Par Abdelkrim Chelghoum(*)
«Être informé c’est être libre»
(Alfred Sauvy)
Grande fut ma surprise en parcourant l’article intitulé «Vers l’abandon du tunnel T1 de Djebel El Ouahch» paru dans le quotidien Le Soir d’Algérie du 26 janvier 2020.
Pour rafraîchir la mémoire des responsables politiques en charge de ce projet et mettre au parfum les citoyens et les lecteurs avertis, il est utile de présenter l’historique de cette affaire.
En effet, le 1er janvier 2014, le tunnel T1 en cours de finition s’effondre subitement, fort heureusement pendant les fêtes de fin d’année ce qui a évité les pertes en vies humaines mais causant des dommages préjudiciables irréversibles au deuxième tube T2, une véritable catastrophe touchant de plein fouet la fiabilité du projet de l’autoroute Est-Ouest dit du siècle «ou de Fakhamatouhou».
Dans ce contexte, permettez-moi de rappeler in extenso les points importants que j’avais soulevés dans la contribution intitulée «Les véritables raisons de l’effondrement du tunnel de Djebel El Ouahch» parue dans le quotidien Le Soir d’Algérie n°7091 du 2 février 2014, c’est-à-dire six années jour pour jour pour revenir à la case départ confirmant ainsi nos appréhensions depuis deux décennies sur la gestion inconsistante et archaïque des grands projets structurants dans ce pays. Ainsi «du cas de cet effondrement spectaculaire, voici les questionnements posés dans cette contribution :
- 1) Quelle est la mission exacte et la responsabilité de l’Agence nationale des autoroutes (ANA) ?
- Qui est le maître d’œuvre pour ce tronçon ?
- 2) Quelles sont les qualifications du laboratoire de sol retenu pour l’investigation géologique, géodynamique et sismique ?
- 3) Quel est le laboratoire en charge du contrôle des matériaux (essais mécaniques et chimiques) ?
- 4) Qui est le bureau chargé du suivi des travaux ?
- 5) Quel est le contenu et la nature des investigations géotechnique, géodynamique et géophysique exécutées sur ce site ainsi que les recommandations par rapport à la conception des tunnels ?
- 6) Quelle est la profondeur moyenne des sondages carottés exécutés sur ce site ?
- 7) Pourquoi les véritables aléas ainsi que toutes les instabilités du massif-sol environnant et du sol d’assise n’ont pas été anticipés et quantifiés par l’étude géotechnique ?
- 8) Pourquoi l’état de déformation et de contrainte n’a pas été contrôlé lors de la réalisation de l’ouvrage provisoire (cintres de soutènement ou autres..) ?
- 9) Quelle est la méthode de jaugeage des contraintes et déformations utilisée sur site au cours de la réalisation des soutènements provisoires et
définitifs ?
- 10) Sur quelle base technico-économique le tracé actuel a été décidé ?
- 11) Connaissant très bien la topographie de la région en question, je pense que la projection même de ces deux tubes est inadéquate et erronée.
- Pourquoi l’approche relative au contournement de l’obstacle de Djebel El Ouahch n’a pas été envisagée au niveau de l’avant-projet ? Dans ce cas particulier, on aurait fait, sans doute, une économie importante d’argent et une réduction drastique des risques encourus ainsi que des délais de réalisation !!
Au vu de toutes ces tares, il est tout à fait logique d’affirmer que la décision de réaliser ces deux tubes relève de la catégorie de ‘’fautes techniques très graves’’ dont la responsabilité incombe au maître de l’ouvrage, en l’occurrence le ministère des Travaux publics et des Transports. Autant de questions auxquelles il est attendu que des réponses soient apportées. »
- Au jour d’aujourd’hui, il faut dire que les pouvoirs publics sont restés silencieux pour ne pas dire incapables d’apporter la moindre réponse technique aux onze questionnements suscités. Alors comment expliquer cette volte-face sans aucune étude technico-économique de l’option arrêtée.
- Avec cet effondrement, il a été clairement démontré les faiblesses et la fragilité de l’ÉTAT ALGÉRIEN directement responsable de la programmation, la maturation et le lancement du projet de l’autoroute Est-Ouest, d’une part, et de l’inconsistance de la mission suivi et contrôle à tous les niveaux et pour tous les ouvrages, d’autre part.
- Voilà pourquoi je me sens concerné et voilà pourquoi je ne cesserai d’informer l’opinion publique sur les dangers encourus par l’économie nationale et le développement durable de notre pays suite aux décisions récurrentes irréfléchies et unilatérales (taghananet) prises par les pouvoirs publics depuis ces vingt dernières années avec les résultats pitoyables que tout le monde connaît.
Afin de tempérer la passion des uns et d’éviter aux autres de tirer des conclusions hâtives, subjectives et spéculatives vis-à-vis du questionnement 11 où j’avais recommandé l’option ‘’contournement’’ au stade de l’avant-projet qui constitue, à mon avis, comme la solution optimale répondant au principe binaire ‘risque acceptable-coût acceptable ». Malheureusement, compte tenu de l’état des lieux actuel, à savoir l’existence physique de ces deux ouvrages in situ, il serait aberrant, voire ridicule de les abandonner et d’aller vers un contournement aléatoire traversant un relief complexe et chahuté alors que le renforcement et la réparation sont possibles sous réserve de l’élaboration d’une expertise fine et détaillée du comportement des sols en place et de l’interaction avec les structures de ces ouvrages.
Dans ce cas, il est évident que les résultats doivent être validés expérimentalement sur la base d’un modèle réduit. Une telle démarche qui se veut donc pragmatique et évaluative portera sur l’appréciation technique de la vulnérabilité fondée sur les causes réelles à l’origine de la ruine et les dommages préjudiciables causés aux deux tunnels.
Ce choix permet d’augmenter la résilience du site en assurant une protection appropriée par le biais de concepts parasismiques techniquement cohérents et économiquement justifiés, d’une part, et résoudre définitivement la problématique posée par cette boucle dangereuse d’une longueur de vingt kilomètres environ en situation de blocage depuis six années, d’autre part.
Quant à l’impact sur le plan économique, il se traduirait par une réduction drastique des pertes financières occasionnées à l’économie nationale avec une amélioration de la sécurité, la fiabilité et l’ergonomie.
- Pour justifier ce changement catégorique d’option, voici les questions techniques complémentaires auxquelles des réponses précises devraient être données, à savoir:
- Sur quel soubassement technique dûment validé les pouvoirs publics ont décidé de changer de direction ?
- Pourquoi le coût exact de cette catastrophe dans sa globalité n’a pas été communiqué ?
- Quelle est l’estimation de ce contournement ?
- Quel est le ratio par rapport au coût du renforcement de ces tubes ?
En conclusion, il est important de rappeler que les départements ministériels en charge de ces réalisations doivent être comptables et, de ce fait, assumer l’entière responsabilité pour toutes les défaillances graves, malfaçons et sinistres causés aux différentes catégories d’ouvrages (ponts, viaducs, tunnels, chaussées) signalés çà et là à travers le territoire national ...
A. C.
(*) Directeur de recherche (USTHB). Pr associé (ENA). Dr du cabinet G.P.D.S (Génie parasismique, gestion des risques et catastrophes). Président Club des risques majeurs.
Photo illustrative de la présente contribution ajoutée par Akar Qacentina
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Posté Le : 08/03/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Contribution par Abdelkrim Chelghoum
Source : LeSoirdAlgerie.com du 9 février 2020