Algérie

Communiquer ou sombrer



«Allo Tonton, pourquoi tu tousses ?» (Fernand Raynaud)

Titre d'un célèbre sketch, d'un non moins célèbre humoriste connu par certaines générations, la citation ci dessus est une formule aujourd'hui souvent reprise, dans des thématiques liées à la communication, pour illustrer la sérieuse problématique des relations humaines.

 Qu'elle soit familiale, sociale ou institutionnelle, la communication, essence de la vie en société, a depuis longtemps fait l'objet d'études dans divers champs de la connaissance dont la cybernétique qui s'appuie sur des modèles apparentés au fonctionnement d'un téléphone basé sur ses trois éléments : l'émetteur, le récepteur et le canal ou milieu. Un modèle simplifié considère l'information comme un signal transmis par un émetteur vers un récepteur, via le canal. Communiquer c'est émettre avec le code qui convient, en usant d'un support (écrit, oral ou autre) qui sied le mieux, afin que la réception soit optimale. Lorsque les rôles sont inversés, entre le récepteur et l'émetteur, on parle de rétroaction ou de feed-back. Au cours d'une communication, il y a altération partielle ou totale du message ; on parle alors de bruits ou freins à la communication qui peuvent provenir des trois éléments cités plus haut, et qui résultent d'un certain nombre de facteurs.

 A cet effet, des études ont montré que l'érosion de la communication peut atteindre une proportion importante que nous pouvons illustrer par une citation de Bernard Werber : «Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous croyez entendre, ce que vous entendez, ce que vous avez envie de comprendre, ce que vous croyez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même»…Mais essayer, c'est vouloir atténuer cette érosion. L'émetteur doit alors reformuler ses messages et utiliser le feed-back, c'est-à-dire laisser le récepteur s'exprimer. Pour transmettre, le canal doit aussi être approprié et nettoyé de ses «fritures». Ainsi la communication n'est pas unidirectionnelle, doit être partagée ; elle ne se confine pas à un jet de messages tel un lancement de cailloux et ne consiste pas en un discours enflé et catapulté. L'échange est mutuel et interactif ; il faut ainsi porter un regard sur soi et sur l'autre.

 Lors d'une relation interpersonnelle ou restreinte, l'incommunicabilité peut surgir quand chaque partie campe sur ses positions. Nous sommes alors en présence d'un moindre mal, et l'unique solution consisterait à adopter le silence, cette belle éloquence. Par ailleurs, la communication a souvent du mal à s'établir quand il est question de conflits d'intérêts, que ces derniers soient d'ordre moral ou matériel. Dans ce dernier cas, et quand l'enjeu est social, la juste satisfaction des attentes passe inévitablement par un consensus. Sous d'autres cieux, on imagine une relation gagnant –gagnant. L'incommunicabilité, signe d'intolérance qui engendre de la violence, provient aussi d'un esprit patriarcal déphasé, conformiste, et armé d'un autoritarisme blindé. Manifester de l'intolérance revient à ne pas admettre qu'un autre puisse avoir un avis différent du sien, et exiger que l'autre ait de gré ou de force , les mêmes idées que soi même. Cette étanchéité cérébrale très patriarcale paraît relever d'une conception bien de chez nous du Nif, consistant à confondre fierté, dignité, audace et vanité, puis à fourrer vertus, défauts et tares dans le même paquetage. Ecouter l'autre c'est le respecter. Reconnaître les propos de l'autre, quand ils sont argumentés et même s'ils dérangent, est une forme d'humilité, ce mérite des hommes dépourvus de suffisance ou des grands de ce monde, vivants ou disparus. L'incommunicabilité semble avoir un lien avec la désintégration des valeurs et la perte des repères qui ont ouvert les portails aux vents de l'artifice, en vénérant par exemple le paraître et en mercantilisant le savoir (quand l'ignorance ne crache pas dessus). Pourtant, il est inutile d'être doté d'un fort intellect pour saisir que le paraître ne saurait cacher la totale nudité de l'être. Engoncée dans des certitudes éculées, dépositaire d'un savoir étriqué, la culture patriarcale débridée germe partout en déployant ses tentacules, mais fait face aujourd'hui à une dynamique juvénile extraordinaire. Dans cette optique, l'actualité nationale ou internationale, fait découvrir une jeunesse avide d'exister qui jongle avec les technologies de l'information et de la communication. La surdité, la cécité et le mutisme feints ou réels sont vains. Communiquer, c'est donc dire mais c'est aussi écouter. Communiquer, c'est défendre ses positions par les arguments, pas par la tchatche, les tours et les détours, l'injonction, le bonbon ou le gourdin. Communiquer c'est convaincre, pas vaincre, c'est dialoguer pas monologuer, c'est argumenter, pas édicter, c'est débattre, pas se battre. Certains considèrent qu'il est impossible de ne pas communiquer. «Tu es aveugle, je suis sourd muet. Que ta main touche la mienne et que la communication soit» dixit Khalil Gibran.

 En fin de compte, la communication est un impératif avant d'être une vertu. Comme pour un interrupteur qui est soit fermé soit ouvert, ou une lampe, allumée ou éteinte, il n'y a qu'une seule alternative : communiquer ou sombrer. Quand on pense que la communication existe depuis la nuit des temps et qu'elle a concerné dans l'ordre chronologique l'espèce végétale, la faune et enfin l'homme, il y a de quoi rester perplexe, devant des concombres, des citrouilles, des choux fleur , des abeilles, des fourmis , des chimpanzés ou des pingouins qui communiquent tous et parfaitement bien.

* Sculpture de Hidari Jingoro (Japon) : les trois singes








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