Deux communications des plus intéressantes et qui se complètent sur l'art urbain en Algérie ont été données samedi au niveau de l'entreprise Pi relation, sise à Kouba, en marge de l'exposition «Vision individuelle, vision collective» organisée par le groupe l'oeil artistique.Une conférence-débat portant plus précisément sur «l'appropriation artistique dans l'espace public» s'est tenue devant un public curieux, fait d'artistes en grande partie.
La première personne à prendre la parole a été la doctorante française Gaelle Hemeury qui tentera de démontrer «le pouvoir de l'art public entre politique et l'esthétique», mais aussi de la «Réhabilitation citoyenne ou requalification de la vile à travers le street art, l'installation et la performance». Bien au fait de l'art urbain en Algérie, cette dernière nous fera un topo général du street art en Algérie qu'elle dit suivre depuis quelques années et qu'elle a découvert avec le mouvement «l'art est public» qui s'est tenu à Béjaïa en 2017, arguant que l'activité du street art est généralement interdite à Alger, le concept étant plutôt européen et n'a pas de dénomination en arabe...la conférencière débutera son intervention en donnant à voir cette inscription «l'art de rue c'est la culture», une réalisation faite par le collectif «Nosrom bladi» qu'elle prendra en photo à Blida en 2019. Et de souligner: «Cette inscription met l'accent sur plusieurs carences, les carences urbaines d'abord, car on est sur un mur privé, ça montre qu'il est difficile de s'approprier l'espace public, mais ça montre également une revendication de pratiquer légitiment un art public qui fait partie de l'art et de la culture.». Et d'expliquer sa démarche qui consiste à «questionner la capacité de l'art public à requalifier des espaces urbains qui peuvent être malfamés en devenant à nouveau fréquentés par exemple..». Et de renchérir: «Il s'agit de comprendre comment des individus vont assembler leur savoir-faire et compétences afin de créer des liens qui peuvent perdurer au sein du quartier, de la vie du quartier.».
Denis Martinez, le pionner
Et d'évoquer le mouvement Oucham lancé par Denis Martinez en 1965, «qui revendiquait la présence de l'artiste et de l'art dans l'espace public.
Une pratique également interdite et plus ou moins tolérée. Interdite officiellement, car les autorisations sont difficiles à obtenir». Et de relever quelques observations: « si l'artiste a le soutien du public et des habitants du quartier, la fresque peut rester longtemps, il est facile pour les autorités de gérer quelque chose qui relève de la mémoire collective et qui est acceptée par le plus grand nombre, en revanche,lorsque des artistes s'approprient des espaces où ils n'ont pas forcément le soutien du public, les fresques sont rapidement effacées et vandalisées, notamment par certains conservateurs, comme ce fut le cas pour les fresques de Ben Boulaïd en juin 2022». Avouant s'appuyer sur des entretiens, Gaelle dira avoir découvert une scène artistique contemporaine des plus dynamiques, «jeune» dont l'âge varie entre 20 et 35 ans, qu'elle qualifiera d'«affranchie» et ce, pour plusieurs raisons. Et d'expliquer: «Ces jeunes se sont affranchis, au regard des contraintes matérielles, en terme d'autorisation, mais parfois des contraintes familiales, comme faire accepter à son entourage le fait de vouloir être artiste et puis, les contraintes sociétales...» Et d'ajouter: «J'ai pu observer plusieurs ilots de ces artistes, un triangle très dynamique entre Mostaganem, Sidi Bel Abbès et Oran, un autre entre Alger et Blida dans le rayonnement algérois. Autour de la Kabylie aussi et enfin, un noyau au sud entre Laghouat, Ghardaïa et Ouargla».Et d'estimer: «Les artistes ont su s'adapter en termes de temporalité, de spatialité et même de thématique et voire d'esthétisme. Selon leurs démarches...quand c'est politique, il faut que cela ait lieu au centre de la ville pour que cela soit visible au prés du grand nombre...ces contraintes les amènent à revoir leur exigences esthétique ou à aiguiser leur exigences esthétiques..» Et de citer comme exemple de «El faca» de Mohic. À propos de «l'art qui fait la ville», l'intervenante évoquera les événements qui permutent la discussion avec le public. Et de citer en premier lieu, les ateliers étudiants de Denis martinez, le pionnier qui a réussi à impliquer l'art au public, mais aussi d'autres événements comme Djart 2014 et L'mdereb, l'année suivante, ou encore Casbah Behind the Legacy en 2018... et puis «L'art est public» de Béjaîa en 2017, qui a fait parler de lui avec la volonté d'esthétiser l'espace avec l'accord des habitants...
En 2019, le mouvement s'est déplacé dans les villes du nord et du sud. Gaelle relèvera aussi l'opération «freedom wall» qui est apparue durant le Hirak. Et d'indiquer que «seules les oeuvres qui ont un caractère nationaliste ont été conservées». Elle évoquera aussi une fresque à Blida qui a fait appel à un dispositif participatif des habitants ou encore d'autres fresques à Tipaza cette fois qui n'ont pas duré dans le temps...Gaelle finira par évoquer l'art de la performance qui, cette foisj est tenu par la gent féminine en Algérie. Et de citer la performance de Sarah El Hamed durant le Hirak, baptisée «Au nom du peuple», faite quelques années après celle de Paris en mai 2015.
«Une performance qui a permis de créer du travail en commun» en sollicitant plusieurs mains pour coudre un drapeau...
De l'esthétique au politique
Pour sa part, Karim Sergoua dira d'emblée que l'art de la peinture dans un endroit extérieur date de soixante-dix millions d'années. «Du temps de la préhistoire on dessinait des tigres et des éléphants sur les gravures rupestres du Tassili. On en a aussi en Kabylie à Maâtkas, dans les maisons kabyles où la femme peint son intérieur. C'est une écriture, à l'extérieur il y a des fresques en tifinagh, les gens communiquaient avec ça. Durant la guerre de libération, l'écriture sur un mur était un outil de la révolution et non pas un outil esthétique simplement. On aussi le Ghoufi avec tout ce qui englobe comme résonnance en termes de communion, qu'elle soit visuelle, plastique en dessin, sauf qu'eux, prenaient ça, comme un acte magico -religieux presque.»
À propos de la période des années 60 jusqu'à présent, Karim Sergoua qui affirmera qu' «il n' y a pas que la phrase, «un seul héros le peuple», choisira de parler du mouvement estudiantin plastique qui a eu lieu en dehors des écoles d'art...Il citera la ville de Blida, qui, a t-il estimé, «est une ville clé car Denis Martniez est non seulement un membre fondateur du mouvement Aoucham I et II, il a ensuite créé le mouvement 1954, il a beaucoup travaillé avec les étudiants durant les années 1970... On a été touché par la censure. C'est rare oû c'était par l'Etat. On a été pendant 20 ans censuré par les islamistes et les conservateurs...». Et d'ajouter: «Je voudrai parler de l'affaire du 7eme panneau, affaire qui avait pris de l'ampleur à Blida dans la fin des années 1970. Il y avait un groupe d'artistes peintres tous de renommée qui sont aujourd'hui installés à l'étranger. Ils avaient réalisé onze panneaux avec l'autorisation du maire de Blida.
Le lendemain, le 7eme panneau a été complètement effacé par les services de la wilaya. Ce n'était pas du nu, mais une écriture tifinaghe faite par Ali Kichou, artiste installé au Canada maintenant. Tout ça, parce qu'il a utilisé une écriture berbère dans un lieu public. Et ça c'était interdit.». Et de poursuivre: «Dans les années 1980 durant le printemps berbère, on nous a demandé de venir à Azazga «ville libérée» à ce moment-là...l'Etat est venu nous censurer à deux,à trois reprises pour des interprétations complètement débiles. C'était le jour de l'inauguration de l'université de Blida qui venait d'ouvrir ses portes.».
Censurés par les conservateurs
Et de relever: «Avant, on a donné l'autorisation à 32 artistes d' intervenir à l'intérieur de l'université. On a eu tous des murs de 12 mètres sur 3 mètres.
À l'ouverture de l'université donc, trois peintures ont été repeintes devant nous, un sacrilège!
La première était faite par un berbériste qui avait dessiné des enfants avec des cartables estampillés d'une écriture en tifinagh.» Et de citer un autre exemple de censure qui remonte à 1988 cette fois. «Nous sommes à l'école des beaux-arts, d'où l'assassinat des Aslah, on organisait un colloque africain contre la censure et la torture, le 10 octobre. On avait fait des fresques, dessins et installations sur octobre noir, sur les jeunes qui ont été embarqués et torturés. Pour chaque personne on avait fait des installations physiques, mais aussi graphiques. Tout ce qui était graphique a été déchiré, repeint, brulé, saccagé etc.», fera t-il remarquer ému. Et de souligner enfin, à propos de l'appropriation des lieux: «L'artiste algérien a toujours voulu dessiner et faire de l'expérimental. On est toujours à la recherche de l'expérimental et on est jaloux quand on voit des gens à Los Angles ou à New York, des gens peindre, mais même eux, ont changé de politique car le graffiti est maintenant rentré dans des galeries, cela ramène énormément de sous. Nous, on ne voulait pas passer par ce schéma-là grâce au travail colossal que fait Denis Martinez en créant les Racont'arts, ce festival citoyen dans la wilaya de Tizi Ouzou...» Une très belle table ronde en somme qui a permis à de nombreuses personnes de se rencontrer et surtout d'échanger autour de l'art.Et ce n'est pas fini! Rendez-vous ce soir, à partir de 18h pour la clôture avec une «guesra» musicale en présence de la guest de la soirée, le graphiste designer El Moustache qui viendra partager avec le public son expérience dans le pop art algérien, mais aussi dans la mode avec le «zenqawi style» qu'il a lancé, cela fait déjà plus de deux ans, une collection de vêtements street style baptisée Zen9awear. Venez assister aussi à la clôture de l'exposition collective intitulée «Vision individuelle / vision collective».
À ne pas rater donc!
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Posté Le : 02/08/2022
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : O HIND
Source : www.lexpressiondz.com