Algérie - Urbanisme

Constantine - Abdelouahab Bouchareb. Professeur d’architecture «Faire la ville dans l’urgence aboutit à un simulacre urbain»



Constantine - Abdelouahab Bouchareb. Professeur d’architecture «Faire la ville dans l’urgence aboutit à un simulacre urbain»




Abdelouahab Bouchareb est professeur des universités au département d’architecture et d’urbanisme de l’université Constantine III.

- Amara Benyounès a qualifié Ali Mendjeli de «catastrophe urbanistique». Etes-vous d’accord avec lui?

Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la ville nouvelle Ali Mendjeli n’a rien d’une ville qui détient des atouts pour entrer dans le XXIe siècle. En effet, M. Benyounès établit un diagnostic vif et direct sur le volet du choix du parti urbanistique. Cependant, cette ville nouvelle se singularise par une dynamique urbaine propre, différemment perçue, susceptible d’engager sur une voie d’une nouvelle urbanité. Différemment perçue, parce qu’elle apparaît comme un grand bazar. En fait, l’urbanisme évolue, la pratique urbanistique aussi. Aujourd’hui, on ne fait plus de villes sans études prospectives.

- N’est-ce pas un reniement de la démarche du gouvernement, lequel contrôle la conception et la réalisation de cette ville?

Les études d’Ali Mendjeli ont été conçues durant un moment de «transition» (passage des instruments d’un urbanisme normatif à celui consacrant la «décentralisation-concertation»). La promulgation de la loi n°29/90 rencontrait donc les vieilles pratiques du PUD, ajouter à cela une situation sociopolitique difficile, Toutes ces conditions ne pouvaient que produire des maladresses. Aujourd’hui, il est vrai que l’urbanisme reste l’apanage de l’administration locale, alors qu’il est appelé à penser à l’avenir, à la maîtrise d’œuvre et surtout à cette nouvelle attente: la maîtrise d’usage. C’est-à-dire qu’il est important de réfléchir à la cohérence des projets placés dans le paysage social concerné.

- Ali Mendjeli est peut-être le meilleur exemple de la capacité des Algériens à piloter le projet de création d’une ville. Quel constat faites-vous, en tant qu’architecte, des résultats de ce projet urbanistique et architectural?

Ecoutez, nous semblons oublier que nous sommes un peuple de «bâtisseurs». Nos vieilles villes, nos médinas, nos dachras, nos ksour n’ont été bâtis ni par les Chinois ni par les Turcs... Ils sont la preuve d’une inventivité et d’une capacité de production formidable, non seulement dans le pilotage de création des villes, mais aussi dans leur édification. Maintenant, faire la ville dans l’urgence aboutit à un simulacre urbain une sorte de grosse Zones d’habitat urbain nouvelles (ZHUN) un lieu sans «âme», sans histoire, sans «mythe» fondateur, sans accroches! Au niveau d’Ali Mendjeli, cette urgence est en train de consacrer le cloisonnement social par l’absence de réflexion sur la mixité propre aux villes anciennes, en juxtaposant des «cités» de relogement aux cités de standing.

- La ville manque encore de statut administratif. Est-ce un handicap, selon vous?

C’est un grand handicap. Il lui faut plus que ça. A côté d’une autorité, je pense à une «veille» qui assure un regard et une gestion au quotidien, qui réfléchit à l’insertion des NTIC, d’autant que les infrastructures universitaires en place seront prépondérantes pour son avenir. Pensez à une «ville» classique flanquée d’une sorte de Silicon Valley? C’est vrai, l’analogie est exagérée. La ville nouvelle gagnerait davantage en optant pour une vocation «scientifique», une sorte de ville dédiée à la créativité sous ses diverses formes (science, technique, arts, médias), avec une gestion adoptant les modes de bonne gouvernance, les règles du marketing et employant les moyens technologiques pour la communication, l’information, les services…

- Etes-vous d’accord avec Marc Cote qui dit qu’il faut laisser le temps à cette ville pour corriger ses défauts de naissance?

A condition que ce «moteur» apporte les corrections nécessaires et adopte une démarche objective, cohérente, mesurée, associant des compétences multiples et surtout en totale harmonie avec nos capacités, nos idées, nos mentalités, bref avec nos cultures. Cependant, «laisser au temps» est une formule en totale inadéquation avec notre ère. Il faut provoquer ces corrections. Vous citez mon professeur, M. Cote, il a établi le concept de «retournement» particulièrement algérien, cette redécouverte du local porte une dynamique fondamentale.
Cependant, personnellement, je pense que ce «retournement» ne peut être efficace sans un «dévoilement» préalable, c’est-à-dire une mise à nu objective et franche de nos ressources et de notre dynamique pour orienter notre créativité future.

Nouri Nesrouche





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