Algérie

Compagnes fabulées



Compagnes fabulées
Derrière chaque grand homme se cache une femme? de fiction.Les grands hommes du passé ont toujours attiré l'imagination des écrivains, quitte à zigzaguer autour de leurs cheminements réels. Les relations conjugales ou amoureuses font le bonheur de ces «faux biographes» capables du pire comme du meilleur. Ceux que nous présentons aujourd'hui s'en tirent plutôt bien, prenant assez de liberté pour rendre leurs fictions attirantes et assez de précautions pour ne pas trop égratigner l'histoire. Voici donc deux romans qui s'attachent à deux figures monumentales de l'histoire de l'Algérie : Saint-Augustin et l'Emir Abdelkader. Le premier se voit dépeint à travers sa compagne qu'il a mentionnée dans ses écrits sans donner de précisions. Le second se voit attribuer une fiancée juive imaginaire. Claude Pujade-Renaud signe un excellent roman sur la compagne de Saint-Augustin, Elissa (prénom imaginaire), imaginant le parcours méconnu de cette Carthaginoise. Dans l'Ombre de la lumière nous restitue avec des détails étonnants la vie dans la cité punique sous occupation romaine et l'animation culturelle florissante qui y régnait, d'une manière peut-être plus précise que dans le célèbre roman de Flaubert, Salambô.Le récit retranscrit l'atmosphère de fin du monde liée à la décadence de l'empire romain, acculé par les Vandales, et le début de l'hégémonie chrétienne sur la spiritualité. La résistance du manichéisme que les lecteurs algériens ont découverte dans le roman d'Amin Maalouf, Les Jardins de lumière, s'effiloche au fil des ans. L'auteure invente un moment inaugural sur une colline de Carthage surplombant la mer où l'évêque d'Hippone tombe amoureux d'Elissa, jeune fille issue d'une famille modeste. Le jeune Augustinus, venu de Thagaste (Tébessa), pour parfaire sa formation en rhétorique, perpétue la passion des Numides pour la science et l'apprentissage des langues antiques du fait de leur culte de l'art oratoire. Elissa, après une quinzaine d'années de vie avec Saint-Augustin, introduit le lecteur dans l'intimité du couple sans sombrer dans le voyeurisme et en soulignant la passion du futur évêque pour la lecture, l'écriture et l'enseignement. La compagne délaissée n'oublie pas la relation fusionnelle entre Saint-Augustin et sa mère, Monica, un amour envahissant et quelque peu infantilisant. Malgré son éloignement de Rome et d'Hippone, Elissa arrive à suivre, étape par étape, l'écriture de l'œuvre majeure de Saint-Augustin, Les Confessions, à partir d'un poste d'observation imparable, l'atelier du copiste Silvanus. Celui-ci se fournit en encres chez un certain Marcellus, qui se trouve être le beau-frère d'Elissa. Elle arrive à se lier d'amitié avec Silvanus et sa femme Victoria. Cette proximité lui permet, dans un anonymat heureux, de voir l'œuvre prendre forme sous la plume du copiste. Elle constate que des épisodes de leur vie sont réécrits à l'aune de la conversion de Saint-Augustin au catholicisme. Ce récit d'une grande efficacité ressuscite un monde antique qu'on croyait à jamais englouti sous les sublimes vestiges de l'Afrique du Nord.Pour sa part, la poétesse et romancière libanaise Vénus Khoury-Ghata nous livre, avec La Fiancée était à dos d'âne, une fiction construite autour de la vie de l'Emir. Dès l'entame, le lecteur est replacé dans un contexte historique très dur pour les Algériens et qui coïncide avec la fin de l'épopée de l'Emir. Le lecteur découvre Yudah, âgée de quatorze ans. Elle appartient à la tribu juive des Qurayzas qui nomadise dans le Sud algérien. Le rabbin Haïm, autorité morale et religieuse de la tribu, met en œuvre une idée qui a germé dans sa tête, à savoir proposer à l'Emir une belle jeune fille comme épouse pour recevoir sa protection. Cette initiative n'est pas du goût de l'adolescente. Malgré son jeune âge, elle comprend la réalité de son sort, qu'elle conçoit comme une pure transaction politico-commerciale. La violence de la conquête a atteint son paroxysme avec le dépeçage par les soldats français de corps d'Algériens dont ils brandissent les morceaux comme des trophées. Yudah arrive trop tard parmi l'entourage de l'Emir et connaîtra l'exil et le déracinement avec la défaite du chef de la résistance. L'auteure décrit dans le détail comment la France n'a pas respecté ses engagements envers l'Emir et son entourage. Yudah, devenue Esther, va inlassablement errer à travers la France pour essayer de retrouver ce fiancé de légende. Son destin la conduira à rencontrer Victor Hugo.Dans cette histoire d'exil et d'arrachement, l'auteur nous montre que les illusions peuvent devenir la quête d'une vie. Yudah, fille du Sahara, apparaît comme un personnage balzacien réincarné dans une tragédie grecque.A travers ces deux fictions, l'histoire réelle est globalement respectée. Au-delà des intrigues personnelles, ce type de roman peut amener les lecteurs à s'intéresser à l'histoire réelle. Par sa richesse, celle de l'Algérie est un puits sans fond d'inspiration et on peut déplorer que le roman historique ne soit pas plus présent dans l'édition algérienne.-Claude Pujade-Renaud, Dans l'Ombre de la lumière, Actes Sud, 2013.-Vénus Ghata-Khoury, La Fiancée était à dos d'âne, Mercure de France, 2013.




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