Algérie

Comment les piétons ont perdu la bataille des trottoirs !


Une étouffante cohue encombre la plupart de nos rues, avec leurs trottoirs squattés et engorgés à longueur d'année par les marchands de pacotille qui vous proposent du futile cure-dent importé à la dangereuse contrefaçon de pièces de rechange. Si jamais on se retrouve englué dans ce magma, la première précaution à envisager est de repérer les possibilités d'évacuation pour s'en extraire rapidement en cas de pépin et éviter les piétinements liés à l'inévitable panique qui s'ensuivrait. Les places publiques, à l'origine destinées à être les poumons par lesquels respire la cité, sont devenues des souks quotidiens avec, comme panorama, un horrible fatras de ferrailles et de planches servant d'échoppes, véritables répliques de bidonvilles qui matérialisent on ne peut mieux les préjudices d'une coupable indulgence. Comme l'Etat semble s'être astreint à la curieuse attitude de ne manifester sa présence et d'utiliser son autorité qu'épisodiquement à coup de futiles campagnes dites de sensibilisation pour lutter contre ces dépassements, l'exception est devenue la règle. L'audace ne connaît plus de limite, c'est la surenchère: on s'auto-concède la plus grande surface possible du trottoir qui se «privatisera» avec le temps. Les propriétaires de magasins annexent simplement le morceau de trottoir en face et n'hésitent pas à prolonger leur «territoire» sur un bout de la chaussée qu'ils interdisent, par l'installation d'obstacles, au stationnement des véhicules de passage et même à leur arrêt momentané. Chassé du trottoir, le piéton, quels que soient son âge et sa condition physique, se retrouve sur l'asphalte en train d'exhiber ses talents de dribbleur pour slalomer dangereusement dans le flot assourdissant des véhicules. Ces derniers, refoulés de toute part, iront au rythme d'un pousse-pousse lancinant vers des segments de rue transformés en parking payant où des cerbères, gourdin au clair, les cueillent narquoisement pour les racketter de force contre un stationnement spécieusement gardé. La rue, parcellisée de fait entre marchands légaux et autres qu'on qualifie encore de vendeurs à la sauvette, donne l'image d'un no man's land où l'on applique les lois du plus fort ou du plus épaulé. Tout se vend et tout s'achète dans des étals de fortune où des produits made in Taiwan et consoeurs attirent des foules de dés?uvrés qui envahissent le moindre espace rendant les déplacements presque impossibles. Ce qui était l'apanage d'une classe de prédateurs adossés à d'occultes appuis dans les rouages de l'Etat pour bénéficier de l'indulgence des services concernés tend à se généraliser et à encourager même les plus timorés à participer à la curée générale. D'habitude c'est aux alentours des grands rendez-vous électoraux, période singulièrement propice pour l'ouverture de la chasse et extrêmement périlleuse pour le domaine public, que les plus malins profitent à plein de la campagne de séduction et de racolage qui s'empare des décideurs, occupés à gérer leurs campagnes ou tout simplement leur carrière, pour accaparer tout ce qui peut être raflé. Recourant au subterfuge de la nécessité impérieuse (mariage, décès, hadj, réparation, sinistre), l'opération sera présentée sous l'aspect d'une jouissance provisoire, mais qui deviendra vite un fait accompli et finira le plus souvent par être régularisée. Il suffit de savoir utiliser le meilleur moyen ou deviner le moment opportun où nos responsables deviennent le plus réceptifs pour solder ses problèmes avec l'administration. A quand un autre épisode de la campagne de désistements qui toucherait cette fois les derniers espaces communs: les trottoirs et les places publiques ? Si les alentours des écoles sont encombrés par des marchands de friandises et de jouets, ceux des hôpitaux sont le fief des revendeurs des fruits et dérivés de lait ainsi que des eaux minérales. Entre un fast-food et un «quatre-saisons» il y a toujours un «casse-croûte à tout heure» qui proposent l'imparable «frites omelette» parmi une diversité de sandwichs dont la qualité des ingrédients n'est pas toujours au-dessus de tout soupçon. N'a-t-on pas fait déguster aux fins gourmets que nous prétendons être le steak d'âne, le civet de chat et même le ragoût de chien ? Certains qualifient ce phénomène de mal nécessaire dans la mesure où il occupe une bonne partie des jeunes et leur évite d'être tentés par la délinquance et que ce commerce informel, même illégal, rend service au consommateur par la proximité immédiate qui le caractérise, la diversité et surtout les prix faussement intéressants. On pourrait même succomber à l'illusion qu'il joue un rôle de régulateur du marché par la dynamique concurrentielle qu'il affecte de créer.  Mais là où ce phénomène devient un véritable problème d'hygiène et de sécurité, c'est incontestablement le volet relatif à l'organisation et au contrôle de cette activité parasitaire qui ignore tous les règlements du commerce. En plus des nuisances de toutes sortes sur l'environnement et en premier lieu les obstructions des mouvements aussi bien des piétons que des véhicules, le plus grand danger vient de la salubrité des produits, surtout alimentaires, exposés à longueur de journée dans des conditions d'hygiène effarantes. Par tous les temps, ils ne font l'objet d'aucune protection contre les saletés projetées par les éclaboussures, les particules ramenées par le vent ou générées par la circulation (gaz d'échappement, poussières de pneumatiques, etc.), les odeurs nauséabondes des ruisseaux d'eaux usées à ciel ouvert qui coulent sous les tréteaux, les nuées de mouches et le tripotage des passants. En fin de journée, il n'est pas rare de constater à l'oeil nu le dépôt d'une mince pellicule de poussière et même quelques gouttelettes suspectes sur la plupart des marchandises proposées à la vente surtout dans les magasins situés sur les artères de grande circulation. Tenter l'expérience et passer simplement le doigt et vous serez édifié sur la quantité de saleté qui vient assaisonner gratuitement notre nourriture. Si pour les autres produits on peut se débarrasser des impuretés par le lavage et la javellisation, que peut-on faire pour aseptiser le pain ? Comment et pourquoi est-on arrivé à cette situation et où sont les services chargés de veiller au respect de la réglementation ? Et pourtant ils existent bel et bien avec tous les moyens qui leur permettent d'assurer correctement la mission qui justifie leur existence. Le problème est de savoir comment débusquer ce corps bien lové dans l'alcôve de la bureaucratie et le stimuler afin qu'il se réimprègne de ses devoirs envers la société et prenne ses responsabilités. Le sempiternel refrain: «manque de moyens», a fait son temps pour servir encore de prétexte à la sieste ! Cette politique de laisser-faire volontairement tolérée ou imposée par le souci de la recherche de la paix sociale à n'importe quel prix véhicule de lourdes conséquences sur le crédit de l'autorité de l'Etat en plus de la sécurité sanitaire de la population et du manque à gagner pour le fisc. La course après le label «Nas M'lah», quand ce n'est pas pour d'autres inavouables considérations, a fait beaucoup de dégâts comme ça ! Il est grand temps de revenir à une gestion plus rigoureuse, loin de toute forme de laxisme. Il ne faut pas oublier que notre société compte aussi des gens qui ne sont pas des trabendistes sans aucun scrupule et qui ont eux aussi des droits, entre autres celui d'être protégés de toute forme de diktat. Ce qu'on obtient par la complaisance et les solutions de facilité ne peut être qu'éphémère et peu glorieux. Comme l'enfant qui a besoin de l'autorité et la protection d'un père qui veille à son éducation pour s'épanouir, le citoyen est beaucoup plus rassuré par un Etat fort et juste qui puisse défendre ses droits. Ce dernier ne doit pas attendre que le problème prenne des dimensions incontrôlables pour réagir a posteriori, le plus souvent par la soumission aux desiderata de la rue après quelques casses qu'on aurait pu éviter dès le départ. Il y a eu tellement d'exemples qu'on a fini par conclure que la meilleure manière de se faire entendre est malheureusement de se manifester bruyamment ! Au début du mouvement social, on adopte ostensiblement une position intransigeante qui sera vite ramollie par l'irrépressible pulsion du populisme. Même si on est convaincu que la rue n'a pas toujours raison, l'appel du clientélisme est irrésistible et on accorde d'autres concessions à une forme de chantage qui deviendra cyclique, encouragée par la peur panique de nos responsables devant ce genre de problème. Pourquoi hésite-t-on à remettre de l'ordre dans tout ce qui empoisonne notre quotidien et le rend invivable ? Doit-on continuer malgré tout à confirmer chaque jour ce que l'on nous reproche souvent: l'Algérien ne fait rien par simple réflexe ou acquit de conscience, il ne bouge que si on l'aiguillonne ! Il ne réagit qu'à travers des campagnes périodiques aux effets limités ou à l'occasion de la visite d'un Vip, là où sa mission lui dicte la nécessité d'avoir une mobilisation constante et vigilante. Nos villes sont repoussantes de saleté et anarchiques à l'extrême malgré tous les efforts et les sommes faramineuses injectées dans les multiples plans de réaménagement et autres ambitieux projets de l'amélioration du cadre de vie. Les ouvrages d'embellissement de l'environnement sont voués à une rapide dégradation si d'un autre côté on ne met pas en place un système de maintenance permanente et rapide doublé d'un système de contrôle continu et de surveillance drastique. La prolifération de cette forme de commerce ne peut être éradiquée facilement, aussi il faut chercher à l'organiser en la canalisant dans des espaces déterminés et des plages horaires judicieusement étudiées qu'on doit scrupuleusement respecter, sous peine de sanctions franchement dissuasives. Chercher à obtenir l'autodiscipline par pur civisme relève de l'utopie ? Tous les appels au seul volontarisme ont lamentablement échoué. L'Etat a le droit et surtout le devoir d'exiger que chacun fasse son travail et rende des comptes à la société. Il doit imposer une fermeté inflexible dans l'application des lois sans exclusive. Ce laisser-aller généralisé dont les conséquences désastreuses sont présentement amorties et couvertes par l'embellie financière générée par la conjoncture que traversent les hydrocarbures, devient de plus en plus hasardeux !
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