Algérie

Concept de 'corporate governance'



La gouvernance des entreprises renvoie souvent à des facteurs économiques, sociaux, culturels et politiques différents qui relativisent et souvent différencient l'utilisation de ce concept et de ses instruments de mesure et d'analyse considérés trop rapidement comme universels (Aoki M, 1986, 1990).
D'ailleurs c'est pour ces mêmes raisons que ce concept de " corporate governance ", basé d'abord sur la création de valeur et ensuite sur la "responsabilité sociale des entreprises" n'a pas les mêmes applications aux Etats-Unis (modèle anglo-saxon), au Japon (modèle asiatique), en Allemagne (modèle rhénan) et en France (modèle latin). A plus forte raison, s'agissant des entreprises du monde arabe et de l'Afrique, dont celles d'Algérie, la prudence méthodologique doit être plus marquée car il s'agit dans la plupart des cas d'entreprises exerçant dans des pays en transition.
Voyons d'abord le premier élément de différentiation : il est d'ordre institutionnel. Les institutions préjudicielles qui délimitent le champ et les règles opératoires dans lesquels se déploie ce concept sont essentiellement les institutions de marché (bourses des valeurs, marchés financiers et obligataire, organes de régulation, etc.). Ces dernières sont inexistantes ou, au mieux, embryonnaires dans nos pays arabes et africains.
Deuxième élément de différentiation : il est d'ordre historique et culturel. Historiquement ce concept de " corporate governance " est né aux Etats-Unis dans l'Université de Harvard et a connu sa période de mise au point dans les décennies 50 et 60 du siècle dernier. L'opérabilité recherchée du concept résidait dans l'identification des conditions de mise en place d'une gouvernance orientée vers la " création de valeur " au profit des seuls actionnaires. Sa mise en perspective peut se résumer, dans un champ daté, en trois étapes. La première phase a été celle de la sanction par le marché de toute gouvernance d'entreprise médiocre. Cela s'est traduit par la mise en place d'un mécanisme appelé " opération publique d'achat " (OPA) qui permettait au " marché " de reprendre le contrôle et finalement s'emparer des entreprises considérées comme mal gérées, c'est-à-dire en vérité ne générant pas suffisamment de profits pour les actionnaires.
La seconde phase a porté ' après celle de la menace et de la sanction- sur un mouvement inverse : celui de la récompense. Ainsi des " stocks- options " et primes de résultats notamment dans la sphère bancaire (traders) sont offerts aux administrateurs et managers par les actionnaires.
S'agissant des stocks-options, ils sont corrélés à la valeur ultérieure de l'action dont le niveau devrait ainsi être le plus élevé possible dans l'intérêt conjoint et solidaire du gestionnaire et du propriétaire.
Enfin la phase actuelle, postérieure à la crise financière internationale de 2008, qui est d'une part celle de la reprise complète du pouvoir par les actionnaires et d'autre part d'une régulation plus stricte des activités bancaires en séparant notamment les activités de banque de détail de celles des banques d'affaires et en encadrant les revenus des traders. Cela a donné naissance aux règles actuelles de la " corporate governance ", complétées par les " règles prudentielles de Basle 3 " pour la sphère bancaire et monétaire.
Cela n'a pas pourtant empêché des dérives dans la communauté bancaire et celle des affaires. On peut citer la falsification des écritures comptables par le cabinet international d'audit Andersen, disparu depuis, au profit du groupe énergétique américain Enron en vue de doper l'action de ce dernier. On peut citer la crise des " subprimes " qui a été à l'origine de la crise financière de 2008. A ce niveau d'analyse on voit bien que les pays en transition dont il est question, notamment l'Algérie, n'ont ni les institutions qui permettent d'opérer avec les règles du jeu de la " corporate governance ", ni un jeu d'acteurs de marché semblable. D'abord l'absence ou la médiocrité des institutions de marché. Tout le monde sait que la Bourse des Valeurs d'Alger n'a qu'une existence formelle avec une dizaine seulement d'entreprises cotées et une seule seulement a réalisé en 2011 une augmentation de capital par le recours à l'emprunt obligataire.
La moitié de la masse monétaire est hors circuit bancaire. Les marchés de biens et de services ne sont ni organisés ni transparents. Ensuite le jeu des acteurs de marché qui sont toujours en émergence. On s'aperçoit bien que le jeu des acteurs de marché, bien que peu lisible quelquefois, est complètement différent aussi bien pour les acteurs publics que privés. S'agissant des capitaux marchands de l'Etat, on peut relever un rôle passif ou décalé du propriétaire et une attitude craintive de l'administrateur, compte tenu notamment du risque de gestion et de la forte pression syndicale.
S'agissant du secteur privé, on notera ,sans gros risque de nous tromper, une gestion familiale voire autocratique qui a atteint ses limites et une faible capitalisation sociale sans perspective, pour le moment, d'accès à des ressources de financement significatives pour soutenir sa croissance. Alors on voit bien que les séminaires sur la gouvernance sont très utiles, surtout quand ils se focalisent sur les conditions spécifiques de mise en 'uvre, mais n'épuisent pas le sujet.
Loin s'en faut. La priorité, me semble-t-il, est de renouer rapidement avec un programme de réformes des institutions. Je ne parle pas des institutions politiques dont les réformes sont engagées et le nouveau Parlement en est chargé pour une grande partie. Je parle de celles du marché, de l'Etat et de son administration. Ce faisant les acteurs incontournables dont on parlait plus haut émergeront massivement, mais seront portés une autre culture. On verra alors, à ce moment, que les progrès sur la gouvernance dans toutes ses déclinaisons, se feront plus vite. J'en fait le pari.
M. M.




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