« Regardons la
vérité en face, même si elle est hideuse, et fuyons le mensonge, même s'il est
paré de joyaux »(1).
La motivation aux
études de mathématiques est liée à un degré de leur utilité. Une démobilisation
des étudiants à apprendre les mathématiques est due essentiellement à la
culture contemporaine anti-scolaire, aux valeurs matérialistes, au milieu
familial, au marasme du marché de l'emploi, etc. En Algérie, l'idée prospérait
que rien ne sert d'apprendre à lire ou à écrire, que l'on vit mieux et plus en
sécurité en «beznassi» (un vulgaire businessman) qu'en homme de Science.
L'objectif à l'université est d'apprendre et non de réussir avant tout.
Apprendre les mathématiques signifie souvent se tromper. Les erreurs font
partie du processus d'apprentissage. Le savoir est considéré comme un résultat
d'une activité faite de recherche, de tâtonnements, d'erreurs corrigées. Il
permet de réfléchir, d'exercer son intelligence, de comprendre le monde dans
lequel on vit. Le savoir peut ne pas avoir un lien avec le fait d'apprendre. Il
est un produit fini qu'on peut recevoir, stocker et négocier. Apprendre les
mathématiques consiste à écouter l'enseignant ou l'enseignante ou à mémoriser
par coeur. Il consiste surtout à comprendre. Il peut être synonyme de faire ce
que l'enseignant demande à ses étudiants, terminer son travail et ses devoirs.
Apprendre les mathématiques est conçu comme un processus engageant l'étudiant
dans la durée et la persévérance. S'il faut mémoriser, on y parvient d'autant
mieux qu'on a préalablement compris. L'université distribue des diplômes
possédant une utilité sociale dans la mesure où certains emplois, positions ou
statuts sont réservés aux diplômés. Nous vivons dans un contexte de
massification de l'enseignement supérieur à un million deux cent mille
étudiants. Cette massification des études supérieures autorise la distribution
d'un nombre toujours plus élevé de diplômes qui déprécie leur valeur sur le
marché de l'emploi. Nous constatons un déclin croissant d'intérêt pour les
mathématiques (et toutes les sciences fondamentales telles la physique et la
chimie) dès le secondaire où rares sont les lycées disposant d'une classe de
mathématiques. Les mathématiques suscitent une anxiété chez beaucoup d'élèves
de collèges, lycées et d'étudiants de l'université scientifique. Il y a une
perception de la gravité du phénomène et un sentiment d'impuissance face au
problème. Le désarroi avec lequel nous nous exprimons, mes collègues et moi,
sur le problème de la démotivation des étudiants et suite à ma synthèse du
livre pédagogique de Galand et Bourgeois (2), m'ont incité à contribuer par cet
écrit. L'échec de nombreux étudiants dans les premières années de leur cursus
scientifique est une préoccupation. Pourtant, on ne peut résumer l'explication
au fait que ceux qui échouent seraient a priori moins motivés que les autres.
Quels sont les acteurs susceptibles d'inhiber la motivation scientifique et
d'influencer l'apprentissage des mathématiques ? les étudiants eux-mêmes, les
enseignants, le cursus pédagogique et la communauté ou la famille.
Les étudiants
Comment imaginer
un apprentissage sans un récepteur, l'apprenant ou l'étudiant actif, sans un
engagement du sujet dans l'apprentissage ? Une dimension essentielle de
l'engagement universitaire des étudiants tient à la valeur d'usage et d'échange
qu'ils accordent aux diplômes et études qu'ils poursuivent. Les problèmes de
motivation chez les étudiants en mathématiques consistent en un désintérêt,
ennui, une baisse de motivation, démotivation, décrochage, violence... auxquels
sont confrontés les enseignants universitaires. La montée du chômage rend
l'utilité sociale des études plus difficiles à percevoir, surtout pour les
étudiants des catégories sociales les moins diplômées. Les étudiants en
difficulté ont tendance à être passifs, attendent plus la correction des
exercices qu'ils ne la retrouvent eux-mêmes, dans une relation de dépendance excessive
au chargé de cours ou l'assistant. Pour les impliquer, mieux vaut éviter de
donner la solution à un exercice et inciter les étudiants à chercher, à
explorer. Un exercice est défini comme un prétexte pour apprendre, asseoir ou
vérifier une acquisition du savoir. Les étudiants ne s'engageraient et ne
persévéreraient dans les études que si elles ont un sens et de la valeur pour
eux, que ce soi en lien avec leurs intérêts personnels immédiats ou leurs buts
futurs. Une motivation est que les étudiants doivent avoir un projet. Plus son
projet professionnel est fort, plus les caractéristiques des cours suivis vont
prendre de l'importance. L'étudiant modifie sa perception de la valeur du
cours. On demandera à l'étudiant d'associer à sa formation universitaire une
perspective professionnelle. De nos jours, l'Internet est une forme non
scolaire d'acquisition du savoir et arrive à même concurrencer l'université.
Les étudiants choisissent comme spécialité celle qui «paie» et non celle qu'ils
aiment. Comme le système d'enseignement vise davantage à obtenir une
performance qu'un savoir, un diplôme, l'étudiant va renforcer ses comportements
de tricherie, faire des impasses, le copiage... plutôt que d'approfondir ses
connaissances. La confiance d'un étudiant en ses capacités influence
considérablement sa motivation et ses performances.
Les enseignants
On parle de plus
en plus de malaise des enseignants universitaires face à leur métier et à
l'institution universitaire. Les enseignants incriminent leur tutelle qui ne
peut plus leur offrir des conditions socioprofessionnelles motivantes. Au mois
d'octobre 2008, il y a eu mort d'homme dans l'enceinte même d'une université,
la mort d'un enseignant universitaire et responsable d'un département de
surcroît. Des problématiques de violences et d'incivilités sont posées. Le
métier d'enseignant est lié à l'idée de vocation et d'engagement, ce dernier
est signe d'appartenance au métier. L'échec et la démotivation d'un étudiant
touchent l'enseignant dans son amour-propre, dans son métier et son identité
professionnelle. Les enseignants, seuls juges de la qualité de l'enseignement,
quelle que soit leur compétence, ne peuvent pas faire grand-chose.
L'enseignement de cette matière est souvent fait d'une manière abstraite, sans
aucune application directe dans la vie courante. Il me semble que les étudiants
ont un besoin de contact avec les mathématiques pratiques et appliquées pour se
motiver à apprendre. Parfois, les mathématiques sont mal enseignées dans tous
les niveaux, moyen, secondaire et supérieur. Des étudiants assimilent
difficilement les concepts fondamentaux de la mathématique, connaissent mal les
problèmes qu'elle soulève et développent peu l'esprit scientifique. La
passivité, la neutralité et le silence des étudiants sont les plus grandes
difficultés professionnelles pour l'enseignant. Rares sont les enseignants qui
témoignent de l'enthousiasme, du plaisir de découverte, d'investissements dans
les projets des étudiants, ainsi que de la créativité et de la mobilisation.
Dans une carrière de l'enseignement universitaire pédagogique, on risque d'être
pris par une routine et comme conséquence un désengagement profond.
Il se traduit par une tradition ritualiste ou
désabusée à l'enseignement. Les possibilités d'apprendre de nouvelles choses en
faisant de la recherche sont fondamentales pour l'universitaire. L'intérêt pour
un cours peut être renforcé et éveillé par la passion et l'enthousiasme
communiqués par le formateur.
L'enseignant transmet des contenus qui lui
tiennent à coeur et par rapport auxquels il se sent à l'aise. La structuration
d'un cours, son rythme, le niveau d'exigence imposé sont parmi les éléments qui
peuvent le valoriser.
L'enseignant doit préciser explicitement
l'utilité du module enseigné. Les études suggèrent de développer en classe des
buts de maîtrise pour favoriser la coopération. Il faut faire travailler des
étudiants sur des documents différents pour renforcer la coopération en
développant la confrontation de points de vue.
Les enseignants eux-mêmes sont soumis à des
contraintes qui renforcent ou diminuent leur motivation à chercher à utiliser
un style pédagogique efficace. Les pressions administratives ou le comportement
des étudiants influencent en retour le style interpersonnel de l'enseignant.
Le cursus pédagogique
des étudiants
Croire que la
réussite en mathématiques est davantage une question d'intelligence ou de
talent que d'effort est fausse. Le niveau de performance n'est pas un
indicateur d'intelligence. L'intelligence n'est pas une valeur fixée mais un
potentiel à développer.
L'évaluation doit permettre à l'étudiant de
mesurer ses progrès pour estimer l'efficacité de ses efforts. L'engagement de
l'étudiant constitue la condition essentielle pour l'apprentissage qui exige la
mobilisation des ressources cognitives, affectives et comportementales.
L'orientation sans concertation vers cette filière de mathématiques fait que
ses étudiants ne sont pas motivés. Les MPC, mathématique, physique et chimie,
sont devenues des spécialités de «relégation».
Le facteur le plus influent pour la
motivation des étudiants aux mathématiques est la relation enseignant-étudiant.
L'étudiant qui se sent compétent à bien faire
ses travaux de mathématiques, qui choisit d'aller en mathématiques, qui est
prêt à sacrifier du temps pour réussir ses modules de mathématiques et qui se
sent accepté et soutenu par ses enseignants présente une motivation élevée et a
toutes les chances de persévérer et d'obtenir sa licence de mathématiques.
La famille, la
société ou la communauté
La société a
tendance à incriminer l'université et ses enseignants démotivés ou incompétents
ou absentéistes, des amphis surpeuplés, des universités sans moyens
pédagogiques et scientifiques, des matières enseignées sans pertinences sociales,
des procédures d'évaluation obsolètes... Une culture familiale valorisant les
études fait que des fratries ayant étudié les mathématiques et réussi existent
en Algérie. Plus la distance culturelle entre l'école et la famille est faible,
plus la relation pédagogique est grande.
La participation à des exposés de
mathématiques ou à des clubs scientifiques permet à des étudiants d'établir un
lien avec la science. La motivation mathématique des étudiants ne relève pas
que des enseignants.
Des actions concertées entre les familles,
les enseignants, les milieux professionnels et l'Etat peuvent inverser la
tendance. Il faut trouver les moyens pour rendre plus attrayant l'apprentissage
de la mathématique et cela dès le collège. Les enseignants du cycle primaire
sont peu motivés à enseigner cette discipline. La communauté de mathématiciens
doit servir de modèle.
Conclusion
De nos jours, à l'université, il y a un
dessèchement de l'esprit et du stylo. J'espère que d'autres contributions des
centres pédagogiques viendront enrichir ce débat. La motivation à apprendre les
mathématiques, qui doit se faire dès le collège, s'exprime par l'effort, la
persévérance au travail, la manifestation d'intérêt pour l'université,
l'assiduité, etc. Il faut assurer une relève scientifique capable de répondre
aux besoins croissants des universités. Comment peut-on expliquer le changement
d'orientation universitaire dès les années 90, des sciences et technologies
vers les sciences humaines et sociales ? Savez-vous que beaucoup de villes
universitaires algériennes ne disposent même pas d'une librairie scientifique ?
L'absence des «usines de production» atténuent aussi l'intérêt pour les
sciences.
*Universitaire
Référence
1- Amin Maalouf.
Léon l'Africain. p. 54, Editions Casbah, Alger, Algérie, 1998.
2- Benoît Galand
et Etienne Bourgeois. (Se) Motiver à apprendre. Editions Presse universitaire
de France, PUF, 2006.
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Posté Le : 29/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ali Derbala*
Source : www.lequotidien-oran.com