Le Chélif, géant des oueds algériens, est le seul fleuve qui, prenant sa source dans l'Atlas saharien, atteint la mer après un trajet de 700 kilomètres; une de ses têtes, le Nahr-Ouassel, rivière pérenne, prend sa source près de Tiaret et parcourt le Sersou sensiblement de l'ouest à l'est, jusqu'aux daïa de Bou Guezoul (1) ; au delà, le Nahr-Ouassel devient le Chélif et s'ouvre un passage à travers l'Atlas de Boghari. Une autre branche, beaucoup plus importante comme parcours, l'oued Touil (thouil, le long) naît dans le Djebel Amour, parcourt les Hauts plateaux du S. W. au N .E. et, après sa jonction avec une troisième artère, l'oued Ouerk, rejoint le Nahr-Ouassel à Chabounia.
Ces conditions géographiques donnent à la faune de ces cours d'eau un caractère tout particulier qui se traduit par l'existence, dans les marais de l'Ouerk et de l'oued Touil de l'Anguille vulgaire, poisson thalassotoque qu'on ne trouve nulle part ailleurs sur les Hauts plateaux et de reliques dont la plus anciennement connue est le Cyprinodon ibérique, cité de Taguine par PLAYFAIR et LETOURNEUX (1871), que j'ai retrouvé en de multiples stations de la région, Aïn Smir, Oued el-Ouerk, Oued Touil (Taguine, Bel Kheitar) etc. (2). A cette relique ichthyologique s'en ajoutent plusieurs autres aussi notables: une petite Crevette, Atyaëphyra Desmaresti (Millet), Caridine périméditerranéenne commune dans les eaux douces du Tell, que j'ai observée dans l'oued Touil (Taguine, Bel Kheitar) et dans l'oued el-Ouerk (3) ; des Néritines, petits Mollusques connus de la région du Tell et de la région substeppique (Tlemcen) en Algérie, des Béni Snassen (Aïn Sfa) et de la région de Gabès (oued Gabès, Aïn Oudref, oued Melah).
Les Ancyles "Patelles d'eau douce " de Linné, répandus dans les torrents du Tell, peuvent être également considérés comme des reliques dans la région qui nous occupe.
Le bassin de l'oued Touil et celui de l'Ouerk montrent une grande diversité de milieux aquatiques; à l'exception de l'Aïn Zerguine, ces collections d'eau sont, avant tout, remarquables par l'extraordinaire abondance de l'Emyde lépreuse et du Cyprinodon ibérique.
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a) RUISSELETS D'EAU COURANTE
Aïn Smir, tributaire de l'oued Ouerk
Le ruisselet de Smir, bordé de Peupliers [Populus nigra L. ssp. Thavestina (Dode)], à végétation d'Helosciadium nodiflorum et de Potamogeton densus L. est peuplé, à côté de formes banales, Hydrous pistaceus Lap., Coelostoma hispanicum Küst., Nepa cinerea L. minor Puton, Sigara hieroglyphica (Duf.), Sigara scripta Rmb., Gammarus Simoni Chevr., Limnatis nilotica.. Amnicola Dupotetiana Forbes, espèce extrêmement commune dans tout le nord-ouest de l'Afrique, A. pycnocheilia Bgt., Hydrobia nana Terver, d'autres formes plus remarquables, Planorbis (Giraulus) agraulus Bgt., sur les feuilles du Potamot, Ancylus simplex, A. striatus Webb. Berth., Pisidium Lumsternianum forbes, citée par Forbes des fontaines de la Mitidja. Les endroits peu profonds, à courant rapide, sont peuplés de quelques rhéobies, Néritine noire (Neritina numidica Recluz), Hydrochus angustatus {oveostriatus Fairm., Hydrophilide fixé sous les pierres, Placobdelle, également collée à la face inférieure des cailloux. Pas de Crevettes ni d'Ostracodes.
Aïn Rmel (source du sable)
L'Aïn Rmel (25 juin1932) montre, à côté des mêmes éléments, le Barbeau et, dans les endroits où l'eau est courante, la Néritine noire et le Melanopsis pseudoferussaci Pallary.
Aïn Zerguine, tributaire de l'oued Touil
Le ruisselet d'Aïn Zerguine (Aïn Serguine), réalise dans sa forme la plus parfaite le milieu aquatique à eau courante, caractérisé dans la partie où la vitesse du courant est maxima par des rhéobies, Melanopsis scalaris Gassies var. minor Bgt., M. subscalaris, deux Néritine appartenant à des espèces nouvelles, Neritina Seurati var. fulgurans et N. Seurati var. nigra, Hydrobia n. Sp. (4) et Gammarus Simoni abrités sous les pierres.
Dans les parties plus calmes, où la rivière s'élargit, on observe Tropidonotus viperinus Latr., Rana ridibunda Pallas, Barbus callensis C. V ., Potamon edule (Laltr.) et des Hydromètres ; on doit noter l'absence des Clemmydes.
Oued el-Ouerk
L'oued el-Ouerk est une rivière pérenne, à fonds de vase, avec des îlots plantés de Joncs, de Roseaux et de Massettes (Typha australis).
Le Mollusque le plus caractéristique est la Mulette littorale, Unio rhomboideus L. ; on trouve, en outre, Ancytus Raymondi Bgt., Limnea truncatula Müller, Succinea debilis Morelet sur les herbes aquatiques de la rive.
Dans les endroits à courant rapide prospèrent le Melanopsis algerica Pallary et la Néritine noire (N. numidica).
En aval l'Unio rhomboideus est associé à une autre Mulette, Unio n. sp.
La rivière est, en outre, peuplée de Barbeaux (B, callensis, Caridines (Atyaïfphyra Desmaresti), Telphuses et Hydromètres, Hygrotrechus cinereus (Puton).
Nahr Ouassel
Le Nahr Ouassel est une rivière pérenne, à fonds de vase, courant rapide. Les éléments les plus remarquables de sa faune sont l'Atyaëphyra Desmaresti (femelles ovigères, avril 1935) et une Mulette, Unio Durieui Deshayes, connue du littoral atlantique du Maroc, oued Kseb, près de Mogador et du littoral algérien et tunisien (Medjerda, oued Miliane, etc.) ; ces éléments, observés à Ain el-Beida (Hardy), se retrouvent dans la partie haute de la rivière, à la hauteur du village de Trumelet.
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b) MARECAGES, MARAIS
La vallée de l'oued el-Ouerk est marécageuse depuis les sources de Smir jusqu'au delà de Bel Kheitar, c'est-à-dire sur un parcours de plus de vingt kilomètres; les grosses sources de Taguine, à la pointe Sud de l'annexe de Chellala, donnent également naissance à un immense marécage couvert de Joncs, de Roseaux et de Renoncules (Ranunculus bulbosus ssp. Aleae) où les troupeaux trouvent, comme à l'Ouerq, des pâturages en tout temps, mais où ils contractent les maladies vermineuses notamment la distomatose et les strongyloses pulmonaires et gastro-entériques signalées à diverses reprises et qui, en certaines années, amènent une grande mortalité du bétail ovin.
Marais de l'oued Ouerk (à la hauteur du Marabout)
Ce marais, à fonds de vase, végétation de Zanichellia palustris L. est assez richement peuplé: Unio rhomboideus, Atyaëphyra Desmaresti, Telphuses, mâles, femelles portant des jeunes complètement développés (11 août 1934) et jeunes, libres. Ces Telphuses abritent dans leur cavité branchiale un Oligochète commensal, Pachydrilus catanensis (Drago), que j'ai observé dans toutes les stations du Crabe fluviatile (environs d'Alger, Ténès, Aumale, Bou-Sâada, etc,).
A la surface de la vase du marais vivent deux Ostracodes appartenant à deux espèces, Cyprinotus cf. salinus (Brady), nombreuses femelles, pas de mâles (5) et Erpetocypris reptans (W, Baird) forma barbara H. Gaut., représenté par quelques femelles; dans la vase elle-même, une Pisidie (Pisidium Lumslernianum Forbes).
Mararis de Bel Kheitar
Le marais de Bel Kheitar (cours de l'oued Touil) est avant tout remarquable par la prodigieuse abondance des Tortues paludines et du Cyprinodon ibérique.
Une marule à végétation de Chara et de Chétomorphes offre une association animale tout à fait comparable à celle que j'ai observée dans les vasques supra-littorales de Tipasa, celle d'une larve d'Orthocladius (Chironomide) et d'une larve d'Ochthébie, Ochthebius (Botochius) quadrifoveolatus Woll., dont l'adulte se tient à la surface de l'eau.
Marais de Taguine
Les flaques du marais de Taguine, bordées de Joncs et de Roseaux, les Joncs en dominance, sont peuplées de Clemmydes, de Barbeaux, Caridines (Atyaëphyra) cachées sous les Joncs et de Nèpes (Nepa cinerea minor Puton).
Mares de l'oued Smir
Sur les berges de l.'oued Smir existent de véritables cressonnières à Cresson, Rorippa nasturtium aquaticum et Potamogeton densus) ; la faune est surtout composée de Mollusques, planorbis. (Giraulus) agraulus Bgt, sur les feuilles de Potamot) Ancylus (Ancylastrum) striatus Webb, Berth., Ancylus simplex, Amnicola Dupotetiana et A. pycnochailia, Pisidium Lumsternianum, de Gammares (Gammarus Simoni) et d'Insectes, Hydrous pistaceus Lap., Coelostoma (Cyclonotum) hispanicum Küst., Berosus affinis Brullé, Laccobius Carreti Guilleb., Nepa cinerea cinerea L.
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c) RUISSELETS A COURS LENT
Les ruisselets à fonds de vase, à cours lent, de Tohala et d'Aïn bou-Kezziaoua sont remarquables par l'abondance des Pisidies, Pisidium Lumsternianum (6); on y observe, en outre, l'Amnicola Dupotetiana.
Le marais créé par les eaux de l'Aïn bou-Kezziaoua, à végétation abondante de Zanichellia palustris L., est habité par le Cyprinodon ibérique et une abondante population de Clemmydes.
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CONCLUSIONS
Les recherches les plus attentives faites dans les collections d'eau que nous venons d'énumérer ne m'ont donné aucune larve ou nymphe de Moustiques; on doit attribuer cette absence à l'action des Cyprinodons et également des Clemmydes ; les jeunes Clemmydes, outre leur régime herbivore, sont très friandes de larves de Moustiques.
Le complexe biologique des bassins de l'oued Touil et de l'Ouerk est des plus intéressants et il serait dangereux de le modifier en quoi que ce soit, par l'introduction inconsidérée de formes étrangères, notamment de Gambusie.
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NOTES :
01- La Daïet-el-Kisria, rempli d'eau depuis la construction récente d'un barrage sur le Nahr-Ouassel est peuplée, dès avril, d'une multitude de Flammants.
(2) Le Cyprinodon ibérique habite la péninsule ibérique et l'Oranie jusqu'au Chott Chergui ; il abonde dans les eaux tièdes du Khreider et les eaux chaudes d'Ain Skhouna, à l'extrémité orientale du Chott : les Cyprinodons de l'Ain Skhouna (T. 30°5) sont des individus nains.
(3) GAUTHIER cite la présence de cette Caridine en plein désert, à Ksabi, dans l'ancien lit de la Saoura et explique son existence en ce point par un peuplement du fleuve à l'époque où celui-ci coulait largement.
L'Atyaëphyra Desmaresti a été trouvée pour la première fois par MILLET dans l'étang Saint-Nicolas, à Angers.
(4) Ces formes nouvelles seront décrites par M. Paul PALLARY.
(5) Forme intermédiaire entre la forme salinus et la forme fretensis, tout à fait comparable aux spécimens que j'ai recueillis dans l'oued de Seillonville (6 kilomètres au N.E. d'Hammamet).
(6)La Pisidie des fontaines (Pisidium pusillum Jennings), abonde dans les seguias de Laghouat (SEURAT, 1921).
Posté Le : 20/12/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Par L.-G. SEVRAT PROFESSEUR A LA FACULTE DES SCIENCES D'ALGER MEMBRE DE LA SOCIETE D'HISTOIRE NATURELLE DE L'AFRIQUE DU NORD ET DE LA SOCIETE DE BIOLOGIE D'ALGER In Revue Africaine n° 76 année 1935 PP 95/102
Source : cheliff.org