite de dalles parfaitement jointes.

De même, les restes d'un théâtre antique fut mis au jour par les travaux de l'armée française qui, lors du déblaiement des lieux pour en faire une aire de dépôt de bois, découvrit des dallages hémisphériques. " Assis sur les gradins de pierres qui garnissaient l'intérieur de l'édifice, les spectateurs voyaient se dérouler devant leurs yeux, à côté de la scène, le cours capricieux du Rhumel, et au-dessus, les cimes bleuâtres des montagnes de Mila ; décoration imposante dont les bords, au coucher du soleil, s'animaient de reflets rougeâtres et présentaient l'image de volcans lointains ", écrit Carette.

Au sujet de Sidi Mimoun, bordé sur ses flancs par Sidi Rached et Aouïnet El Foul, Carette dira que le monument est une voûte de construction romaine engagée sous un talus même qui borde le pied des remparts de la ville, " à peu près où Ben Aïssa accomplit le 13 Octobre 1837 sa périlleuse évasion. Cette voûte protège contre les éboulements une source et un bassin d'eau thermale dont l'usage et la réputation se sont conservés jusqu'à nos jours ". Les autochtones qui se baignaient dans cette source considéraient que ses eaux étaient salutaires.

Sous le pont d'El Kantra, construit en 1790 par Salah Bey, le capitaine Carette découvre les ruines d'un vieux pont romain. Mais le quartier le plus monumental de l'époque romaine, assure-t-il, est la Kasbah appelée à l'époque Le Capitole. C'est là que s'élevaient les temples consacrés aux divinités protectrices de la ville. Au sujet des habitants de Constantine,,Carette souligne que " la population indigène diffère par sa composition des autres villes d'Algérie. Elle ne renferme qu'un très petit nombre de Turcs et de Koulouglis, et pas de Maures.

Elle se compose presque exclusivement de familles arabes ou berbères, venues de presque toutes les tribus de la province, et des Israélites. Au 1er janvier 1847, elle était de 18 969 individus dont 15 054 musulmans, 552 nègres et 3663 Israélites. Après Alger, Constantine est, de beaucoup, la ville la plus peuplée de l'Algérie. Quant à la population européenne, son chiffre est de 1 919 individus dont 1274 Français”.


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