Algérie

Complaisance de l'Etat



Emmenée par l'historien Daho Djerbal, la revue Naqd a tenté dans le cadre de ses « rendez-vous avec la pensée critique », organisé, jeudi dernier au Cread à Bouzaréah, d'ouvrir quelques brèches dans la muraille fortifiée de la corruption et de la prédation. D'éminents chercheurs nationaux et étrangers ont pris part aux débats. Le journaliste El Kadi Ihsane a esquissé un tableau descriptif des mécanismes de ce phénomène. « Les bourgeoisies dans les autres pays étaient nées sur la prédation et la rapine à travers les conquêtes coloniales, analyse-t-il. En Algérie, cela s'est opéré en un lieu de transaction. C'est le pouvoir politique qui s'est emparé du pouvoir économique. Ce sont des positions fortes au sein de l'appareil de l'Etat qui ont été monnayées pour créer très vite de nouveaux rapports de propriété. » Pour lui, la fonction corruptive consiste à vendre du pouvoir ' administratif, politique, local ' qui permet d'améliorer et de changer la position, en passant de la fonction administrative ou politique à la sphère économique. Il rappelle qu'une grande partie des membres influents des classes possédantes et des capitaines de l'industrie nationale sont issus de familles qui ont exercé le pouvoir à différents échelons.L'intervenant note que ce phénomène s'est ralenti « au lendemain de l'indépendance en raison du paradigme révolutionnaire » avant de s'accélérer par la suite, aidé par « la progression des acheteurs de décisions (corrupteurs) ». El Kadi Ihsane cite la signature des contrats d'équipements avec les entreprises étrangères, la distribution complaisante de crédits et la redistribution du foncier comme des sources intarissables alimentant la corruption. Abordant la question de la rigidité de la politique du système, le journaliste soutient que « celui qui tient le pouvoir de nommer est le mieux protégé ». Citant la chute l'empire Khalifa et celle de Tonic Emballage, il fait le parallèle avec la reconstitution du pouvoir politique, lézardé durant les 1990. « Le pouvoir politique essaie aujourd'hui de régler la fonction corruptive par le haut. Ne rentre pas qui veut », dira-t-il. De son côté, Anastasia Zagaïnova, économiste et chercheuse venue du Kazakhstan, a abordé le sujet de la corruption et de la prédation dans les pays en transition de l'ex-URSS. Réseaux informels, bureaucratie asphyxiante, une économie en panne et l'apparition de réseaux clientélistes sont les points communs de ces pays. « La corruption s'est développée sur la base de relations d'intérêt et de reconnaissance mutuelle entre entreprises et administrations, affirme-t-elle. La ressource de ces réseaux est le soutien politique. » Lancé au lendemain de l'indépendance de ces pays, le processus de privatisation des entreprises a profité beaucoup plus aux réseaux clientélistes. « Cette privatisation s'est transformée en prédation », commente-t-elle. « Les oligarchies post-soviétiques, confortées par la concentration du capital financier et le pouvoir politique, se sont adonnées aux manipulations de lois et des parlementaires. » « Une capture d'Etat », résume-t-elle.Foncier : la prédation organiséeEn dépit des conditions fixées par l'UE dans la lutte contre la corruption, de nouvelles formes de prédation ont vu le jour dans ces pays, indique cette économiste. D'après elle, les oligarques ont travaillé dans le sens de fructifier leurs affaires, en infiltrant l'Etat, dans ces pays en transition. Citant le cas de son pays, elle conclut que le renouvellement des élites a permis l'émergence d'une opposition face au pouvoir politique. Pour sa part, l'urbaniste Rachid Boumedienne a évoqué les mécanismes de la prédation dans le secteur de l'urbanisme. « La prédation au profit des autres est valorisée (...) Elle est organisée à travers le plan d'urbanisme », dira-t-il. Plus explicite, il note que la prédation ne se joue pas seulement au sommet de l'Etat, mais existe aussi au sein de réseaux qui traversent l'appareil d'Etat. « Des chefs de réseaux vont placer des gens qui permettent de régler certaines affaires », ajoute-t-il. Concernant l'annonce de la création de nouvelles wilayas déléguées, il soutient que cela va permettre encore « le contrôle sur les collectivités locales ». Cet urbaniste estime que l'Etat ne veut pas se désengager des secteurs des hydrocarbures, du foncier, sources de la rente. Interrogé en marge de cette rencontre, Djillali Hedjadj, président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), estime, pour sa part, que « le Président ne peut pas prétexter de quelconques oppositions internes au pouvoir, maintenant qu'il a tous les pouvoirs ». Toutefois, notre interlocuteur ne se fait pas trop d'illusions, affirmant que malgré la floraison des discours, il n'existe aucune réelle volonté politique de s'attaquer à ce fléau. Il conclut que les gouvernements des pays partenaires de l'Algérie s'inquiètent davantage pour le sort de leurs entreprises qui n'arrivent pas à avoir des marchés en toute transparence en Algérie.


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