Dans la matinée du mercredi 16 janvier 2013, une colonne de quatre véhicules tout-terrain, transportant une trentaine de terroristes puissamment armés, traverse la frontière algéro-libyenne, s'empare du complexe gazier de Tiguentourine, situé à 40 km d'In Amenas, et prend en otages les 800 travailleurs, dont 130 Occidentaux, qui s'y trouvent.Mise au pied du mur, l'Algérie subit d'énormes pressions pour empêcher toute intervention militaire de ses troupes et privilégier l'ouverture des négociations avec le groupe El Moulathamoune (les enturbannés) que dirige Mokhtar Belmokhtar. Quarante-huit heures plus tard, les forces spéciales de l'ANP donnent l'assaut qui se solde par l'élimination de 27 membres du commando, l'arrestation de trois autres et la mort de 37 otages. L'attaque provoque une véritable onde de choc et suscite de nombreuses questions, notamment sur l'origine des moyens militaires utilisés par les terroristes, que certains imputent non pas à un groupe terroriste, mais plutôt à des Etats.Deux ans après, l'enquête n'est toujours pas clôturée. Mais au-delà des enjeux géopolitiques que cache cette opération terroriste, en attendant le retour des commissions rogatoires délivrées à l'Egypte, les premiers éléments fournis par les trois individus arrêtés lors de l'assaut ? et un quatrième il y a quelques semaines ? permettent aujourd'hui de comprendre, plus ou moins, ce qui s'est passé.Sanctuaire libyen et malienAinsi selon des sources sécuritaires, l'opération a été organisée et exécutée par le groupe El Moulathamoune dirigeé par Mokhtar Belmokhtar. Sa préparation a duré près de cinq mois et a été bien étudiée et mûrie avant d'être exécutée. Elle a fait l'objet de discussions avec de nombreux chefs terroristes activant aussi bien au nord du Mali qu'en Libye.Parmi eux, le Nigérien Abderrahmane Ettoudji, Mohamed Salah Othmane, membre d'Ançar Charia (libyen), Tahar Bencheneb (du mouvement armé algérien des enfants du Sud, dont les membres se sont pour la majorité rendus aux services de sécurité), l'Egyptien Abou Bakr Al Masri ou Abou Loubaba.Belmokhtar est aussi en bons termes avec les dirigeants d'Ançar Charia. Lors de la préparation de l'opération de Tiguentourine, à son retour du nord du Mali, il est hébergé avec ses deux adjoints au domicile de Mohamed Salah Othmane (un des responsables du groupe) à El Hadhaba, dans la banlieue de Tripoli.Il y séjourne plusieurs semaines durant lesquelles il se procure l'armement nécessaire auprès d'un Libyen connu sous le pseudonyme de «Aouf», mort quelques jours avant le 16 janvier 2013 avec un autre Libyen, dans un accident. Et c'est durant ce séjour que Belmokhtar rencontre Abdelhakim Belhadj, membre du Conseil militaire libyen, qu'il connaît de longue date, et auquel il fait part de son projet.L'universitaire devenu adjoint de BelmokhtarArrêté lors de l'attaque, Derouiche Abdelkader faisait partie du commando. Il a été choisi pour son profil de «combattant», mais aussi pour ses connaissances en langue anglaise. Un universitaire oranais de 33 ans, connu sous le pseudonyme d'Abou Al Barra, révèle les détails de cette attaque.En 2010, il abandonne son commerce à Bordj Badji Mokhtar pour rejoindre Belmokhtar, dans les monts de Tigharghar, au nord du Mali. Après des mois d'entraînement militaire, Belmokhtar l'envoie à Oran pour constituer une cellule chargée d'enlever des employés étrangers travaillant pour une société de transport.Avec son frère Lahcène, le groupe est vite créé, il est composé de sept éléments, mais n'a pas fait long feu. Les services de sécurité le démantèlent et arrêtent ses membres, y compris Lahcène, mais Abdelkader échappe au coup de filet et retourne au nord du Mali. En tant que «cadre» du groupe de Belmokhtar, Abdelkader assiste à la plupart des réunions qu'organise son émir. L'idée d'attaquer une usine de gaz n'est pas venue fortuitement. Elle a été soufflée à l'oreille de Belmokhtar, alors qu'il se trouvait en Libye, par un de ses proches éléments, un certain Bouamama.Ce dernier était en contact permanent avec un chauffeur d'un complexe gazier, qui lui fournissait toutes les informations sur la base de vie et les travailleurs étrangers qui y exerçaient. Durant trois mois, Belmokhtar, avec des terroristes de diverses nationalités, notamment tunisienne et égyptienne, étudient l'opération dont l'objectif principal est d'enlever les travailleurs européens et d'en faire une monnaie d'échange.Pour mûrir cette idée, Belmokhtar se rend au nord du Mali. La situation n'est plus ce qu'elle était depuis son départ en Libye. Tigharghar, Gao et Tombouctou sont contrôlées par le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). Ce mouvement terroriste est connu par les plus avertis comme une création des «services» marocains ; ses actions sont dirigées uniquement contre l'Algérie. Belmokhtar s'entend très bien avec les chefs du Mujao ; il leur fait état de son projet et l'idée les emballe. Ils proposent de l'aider en lui fournissant les armes et les hommes.Emballé par l'idée de l'attaque, le Mujao apporte aide et assistanceUne sélection de 15 éléments des plus aguerris lui est affectée avant qu'il ne retourne en Libye pour terminer l'organisation de l'attaque. Dans son campement non loin de Tripoli, Belmokhtar ne va pas tarder à clôturer la liste du commando. Le Nigérien, Abderrahmane Toudji, et l'Egyptien Abou Loubaba dit aussi Abou Bakr Al Misri, quelques-uns de ses proches collaborateurs, lui proposent une liste de 45 membres de différentes nationalités, dont des Egyptiens, des Tunisiens, des Libyens appartenant au groupe Ançar Chariâ, et deux Canadiens, bien entraînés et prêts à l'action. Il n'en retient que 14 pour compléter le groupe, constitué désormais de 30 éléments (9 Tunisiens, 8 Egyptiens, 5 Algériens, 2 Canadiens, 2 Nigériens, 2 Libyens, 1 Malien et 1 Mauritanien), bien armés, auxquels s'est joint le guide, un certain Zeidf, fils du terroriste Bouamama.Le commandement de l'opération est confié à Abderrahmane Toudji, Abdellah Al Canadi (le Canadien), Abdelkader Ettounsi (Tunisien), et Tahar Bencheneb (Algérien), tous tués lors de l'assaut. A bord de 4 véhicules de type 4x4, le commando prend la route de Tiguentourine, le 14 janvier 2013, pour arriver au complexe gazier à l'aube du 16 janvier. Au cours du voyage de trois jours, le contact avec Belmokhtar n'a pas cessé grâce aux téléphones satellitaires dont disposent de nombreux membres du groupe.Cette version des faits est confirmée par Kerroumi Bouziane dit Redouane, arrêté lors de l'opération, alors âgé à peine de 22 ans. Natif d'Adrar, il a rallié Belmokhtar sur insistance d'un de ses amis, un certain Moussa, avant de se retrouver dans les camps d'entraînement, dans la région de Gao puis en Libye. Il avait été désigné pour faire partie du commando alors qu'il était au nord du Mali, sans pour autant être au courant de la cible ni de la date de l'exécution de l'opération.Le troisième terroriste arrêté est un ressortissant tunisien, âgé de 32 ans, du nom de Laaroussi Edarbali. Natif de Seliana (Tunisie) il a séjourné plusieurs fois en Libye avant de tenter de rejoindre ses compatriotes en Syrie, enrôlés dans les rangs des djihadistes. Les réseaux devant concrétiser son projet l'ont abandonné en cours de route. Il décide alors de retourner en Libye et de rejoindre le groupe de Belmokhtar. Dans le camp, il s'entraîne durant deux mois à la guérilla avec un certain Abou Bakr Al Masri, un Egyptien, avant d'être désigné pour faire partie du commando.Ce sont là les premiers éléments de l'enquête sur l'attaque de Tiguentourine, qui pourrait connaître des rebondissements avec les réponses des commissions rogatoires délivrées par la justice algérienne à l'Egypte, la Tunisie, la Mauritanie, le Mali, la Libye et le Niger. Deux ans après, seule la Tunisie a répondu à quelques questions, alors que l'Algérie a déjà répondu aux commissions rogatoires délivrées par le Japon, la Grande-Bretagne et la France.
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Posté Le : 20/01/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Salima Tlemçani
Source : www.elwatan.com