Publié le 07.07.2024 dans le Quotidien l’Expression
L’histoire contemporaine des développements géopolitiques nous indique que la pratique diplomatique a opéré une mutation majeure dans les dernières décennies.
L’Algérie a été parmi les premiers pays au niveau continental à mettre en place de tels mécanismes, et ce dès les années 1990.
L'Algérie s'achemine incontestablement vers une nouvelle ère où elle active pour s'arrimer au contexte nouveau mondial. Avec un regain progressif de sa présence sur la scène internationale, elle se fraie une voie dans un contexte régional et international en turbulence et en pleine mue et où la compétition devient de plus en plus rude. Cette dynamique politico-diplomatique engagée par l'Algérie dénote sa volonté de se positionner sur la scène internationale comme partenaire crédible, fiable et incontournable dans la région des trois «aires d'intérêt commun».
La stratégie d'ouverture et de diversification économique, ainsi que le souhait d'attirer les investissements directs étrangers (IDE) et la volonté de créer une économie de substitution à l'économie de rente pétrolière, sont les principales motivations de cette nouvelle impulsion de politique étrangère de l'Algérie. La redynamisation de sa politique de diversification économique et la création de conditions adaptées du climat des affaires se concrétisent graduellement, afin de séduire les investisseurs étrangers potentiellement intéressés tout en tenant compte d'un fait majeur, celui d'une concurrence féroce à l'échelle internationale pour la captation des IDE.
L'histoire contemporaine des développements géopolitiques nous indique que la pratique diplomatique a opéré une mutation majeure dans les dernières décennies, voyant ses objectifs se tourner vers l'économie, le commerce et les intérêts des entreprises, mais également vers la science, la technologie, les ressources énergétiques et minières. Par voie de conséquence, de nouveaux acteurs ont fait leur entrée sur la scène diplomatique. En effet, globalement, la diplomatie a connu d'importantes évolutions au fil des cycles politiques. Les thématiques économiques sont désormais devenues centrales, si bien que le terme de «diplomatie économique» est fréquemment utilisé par les médias ou par les institutions et représentants politiques. Si la pratique de la diplomatie fut longtemps la prérogative exclusive des États, de nouveaux acteurs internationaux ont depuis plus d'un quart de siècle fait leur apparition.
Triple mission
Dans un monde en mouvement permanent, la diplomatie n'est pas le seul instrument de la politique étrangère. Le domaine de la diplomatie s'est vu élargi par l'inclusion, ces dernières décennies, de la question économique, commerciale, technique, culturelle, scientifique, sanitaire, et technologique, alors que traditionnellement les auteurs ne réservaient à la diplomatie que des contacts, entre États portant principalement sur des questions politiques. Par conséquent, il existe plusieurs types de diplomatie dont nous citons: la diplomatie directe ou classique, la diplomatie parlementaire, la diplomatie de la société civile, la diplomatie ad hoc, la diplomatie du terrain, la diplomatie de proximité, la diplomatie secrète, la diplomatie ouverte, la diplomatie préventive, la diplomatie multilatérale, la diplomatie du pétrole et du gaz, la diplomatie du dollar, la diplomatie minière, la diplomatie scientifique, la diplomatie économique et commerciale, la diplomatie de networking.
Présentement et dans un contexte de reconfiguration géopolitique et des alliances, la diplomatie s'oriente de manière croissante vers l'économie et le commerce. La limite entre la diplomatie politique traditionnelle et la diplomatie économique est parfois complexe à distinguer si bien qu'il devient difficile de déterminer l'existence d'une ligne de division entre les deux. En conséquence, la diplomatie traditionnelle a depuis quelques décennies été éclipsée par la diplomatie économique. Les stratégies des États reposent de plus en plus sur la conquête de nouveaux marchés pour leurs entreprises. Dans ce contexte, la diplomatie s'oriente vers la triple mission: faciliter les débouchés des entreprises nationales publiques et privées à l'étranger (soutien aux exportateurs); attirer des investissements extérieurs sur le sol national; infléchir des règles internationales dans le sens des intérêts domestiques. En ce sens que la diplomatie économique touche à des domaines divers et variés comme le commerce, l'investissement, les migrations, l'aide au développement, et utilise comme outils les relations, les réseaux personnels, la persuasion, le lobbying direct et indirect, l'influence et la négociation. Il est clair que le lobbying n'est pas une société secrète ou une activité douteuse, mais une force stratégique de communication qui permet de jouer un rôle majeur d'influence dans le monde actuel. Le lobbying est une activité qui, grâce à un effort planifié et continu, permet d'établir un dialogue entre les différentes composantes de l'environnement. Ce concept tire son origine d'une expression du général Grant, président des États-Unis d'Amérique. Après l'incendie qui avait détruit la première Maison-Blanche, le président Grant qui logeait dans un hôtel était préoccupé par la présence de toutes les personnes qui l'attendaient au lobby (rez-de-chaussée) pour tenter de le sensibiliser. Conséquemment, ce concept s'est transformé dans le temps et l'espace en un outil de communication de persuasion des relations internationales.
Lobbying utile
Comme la globalisation des échanges a créé une interaction croissante entre politique et économie, les stratégies d'influence se développent ainsi en parallèle. La recomposition géopolitique se retrouve sous l'influence, voire l'impulsion de nombreux acteurs non étatiques interconnectés. De plus en plus, les gouvernants politiques utilisent des instruments-leviers impliquant des acteurs non institutionnels de la société civile et des leaders d'opinion (Key Opinion Person -KOP-), des ONG, des organisations professionnelles, des organisations patronales, des chambres de commerce et en particulier des conseils d'affaires bilatéraux pour mener leurs actions de politique étrangère et d'influence en appoint à la diplomatie institutionnelle.
L'Algérie consciente de cette réalité contextuelle, a décidé de s'appuyer sur, notamment, les leviers de conseils d'affaires bilatéraux pour dynamiser sa diplomatie économique et commerciale. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, lors d'un forum sur «Le rôle des conseils d'affaires dans le renforcement de la diplomatie économique», tenu fin juin 2024 à Alger, a insisté sur ces mécanismes de la diplomatie économique qui «...balisent la voie à l'établissement de partenariats mutuellement bénéfiques en matière de commerce et d'investissement....», a-t-il précisé. Du point de vue de l'analyse, le rôle des conseils d'affaires bilatéraux n'est pas de faire du marketing commercial uniquement, mais d'être un réseau d'échanges et de réflexions et par voie de conséquence une force de proposition pour accompagner la prise de décision politique.
Pour ce faire, ces conseils d'affaires doivent avoir une vision claire pour participer activement au jeu de lobbying utile et non malveillant. Selon la déclaration du chef de la diplomatie algérienne, Attaf: «... L'Algérie a été parmi les premiers pays au niveau continental à mettre en place de tels mécanismes, et ce dès les années 1990...
L'Algérie a créé, à ce jour, plus de 40 conseils d'affaires avec des pays arabes, africains, européens, asiatiques et des deux Amériques...». En effet, en termes d'analyse, nous pouvons citer trois étapes d'évolution de ces mécanismes. Dès l'ouverture économique et commerciale de l'Algérie, en 1990, alors que le pays traversait une période de convulsions multidimensionnelles, se sont créées des associations d'amitié et de coopération bilatérales qui ont évolué ensuite en conseils d'affaires et nous citons, notamment l'Association d'amitié et de coopération algéro-sud-africaine, l'Association d'amitié et de coopération algéro-sud- coréenne.
Une décennie plus tard, le pays a vu la naissance des premiers conseils d'affaires bilatéraux avec une montée en nombre au fil du temps et dont nous citons par exemple, le Conseil d'affaires algéro-britannique, le Conseil d'affaires algéro-américain, les Conseil d'affaires algéro-allemand, le Conseil d'affaires algéro-espagnol, le Conseil d'affaires algéro-néerlandais, le Conseil d'affaires algéro-suisse, le Conseil d'affaires algéro-mauritanien et d'autres.
Diplomatie non institutionnelle
Du point de vue de l'analyse, présentement et en complément des chambres de commerce bilatérales, environ une quarantaine de Conseils d'affaires bilatéraux existent, mais n'ont pas tous atteint un seuil de dynamisme et une force de frappe appréciables. Il n'en demeure pas moins que ces instruments-leviers de la diplomatie économique sont appelés à s'adapter sans cesse au contexte mondial en évolution permanente. Cependant, certains conseils d'affaires, se sont érigés en de véritables passerelles de facilitation du dialogue et de la compréhension mutuelle et ont le mérite d'avoir promu l'image de l'Algérie auprès de leurs communautés d'affaires respectives pour contrecarrer l'impact du prisme déformant des médias durant la «décennie noire».
Ceci a permis de dissiper les incompréhensions et de soutenir la consolidation des relations bilatérales économiques et commerciales avec l'organisation de plusieurs rencontres B2B, B2G, G2B et ont favorisé des cadres d'échanges et de concertation. Ils ont entre autres accompagné la mise en place d'accords de non double imposition ou d'accords de libre-échange.
En somme, ce qui est désormais certain, est que de nos jours, la diplomatie non institutionnelle est un appui incontestable à la diplomatie institutionnelle. Le défi majeur dans un monde en pleine recomposition géopolitique, réside dans les tactiques d'approche à mettre en oeuvre et de la force et capacité d'adaptation rapide. Cette recomposition du nouveau monde est en mouvement depuis plus de trois décennies avec la participation de nombreux acteurs non étatiques interconnectés et avec l'impulsion du «Smart Power».
Pour l'Algérie, le recouvrement de la confiance sur le plan horizontal et vertical est le moteur de cette démarche additionnée à une diplomatie de réseautage (Networking Diplomacy) qui passe d'un mode passif à un mode proactif inclusif.
*Expert en géopolitique, membre du Conseil consultatif d'experts du Forum économique mondial, partie prenante, dans divers groupes de travail ‘Track 2' du système des Nations unies (Unscr 1540).
Arslan CHIKHAOUI
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 07/07/2024
Posté par : rachids