Algérie

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Lorsque la mémoire est ignorée, mutilée ou bafouée, la nation finit, avec le temps, par s'effilocher jusqu'à en perdre son âme. L'amnésie et l'impunité sont les plus redoutables ennemies des sociétés humaines. Et si aujourd'hui nous évoquons un douloureux anniversaire, celui de la bombe qui, il y a vingt ans, fit des ravages à la maison de la presse Tahar Djaout d'Alger, c'est pour souligner cette leçon de l'histoire dont se sont inspirés de grands dirigeants du monde pour apaiser la conscience de leur peuple, ajoutant les dimensions que sont la vérité et la justice. Le plus emblématique est Nelson Mandela. Force est de constater que les Algériens qui ont vécu la décennie 1990 n'en retiennent que quelques bribes. Mais ils véhiculent un immense traumatisme que le temps a certes atténué, mais qui reste toujours vivace, alimenté par l'incompréhension de cette guerre absurde.Ceux nés après ces années-là n'en savent absolument rien, pourtant ce sont les jeunes auxquels on demande de s'identifier aux valeurs de la nation. Ils ignorent totalement qu'une véritable armée, adossée à une formation politique fanatisée à l'extrême, est partie à l'assaut de son pays pour lui imposer une vision du monde et de l'au-delà, puisée dans une conception rétrograde de la religion, étrangère à la société algérienne qui a de tout temps pratiqué un islam apaisé et modéré.Le GIA, l'AIS, le GSPC et Al Qaîda voulaient faire de l'Algérie ce que Daech entreprend aujourd'hui en Irak et en Syrie, la destruction de l'édifice républicain du pays et l'anéantissement de toutes les composantes de la société qui s'en réclament. Les terroristes usèrent de tous les procédés de destruction, y compris les massacres de masse de civils, poussant les forces de sécurité à la guerre totale avec son inévitable lot de bavures dont un grand nombre de civils en payèrent le tribut, furent tués ou ont disparus.Le paradoxe est qu'ils eurent un allié de taille, les grandes capitales internationales, y compris d'Etats démocratiques, qui ne saisirent pas la nature et la portée de la guerre menée en Algérie, la réduisant à un conflit entre des autorités politiques et des opposants armés leur disputant le pouvoir. Le pays fut isolé et sa population abandonnée à un sort qui aurait pu être fatal, n'eut été l'admirable résistance des citoyens de tous bords et de toutes catégories.«Plus jamais ça» aurait dû être le leitmotiv de la nation ces quinze dernières années. Mais les gouvernants choisirent la voie de la «réconciliation nationale» qui eut une vertu, le désarmement de milliers de terroristes, faisant d'eux des repentis retrouvant tous leurs droits. Mais son vice a été d'ignorer superbement les victimes dont le sacrifice n'a pas été reconnu comme il le fallait : elles sont sans statut. Leurs familles, quant à elles, sont privées de la connaissance exacte des faits qui ont mené à la disparition de leurs proches. Pour des milliers de personnes, le deuil n'est pas encore fait.Alimenté par le retour arrogant à la vie civile des terroristes repentis et de leurs commanditaires politiques, leur traumatisme est accentué par l'ambition de ces derniers de renouer avec l'activité politique. Ce traumatisme sera intenable si les autorités leur offrent cette possibilité, ce qui n'est pas une vue de l'esprit. Au-delà de l'échec de la catharsis tant voulue par les thérapeutes, il y a un risque de voir se fissurer davantage la société algérienne entre les victimes et les bourreaux. Et de voir s'éloigner cet apaisement, tant attendu, sans lequel la nation ne pourra se reconstruire.




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