Algérie

Congestion routière à Alger : quelles solutions '



La Wilaya d'Alger, à travers sa Direction des déplacements, des transports et de la circulation, a lancé fin Janvier 2023 un appel d'offre national pour la réalisation d'une étude de plan de circulation sur l'ensemble de son territoire.Si cette initiative peut sembler salutaire et donner de l'espoir aux millions de personnes qui subissent quotidiennement les contraintes dues aux embouteillages du réseau routier algérois, elle est à mon avis contestable et inopportune. Les réflexions et questionnements exposés ci-après vont permettre de comprendre ce jugement.
L'étude envisagée connaîtra-t-elle un meilleur sort que celles qui l'ont précédée' Il s'agit notamment de :
l'étude du plan de circulation (couvrant un périmètre restreint allant de Bab El Oued au Ruisseau) réalisée en 1991 /1992 par l'Entreprise Métro d'Alger (EMA) avec une assistance technique française,
l'étude du plan de transport urbain et du plan de circulation de l'agglomération d'Alger, réalisée en 2005 avec un concours financier de la Banque Mondiale par le groupement canado-francais Dessau Soprin, STM et Thales, l'étude d'actualisation du plan de déplacements urbains algérois, entreprise en 2019 par le Bureau d'études belge STRATEC et sous la conduite de l'Autorité Organisatrice des Transports Urbains d'Alger (AOTU-A).
Qu'à t-on fait de ces études ' Pourquoi les avoir réalisées pour les abandonner par la suite ' A-t-on trouvé des difficultés pour les exécuter par manque de volonté politique, de moyens financiers et/ou de compétences techniques ' Ou les a-t-on jugés comme étant de faible qualité ' Qu'est ce qui empêche leur mise en ?uvre ' Ou bien est-il plus facile de commander des études que de les exécuter '
Une étude de plan de circulation ne couvre jamais un si vaste territoire comme celui de la wilaya d'Alger. Un plan de circulation devrait concerner un quartier ou un ensemble restreint de quartiers mitoyens. Le principe consiste à arrêter un schéma global d'organisation de la circulation dans un quartier ou arrondissement ou au plus dans une commune, puis de hiérarchiser les voies de circulation en leur fixant des fonctions différentes, proposer des aménagements de voies, des carrefours (avec feux si c'est nécessaire) et des cheminements piétonniers pour notamment leur permettre d'être en phase avec les fonctions qui leur sont dédiées, un plan de stationnement, etc.
La notion de plan de circulation s'applique très mal à un vaste territoire qui souffre de nombreux dysfonctionnements en termes d'aménagement de l'espace et de mobilité. Les habitants et les visiteurs d'Alger ont plus besoin d'un système de transport multimodal performant qui leur permettrait de se déplacer convenablement et au moindre coût économique et écologique, sans être les otages de la voiture particulière. En mettant l'accent sur la gestion de la circulation, on réduit l'épineux problème de mobilité à une question de gestion des flux de véhicules sur le réseau routier, ce qui conduit, en posant mal les questions à aller forcément vers de mauvaises solutions. La congestion de la circulation automobile est la conséquence du système de déplacement en place, qu'il ait été choisi ou non. La prépondérance du véhicule particulier pour les déplacements n'est que le résultat de l'absence d'alternative pour les habitants et les visiteurs de la ville. Pour que le réseau routier puisse accueillir un volume de trafic supportable et éviter son asphyxie, il faut développer les transports collectifs (bus en premier et pas uniquement le métro et tramway comme on a tendance à le faire ces dernières années), les modes doux (à pied, vélo) et le covoiturage afin d'en faire des modes de déplacement principaux. A défaut, il est logique que chaque citoyen veuille se motoriser pour satisfaire avec ses propres moyens ses besoins de déplacement. Et en réalité, ce n'est pas la possession de la voiture particulière qui pose problème mais plutôt son usage effréné en tout lieu et à tout moment !
L'appel d'offre pour la réalisation d'une étude de plan de circulation est limité aux seuls bureaux nationaux avec comme noble objectif de faire appel à l'expertise nationale. Mais, soyons honnêtes, humbles et réalistes. Les quelques bureaux d'études nationaux qui exercent dans le secteur des transports urbains, même réunis, ne peuvent aligner des experts de haut niveau requis pour ce genre d'exercice. Alors qu'en sera-t-il lorsque c'est un seul bureau qui sera retenu pour cette opération ' Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il fasse mieux que ce qu'il a fait ailleurs dans le pays. Pourquoi ' Parce que les quelques experts nationaux en matière d'ingénierie de la circulation routière qu'il va mobiliser ont exercé en Algérie en vase clos dans des petites et moyennes agglomérations du pays, et sans savoir si les solutions qu'ils avaient proposées ont été ou non adéquates dès lors qu'aucune des études (soit plus d'une centaine depuis 1985) financées à perte par le Trésor public n'a été exécutée. Il faut avoir le courage et l'honnêteté de dire « Nous ne savons pas faire ». Titiller inutilement notre fierté et prétendre faire du patriotisme en fermant la porte à l'expertise étrangère n'est pas du tout payant en fin de compte. La réalité est que nous ne savons pas mener seuls ce genre d'études sur un territoire vaste et complexe. Alger, a besoin d'être traitée différemment avec des moyens humains hautement qualifiés qui ont exercé leur talent dans de grandes métropoles de plus d'un million d'habitants et des outils techniques sophistiqués (en faisant notamment appel à des drones pour filmer du ciel le trafic automobile et prendre des photographies aériennes, en bâtissant un modèle de simulation de trafic spécialement pour Alger, etc. ). Alger, de par son statut de capitale, sa taille et sa population n'est pas comparable à une ville de l'intérieur du pays; elle est unique. S'il faut s'inspirer des exemples réussis en matière de gestion de la circulation, mais aussi et surtout de développement du système de mobilité, il faut chercher ailleurs! Et à vrai dire, y a-t-il une ville algérienne qui peut être considérée comme étant un modèle à suivre en matière de gestion des transports urbains et de la circulation routière '
En l'absence d'un contrôle efficace de la part des administrations commanditaires des études (Direction des transports de Wilaya ‘' DTW ‘' et APC principalement), car ne disposant pas de compétences techniques en matière de circulation routière, les bureaux d'études nationaux (publics et privés) sollicités pour réaliser les études de circulation mais aussi des études générales de transport urbain, ont majoritairement tendance à faire du ‘' copier - coller ‘' et à délivrer des rapports pesant plus en termes de papier que d'idées bien conçues et de solutions appropriées, susceptibles de mettre fin aux dysfonctionnements du réseau de voiries. Les bureaux d'études concernés ne sont pas seuls responsables de cette situation; les administrations en sont également responsables dès lors qu'elles préfèrent commander des études complexes sans payer le bon prix. A très bas prix, on ne peut obtenir des études de qualité. L'habitude semble être de faire de temps à autre une étude de transport urbain et de circulation routière pour dire que l'administration se préoccupe des difficultés de déplacements de la population et qu'il faut garder espoir pour les voir disparaitre.
Pour revenir à Alger, qu'a-t-on fait du projet d'équipement en feux tricolores des carrefours d'Alger ' Le premier appel d'offres lancé par la Wilaya d'Alger pour équiper les carrefours en feux tricolores et installer un poste de régulation centralisé remonte à 1995 ! Puis le projet a été mis en sourdine et un nouveau projet d'équipement de 300 carrefours à été lancé au début des années 2000. Par la suite, celui-ci a muté vers 500 carrefours pour finalement passer à la trappe et qu'aucun responsable ne l'évoque dorénavant alors que durant une vingtaine d'années, tous les directeurs qui se sont succédé à la tête de la DTW et d'autres hauts responsables de la Wilaya d'Alger et du Ministère des transports ne manquaient aucune occasion pour vanter ce projet et dire qu'il contribuera grandement à la résolution des problèmes de circulation. Si le projet a été abandonné et que l'on n'est pas parvenu à régler le problème de la congestion, nous ne savons pas quelle est la part consommée du budget du alloué.
Si on considère qu'un plan de circulation, en supposant qu'il va être mis en ?uvre et que tous les obstacles qui se dresseront devant lui seront levés (manque de volonté politique, absence de moyens financiers, sous encadrement technique de l'administration pilote de l'opération, bureaucratie, régulation de la circulation manuelle privilégiée par rapport à la régulation électronique, etc.), il n'est pas suffisant pour mettre fin à la congestion du réseau routier : le problème doit être posé en termes de mobilité et d'accessibilité. Que doit-on faire pour offrir à la population un système de déplacements performant, économique, équitable et durable (c'est-à-dire impactant le moins possible l'environnement) tout en parvenant à ramener le trafic automobile à des niveaux supportables par le réseau routier ' Ce n'est pas une vue de l'esprit, ni une idée farfelue mais bien d'une approche sérieuse qui a été, depuis plus d'un quart de siècle, avancée soit dans le cadre des études de plans de transport faites à Alger, soit lors de la mise en ?uvre de projets d'infrastructures de transport de masse comme le métro et le tramway. Mais, les pouvoirs publics l'ont toujours ignoré en pensant à tort que ces derniers pourraient à eux seuls régler la question des déplacements. Or, aussi longtemps que le bus, qui est le mode de transport urbain dominant, est maintenu dans une situation de délabrement avancé, les déplacements à Alger resteront pénibles, inefficaces et coûteux. Même si l'on parvenait un jour à bâtir un réseau de métro / tramway en toile d'araignée après des décennies d'effort et de dépenses faramineuses et inutiles, le problème restera posé tant qu'on n'aura pas bâti en parallèle un réseau de bus performant, complémentaire du premier.
Par conséquent, les pouvoirs publics ont intérêt à engager sans tarder une opération d'assainissement, de restructuration et de développement du réseau de transport public par autobus (secteur privé et public) tout en agissant sur les volets concernant la gestion de la circulation et du stationnement, le développement des infrastructures de transport public, la mise en place de plateformes logistiques, l'organisation du transport de marchandises, l'aménagement du tissu urbain, etc., lesquels interagissent les uns sur les autres et font que la ville fonctionne bien lorsque eux-mêmes fonctionnent ensemble dans une bonne harmonie. Il est temps d'avoir une vision globale sur la politique de la mobilité à mener à Alger comme dans le reste des villes algériennes, de cesser de distinguer le problème de la circulation routière de celui des déplacements de personnes et de transport des marchandises, et d'accorder plus d'intérêt à la gestion du système de déplacement urbain au sens large du terme (tous modes de transport confondus et voirie) qu'à la construction d'infrastructures de transport. Sans un développement prodigieux des transports publics et particulièrement du mode bus, (privé et public), la maîtrise de la congestion ne pourra pas être assurée car la dépendance envers l'automobile restera forte.
Compte tenu de ce qui précède, il serait plus raisonnable d'engager non pas une étude de plan de circulation mais une réflexion approfondie pour établir un état des lieux et arrêter une stratégie permettant de doter Alger d'un réseau de transport urbain performant, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui malgré les investissements colossaux engagés pour le développement des infrastructures routières et de transport par métro et tramway. La primauté devrait être donnée en premier lieu au management du système de transport dans son ensemble (organisation institutionnelle, dynamisation de l'AOTU-A, mobilisation et formation de ressources humaines, développement de systèmes de transport intelligents, refonte en profondeur et modernisation du réseau bus assuré par le secteur privé, etc.).
*Economiste des transports


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