Algérie

Conférence de Melun



Le 16 septembre 1959, le Général De Gaulle prononce une allocution radiotélévisée au Palais de l'Elysée, dans laquelle il énonce le principe fondamental de l'autodétermination pour régler le problème algérien avec trois solutions convenables à son avis, qui fera l'objet de la consultation. « Ou bien la sécession où certains croient trouver l'indépendance. La France quitterait alors les Algériens qui exprimeraient la volonté de se séparer d'elle. Ceux-ci organiseraient, sans elle, le territoire où ils vivent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement qu'ils souhaitent. Je suis, pour ma part, convaincu qu'un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux...»  «Ou bien la francisation complète, telle qu'elle est impliquée dans l'égalité des droits. Les Algériens peuvent accéder à toutes les fonctions politiques, administratives et judiciaires de l'Etat...»  «Ou bien le gouvernement des Algériens par les Algériens appuyé sur l'aide de la France et en union étroite avec elle pour l'économie, l'enseignement, la défense, les relations extérieures...»  Le 15 octobre 1959, l'assemblée nationale française approuvait, par 441 voix contre 23, la déclaration du gouvernement reprenant les thèmes du discours prononcé le 16 septembre.  Le 20 novembre 1959, le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne désigne comme d'éventuels négociateurs de cette proposition, les leaders de la Révolution, Rabah Bitat, arrêté le 23 mars 1955 à Alger, et Hocine Aït Ahmed, Ahmed Benbella, Mohamed Boudiaf et Mohamed Khider, incarcérés en France depuis le détournement le 22 octobre 1956, de l'avion marocain qui les transportait de Rabat à Tunis.  Entre-temps, contrairement aux militaires français, De Gaulle, en militaire, a apprécié différemment les résultats des opérations Challe. Dans une conférence de presse tenue à l'Elysée le 10 novembre 1959 il déclare, «en 1957 il y avait en Algérie, en moyenne, tous les mois 2.000 exactions de toutes sortes, en 1958 il y avait en moyenne par mois 1.600, en octobre 1959 il dépasse à peine 1.000». Pour des opérations censées briser une fois pour toutes la Révolution il était loin du compte.  Mieux que quiconque, il était en mesure de ne pas partager les cris de victoire des officiers et officiels français, à savoir l'écrasement total de la rébellion et son anéantissement définitif.  Ancien responsable de la résistance française, il ne pouvait en aucun cas ne pas reconnaître qu'un mouvement de libération ne peut jamais être vaincu et que les 1.000 exactions par mois en octobre 1959 sont un signe irréfutable que l'insurrection était loin d'être à genoux.  D'autre part, De Gaulle, l'incarnation de la France, De Gaulle l'orgueilleux, De Gaulle l'homme du 18 Juin, De Gaulle le sauveur de la France, venait de subir un échec et un affront avec une tentative d'insurrection du 24 au 31 janvier 1960, avec l'occupation par les pieds-noirs de la faculté d'Alger de la Compagnie Algérienne (banque dévalisée par les manifestants) et du centre-ville, la complicité du Premier Régiment Etranger de Parachutistes (1er REP), des généraux Faure, Mirambeau, Gracieux et des Colonels Argoud, Broizat, Godard et surtout de l'abandon du pouvoir légal et la fuite à 45 km (caserne militaire de Réghaïa) des autorités civiles et militaires, à savoir Delouvrier, Délégué Général du Gouvernement français à Alger, et Challe, Commandant en Chef des Forces Armées en Algérie.  Devant la tournure des événements et la gravité de la situation dans les deux camps, les deux antagonistes, De Gaulle et le GPRA, ne pouvaient que rechercher un début de contact à défaut de négociations pour faire avancer la solution du drame algérien.  Intelligemment, le GPRA, par la voix de son représentant à New York, Abdelkader Chanderli, fait un appel du pied à la partie française avec une déclaration reprise par le journal Libération du 8 mai 1960 où il dit «le FLN est prêt dès demain à siéger avec le gouvernement français pour mettre au point un référendum libre en Algérie, mais ne pourra jamais laisser la France l'organiser... Nous acceptons l'autodétermination et en discuter l'application. Mais les Français demandent au FLN de déposer les armes et de les laisser organiser le référendum, ce que nous ne pouvons accepter. Nous voulons être certains que ce sera l'expression libre... Le référendum représente une forte proportion du peuple algérien...  Le 14 juin 1960, le Général De Gaulle déclare de nouveau dans une déclaration radiotélévisée : «On ne conteste plus, nulle part, que l'autodétermination des Algériens quant à leur destin soit la seule issue possible de ce drame complètement douloureux... Une fois de plus je me tourne, au nom de la France, vers les dirigeants de l'insurrection. Je leur déclare que nous les attendons ici pour trouver avec eux, une fin honorable aux combats qui se traînent encore, régler la destination des armes, assurer le sort des combattants...»  Le 20 juin 1960 le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne fera connaître sa décision, à savoir l'envoi d'émissaires, pour organiser les modalités du voyage en France, d'une délégation présidée par Ferhat Abbas.  «Désireux de mettre fin au conflit et de régler définitivement le problème, le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne décide d'envoyer une délégation présidée par Ferhat Abbas pour rencontrer le Général De Gaulle».  Une délégation d'émissaires est envoyée pour discuter des modalités des pourparlers. Présidée par Maître Ahmed Boumendjel, avocat de renom, ancien défenseur des leaders emprisonnés en France, ancien membre du bureau politique de l'UDMA, ayant rejoint le FLN début 1957 après l'assassinat de son frère Ali, avocat lui aussi, par les paras à Alger, membre du Conseil National de la Révolution Algérienne, ami et confident du Président Ferhat Abbas, elle était composée de Mohamed Benyahia, jeune et brillant avocat, directeur de cabinet du Président du GPRA, membre du Conseil National de la Révolution Algérienne, et de Rachid Hakiki, jeune cadre du MALG spécialiste dans les Transmissions et le Chiffre.  La délégation qui a pris le matin du 25 juin, un vol Tunis Air à destination de Paris, a été transportée dès son arrivée, par hélicoptère à la préfecture de Melun où elle sera logée au deuxième étage du bâtiment. Elle subira une claustration complète imposée par les autorités françaises durant tout le séjour.  Elle a été accueillie à la préfecture par M. Suel, directeur de cabinet du Secrétaire Général aux Affaires Algériennes auprès du Premier ministre M. Michel Debré, par ces mots : «Bienvenue à messieurs les plénipotentiaires». Ces mots ne sont pas tombés dans l'oreille d'un sourd.  A 16 heures, les deux délégations tiennent leur première audience : du côté algérien, Boumendjel, Benyahia et Hakiki, du côté français Roger Moris, Secrétaire Général aux Affaires Algériennes auprès du Premier ministre, le Général Hubert de Gastines et le Colonel Mathon négociateur du voyage des commandants Si Salah, Si Lakhdar et Si Mohamed de la wilaya 4 à Paris, reçus le 10 juin 1960, par le Général de Gaulle pour négocier un cessez-le-feu. Monsieur Moris qui fréquentait Maître Boumendjel à Paris avant que celui-ci ne rejoigne la Révolution, ne put s'empêcher de lui serrer chaleureusement la main, oubliant peut-être qu'il avait en face de lui un adversaire, pire un ennemi politique.  Ayant pris place l'un en face de l'autre autour de la table de négociations, Boumendjel en homme politique chevronné et avocat de valeur, déclare : «Une poignée de main pour l'amitié, un titre de plénipotentiaire pour la reconnaissance de notre Etat algérien, nos discussions commencent bien». Cette déclaration jeta un froid dans la salle. La conférence débuta sans autre cordialité.  D'emblée, Maître Boumendjel, relayé par Benyahia, exposait la position algérienne :  - envoi d'une délégation algérienne présidée par Ferhat Abbas Président du GPRA; - rencontre avec le Général De Gaulle;  - Ferhat Abbas devrait prendre contact durant son séjour avec les médias, les milieux politiques français, les ambassadeurs étrangers accrédités à Paris; - il pourrait tenir des conférences de presse; - les délégués algériens demandent à rencontrer les leaders emprisonnés à l'île d'Aix.  D'autre part, la délégation insistait pour connaître la composition nominative de la délégation française et leur rang et fonction.  Elle demandait aussi que le président de la délégation soit un ministre.  Au fur et à mesure que le temps passait, l'atmosphère devenait de plus en plus tendue, d'autant plus que toutes les demandes ou initiatives algériennes étaient rejetées par la partie française.  Le 29 juin 1960, M. Moris remettait le communiqué suivant à Boumendjel : «les représentants du gouvernement ont fait connaître aux émissaires de l'organisation extérieure de la rébellion algérienne les conditions dans lesquelles pourraient être organisés les pourparlers en vue conformément aux propositions faites par le Général De Gaulle de trouver une fin honorable aux combats qui traînent encore, de régler la destination des armes et d'assurer le sort des combattants. Ces entretiens préliminaires étant terminés, les émissaires doivent repartir sont incessamment pour Tunis».  Ainsi le 29 juin 1960 prit fin la conférence de Melun, première étape du processus de négociations officielles et publiques entre la France et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne. Cette rencontre peut être considérée à juste titre comme une reconnaissance de facto.  Les autorités françaises ne pouvaient en aucun cas ignorer la qualité des plénipotentiaires algériens, Boumendjel, Conseiller politique du Président du GPRA, Benyahia, Directeur de Cabinet du même Président. Ils ne se sont pas présentés à l'ambassade de France et n'ont bénéficié d'aucun document ou autorisation de voyage pour rentrer et sortir du territoire français; leur voyage et leur séjour étaient annoncés publiquement par tous les médias français et internationaux; messieurs les plénipotentiaires était le terme adéquat pour les saluer.  Aussi peut-on considérer que les premières négociations officielles entre la France et le FLN ont débuté le 20 juin 1960.  Le 5 juillet, Ferhat Abbas prononça un discours très dur qui mit fin à cette lueur d'espoir d'une fin prochaine des hostilités : «Nous devons renforcer nos moyens de lutte et notre combat armé... L'indépendance ne s'offre pas, elle s'arrache... La guerre peut être encore longue».  Depuis le départ de la délégation sur Paris, M. Mhamed Yazid, ministre de l'Information, demandait journellement à partir de Nez York, des instructions au Président Ferhat Abbas pour pouvoir agir.  N'ayant rien à lui signaler, Abbas charge Abdelhafid Boussouf de prendre contact avec Yazid et de l'informer de la situation.  Boussouf en compagnie de Mehri remettent alors un paquet, acheté à Khan Khalil, souk renommé du Caire, contenant les instructions à Abdelkader Chanderli de passage pour le donner à Yazid avec une consigne stricte : remise sans témoin.  Arrivé à New York, Chanderli remet le paquet cylindrique à Yazid. Celui-ci l'ouvre et découvre une flûte devant un Chanderli éberlué. J'ai compris le message.  Devant l'étonnement de Chanderli qui demandait : qu'est-ce que tu as compris ?  Yazid déclare : la conférence de Melun n'a rien donné, on me demande de jouer ce que j'ai envie de jouer.  Tombé entre les mains de n'importe quel service étranger, ce paquet n'aurait jamais pu être décodé ou décrypté.  Cette anecdote démontre, s'il en est besoin, le degré de formation, de communion, de complicité et d'intelligence de ceux qui ont dirigé notre lutte de libération.  Pour finir, j'aimerais donner le point de vue du Président Ferhat Abbas sur les trois hommes de droit cités dans ce document : Boumendjel, Benyahia et Yazid : Lorsque le GPRA est confronté à un problème, on le remet à Boumendjel si on veut le résoudre, à Benyahia pour le faire perdurer, à Yazid pour l'aggraver. NB: Cet article est extrait d'un livre qui sortira prochainement sur la lutte de libération. *Ancien responsable au MALG


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