Algérie

Comment sortir de ce cauchemar



Par Mahmoud CHABANE*
Personne n'ignore le fait que depuis un certain nombre d'années, il devient problématique et stressant pour une très large frange de citoyens à bas revenus, de se procurer de quoi assurer le minimum vital à leurs familles. Doit-on pour autant, s'étonner de voir les prix des produits alimentaires essentiels de base grimper de manière inconsidérée, alors que les causes connues de tous continuent d'engendrer des effets négatifs frappant de plein fouet la majeure partie de la population qui voit son pouvoir d'achat s'éroder' Cette situation largement prévisible, faut-il le souligner, préjudiciable à plus d'un titre, m'amène à partager les éléments essentiels qui, à mon humble avis, sont à la base de la flambée des prix et à l'origine de l'instabilité de la mercuriale.
Mais avant cela, je signale que la présente contribution se veut être de ce fait, le prolongement de ma précédente tribune intitulée fort justement Décolonisation de notre agriculture un acte majeur de notre souveraineté nationale» (cf Quotidien d'Oran du 16.07. 2020), plaidant pour passer d'une agriculture au service de la puissance coloniale qui produisait pour les privilégiés, à une agriculture produisant pour le peuple algérien. C'est pourquoi, j'avais relaté de manière succincte les principales phases qui ont marqué notre agriculture, ébauché et soumis à débat, un certain nombre de propositions jugées pertinentes allant dans le sens de la question traitée.
Quelques rappels nécessaires
1-Tout d'abord, il va falloir cesser d'entretenir le mythe trompeur selon lequel notre pays fut le «grenier de Rome», ce qui laisse supposer que celui-ci est hautement agricole, et bien plus tard de l'empire français, qui, pour entre autres, s'affranchir du payement du blé qui lui avait été livré, avait décidé d'envahir notre pays. C'est d'ailleurs ce leitmotiv que certains responsables qui se croient tout permis lancent, non sans une pointe de mépris, à l'adresse des fellahs constituant la colonne vertébrale de notre économie agricole et de l'encadrement agricoles médusés, pour leur imputer la faiblesse des productions agricoles et déconsidérer leurs efforts, ô combien méritoires!
Certes, il se trouve que notre pays, naturellement bien doté en termes de superficies, de climat, de luminosité, de position géographique stratégique... en un mot, réunissant les conditions naturelles idoines qui caractérisent un pays à vocation agricole, offre des possibilités d'étendre à volonté la superficie des terres cultivables. Pour ce faire, il suffit de réunir les conditions qu'exige chaque plante dont l'indispensable dose d'eau (pluviale ou par irrigation) et de mettre en oeuvre de manière maîtrisée les techniques et les acquis de la recherche agronomique. Pour étayer cette affirmation, il convient de citer l'exemple le plus significatif (il doit faire école et être médité) que nous offrent incontestablement nos douces Oasis et leurs cultivateurs. Mais de là à en faire arbitrairement un grenier de Rome, à convoquer notre histoire pour lui faire dire des contrevérités, c'est un pas qu'il faut éviter de franchir.
Cependant, il y a un facteur limitant de taille: l'EAU! La pluviométrie qui reste, du fait de son insuffisance, de sa répartition dans l'espace et dans le temps. C'est là, le seul facteur limitant sur lequel l'homme reste impuissant et dont il doit tenir compte dans son entreprise de production agricole. Il ne lui reste que son génie créateur pour gérer et utiliser avec parcimonie et surtout un niveau élevé de responsabilité, cette précieuse et vitale ressource qui tend à se raréfier avec les bouleversements climatiques inquiétants que l'on connaît auxquels s'ajoute le gaspillage inconsidéré de cette ressource rare.
Et dire que la gestion de l'eau a été de tout temps au centre des préoccupations de nos aïeux qui avaient su développer et mettre en place des procédés ingénieux (exemple significatif des foggaras) pour gérer collectivement et distribuer équitablement cette précieuse et vitale ressource naturelle, selon un ordre de priorité préalablement établi qui tienne compte des besoins des principaux utilisateurs, en l'occurrence les animaux, les humains, les producteurs agricoles...Il faut aussi garder à l'esprit que notre pays se situe dans les zones arides et semi-arides caractérisées par une pluviométrie très irrégulière dans le temps et dans l'espace.
2-Par ailleurs, il faut admettre que la démographie galopante que connaît le pays peut contrarier considérablement, voire annihiler, les efforts déployés pour améliorer quantitativement et qualitativement les productions agricoles et de la productivité. Celles-ci ne connaîtront certainement pas la même évolution que les besoins toujours grandissants induits par cette croissance démographique débridée et l'aspiration des citoyens à améliorer leurs repas quotidiens. De ce fait, il est à craindre que les pénuries touchant les produits de base risquent de perdurer, surtout si l'on continue à produire pour spéculer ou pour l'exportation au détriment des besoins essentiels de la population.
La gestion calamiteuse des années 1980
3-On oublie souvent que la colère éprouvée par les citoyens lambda suite à la cherté de ce tubercule et instrumentalisée de façon malhonnête par les «néo-harkis du Net» comme arme de guerre de «4e génération», en misant sur le soulèvement de la population, trouve ses origines dans la gestion calamiteuse du pays depuis la décennie 1980. Le fait que les décideurs aient décidé de changer de cap pour installer l'économie de marché que d'aucuns qualifiaient d'économie de bazard, avec tout ce que cela comporte comme conséquences désastreuses pour la production nationale et le pouvoir d'achat des citoyens, a conduit inéluctablement à la flambée des prix incontrôlable.
En effet, ce changement de cap initié et mis en oeuvre dès le début de la décennie 1980, vendu et emballé sous l'habillage de «l'INFITAH» pensé ailleurs ('), et un slogan racoleur et fallacieux «pour une vie meilleure» pour installer le néolibéralisme dans notre pays qui avait osé un semblant de justice sociale, avait permis le démantèlement et le transfèrement du patrimoine de l'état, donc du peuple, au profit d'une clientèle prédatrice, insatiable....voire antinationale. Dans son sillage, il a aussi permis de ramener le pays «rebelle» Algérie, dans le giron du capitalisme triomphant, mondialisé à l'effet de marquer la fin de sa construction sociale et solidaire débarrassée des stigmates du colonialisme voulue par nos martyrs.
De ce fait, les décideurs de ce pays trahi qui avaient mis brutalement un terme à une agriculture en voie de décolonisation mise en place dès l'indépendance du pays qui ambitionnait résolument de réaliser son indépendance alimentaire et d'améliorer sensiblement et qualitativement l'alimentation des citoyens, pour la remplacer par une agriculture au service du capital où la loi du marché,(à l'algérienne cela s'entend), régissant l'offre et la demande désormais érigée en dogme, ont favorisé l'émergence de l'informel et perdu le contrôle de la situation.
Il est instructif de rappeler que c'est au titre de la décolonisation de notre agriculture que quelque quatre cents mille hectares de vignobles à raisin de cuve ont été arrachés pour être reconvertis en «sole production» de cultures stratégiques, principalement les céréales, les légumes secs, les fourrages,... Il est choquant de voir, aujourd'hui, que des terres irriguées occupées auparavant par les cultures stratégiques soient détournées par des spéculateurs au profit de cultures spéculatives, dont les produits sont destinés aux nantis et à l'exportation et replantées, y compris dans les périmètres irrigués, en vigne. Là où le bât blesse, c'est que, nonobstant le fait que rien ne justifiait ce revirement inattendu, en dehors de la volonté manifeste de détricoter tout ce qui a été réalisé depuis l'indépendance par le peuple et pour le peuple et gommer une page de notre histoire récente, c'est que les conditions basiques pour instaurer l'économie de marché n'étaient même pas réunies.
En effet, l'offre ne couvrant pas la demande, et ça tout le monde le sait, a généré par voie de conséquence des situations de pénuries des produits alimentaires de base favorisant indéniablement la spéculation et son corollaire, la flambée des prix. Il va s'en dire que cette situation favorise la prolifération d'importateurs peu scrupuleux qui étaient en embuscade depuis notre indépendance, pour inonder le marché en produits en tout genre importés pour concurrencer notre production nationale. Hélas, le comportement du consommateur développant un complexe du «made in» aidant, la production nationale s'en est trouvée très impactée négativement. Contrairement à ce qui était promis, les prix n'ont jamais cessé de grimper et ce, malgré les interventions ponctuelles de circonstance des pouvoirs publics qui restent sans effets palpables.
4-Et c'est ainsi que le système coopératif mis en place depuis notre indépendance, particulièrement les coopératives de services spécialisés, de commercialisation des productions agricoles et d'approvisionnements en intrants, pour rapprocher et mettre à la disposition des cultivateurs (fellahs) l'ensemble des facteurs de production et les services dont ils ont besoin dans les délais requis à des prix étudiés, et permettre ainsi à ces derniers de se consacrer pleinement au travail de leurs exploitations, a été le premier à faire les frais de cette entreprise de démantèlement.
La vieille histoire des semences agricoles
Il est intéressant de rappeler que parmi les réalisations structurantes destinées à améliorer les conditions sociales et économiques des fellahs mis en place par notre pays pour apporter concrètement l'assistance nécessaire aux cultivateurs, le réseau de coopératives constitué des coopératives communales polyvalentes de services, des coopératives agricoles des services spécialisés et de l'Office national des approvisionnements en semences agricoles reste incontestablement celui qui avait contribué concrètement à l'entreprise de modernisation de notre agriculture. Le démantèlement de ce réseau a eu comme conséquence immédiate le transfèrement de toutes les missions de soutien logistique, d'approvisionnement, de commercialisation des produits agricoles, de conseil... assurées dans la transparence et la traçabilité, où tout était facturé, qu'il avait assuré tant bien que mal au secteur privé avide et prédateur. Les prix des facteurs de production connaissant depuis une augmentation incontrôlable ont impacté sérieusement les coûts de production et par voie de conséquence les prix à la consommation et contraint des cultivateurs à abandonner l'exploitation de leurs terres.
5-Il s'en était suivi le démantèlement des domaines agricoles autogérés qui exploitaient quelque trois millions d'hectares issus des terres récupérées et des nationalisations constituant le meilleur potentiel agricole. Cette opération irrationnelle menée tambour battant par un personnel non formé à cette tâche, sans aucune étude ni concertation et que rien ne justifiait, a abouti à une démultiplication d'exploitations livrées à elles- mêmes et dont la viabilité est très aléatoire. De ce fait, les nouvelles exploitations individuelles ou semi-collectives ont attiré des exploitants d'un nouveau genre qui offraient à ces dernières de louer les terres à haut potentiel agricole, de préférence irriguées ou irrigables, pour y pratiquer des cultures spéculatives et ce bien évidemment au détriment des besoins essentiels de base de la population. Ils font ainsi sans état d'âme ce qu'avaient fait avant eux les sinistres colons. Ce comportement qui n'est pas sans conséquences sur le volume de production des produits de première nécessité, contraint les décideurs du pays à recourir à l'importation de produits agricoles que notre sol encore fertile devait fournir, mettant ainsi en forte dépendance notre souveraineté nationale et paradoxalement encouragent les exportations de produits agricoles. Ils feignent d'oublier que la meilleure façon d'exporter est de ne pas importer!
6- L'abrogation de l'ordonnance portant monopole sur le commerce extérieur et la parité du dinar algérien fixée artificiellement, une aberration de plus, sont des actes faits pour booster les importations en tout genre, au détriment de la production nationale et installer de manière pernicieuse le modèle de société de consommation, lui aussi importé. Il va s'en dire que les incidences de ces mesures sur les prix de cession des produits importés (intrants, matériels et outillages, produits sanitaires... alimentaires) sont importantes.
7-La régulation par le marché prônée par les décideurs dès la mise en oeuvre de la politique d'ouverture et vendue au peuple comme étant la panacée pour régler définitivement les situations de pénuries cycliques a été et est assurée dans sa quasi-totalité par le secteur privé. Il faut lui reconnaître qu'il l'assure fort bien en ce sens qu'il combat la concurrence, protège ses intérêts, provoque des pénuries sur des produits de large consommation pour maintenir les prix élevés et afficher ses capacités de nuisance. à croire que les pratiques immorales des puissances occidentales consistant à détruire des récoltes, à financer la pratique de la jachère, à créer des pénuries... pour maintenir les prix élevés et brandir l'arme alimentaire, semblent inspirer les tenants du marché des produits alimentaires de base dans notre pays.
8-La formation des prix des produits de large consommation résultant de l'interaction d'un ensemble des éléments ci-dessus rappelés et des conséquences induites par des pratiques répréhensibles (location de terres, surfacturation, achat sur pied, gaspillages, mauvaise gestion,...) aggravées par des comportements immoraux de certains tenants du marché des produits alimentaires, que les autorités publiques envisagent de criminaliser, est actuellement sous contrôle exclusif des tenants du marché informel.
*Agronome à la retraite


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)