Algérie

Comment le code communal a ligoté les maires



"Entre le marteau de l'administration et l'enclume de la population, le maire se rend compte, aussitôt installé dans le fauteuil municipal, que l'Assemblée communale n'a de lieu d'exercice du pouvoir local que le nom."Elaboré en 2011 pour encadrer les activités et les attributions des assemblées locales, avec en toile de fond l'idée de prémunir la gestion locale des petits détournements, au moment où au sommet et au niveau intermédiaire de l'Etat la prédation faisait déjà ravage, la loi n°11-10 portant code communal s'est révélée n'être qu'un instrument qui a achevé de soumettre les instances élues au pouvoir administratif et qui, depuis sa promulgation, ne fait qu'inhiber les initiatives et paralyser tout développement local. Sans réelles prérogatives et avec des moyens financiers qui leur sont distillés à doses homéopathiques, les maires se retrouvent dans l'incapacité de tenir leurs promesses électorales et encore moins d'être au diapason des aspirations de leurs populations.
En étant entre le marteau de l'administration et l'enclume de la population, le maire se rend compte, aussitôt installé dans le fauteuil municipal, que l'Assemblée communale n'a de lieu d'exercice du pouvoir local que le nom. "Jusque-là, le maire n'est qu'un épouvantail, il a l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête en permanence. En signant le moindre document il voit surgir devant lui le fantôme de la robe noire du juge. Comment voulez-vous qu'un maire mène sa mission en toute quiétude et sérénité ' C'est un dilemme, c'est un problème", réaffirmait, encore hier, l'ancien maire de la ville de Tizi Ouzou devenu député, Ouahab Aït Menguellet qui évoquait les prérogatives des élus lors d'un meeting qu'il animait à la maison de la culture Mouloud-Mammeri.
Des propos qui ne sont pas sans rappeler l'épisode vécu par le maire d'Afir, Sofiane Oumelal, qui pour être venu en aide à des habitants de sa commune a été suspendu par le wali et poursuivi en justice. Mais, même sans ces poursuites, le député estime que "ce n'est pas facile d'affronter la population juste avec un sourire". "Il faut que le maire devienne un vrai maire", a-t-il plaidé lui qui dit faire de l'attribution d'un réel pouvoir local au maire, son cheval de bataille à l'APN. Cela d'autant que la révision du code communal est déjà sur la table du gouvernement.
En effet, le Premier ministre et ministre des Finances, Aïmene Benabderrahmane a récemment annoncé avoir procédé en octobre dernier à l'installation des ateliers de révision des codes communal et de wilaya et que leurs travaux doivent être achevés avant la fin de l'année en cours. Il reste à connaître les contours que va prendre cette refonte du cadre juridique de la gestion locale.
En attendant, les maires qui ont eu à affronter la dure réalité du terrain, qui sont en phase avec les besoins de leurs populations et qui, d'innombrables fois, se sont retrouvés désarmés face à la rigidité des textes et la bureaucratie qu'ils produisent, aux limites de leurs prérogatives et même aux humeurs des chefs de daïra et autres responsables de l'administration, savent déjà ce qui ne cesse de les ligoter et qui doit donc changer pour libérer l'initiative locale et surtout permettre à l'élu local d'accomplir ses missions et de contribuer à la réalisation du développement local auquel aspirent les citoyens.
"Il faut que la prééminence de l'administration cesse"
Pour la plupart des maires interrogés dans la wilaya de Tizi Ouzou, le plus gros problème de la gestion locale c'est la prééminence de l'administration quant à la prise de décision. "Le maire n'a déjà pas suffisamment de prérogatives et même celles qui lui sont conférées par la loi, ne le sont que dans les textes. Dans la réalité, l'action du maire est soumise à la volonté de l'administration. Le wali peut arrêter une quelconque initiative, action ou décision du président d'APC par un simple arrêté. Pis encore, même lorsqu'il est question de transférer l'argent inutilisé dans un chapitre vers un autre chapitre il est soumis à l'approbation de l'administration de tutelle. L'attribution d'un terrain communal à un investisseur obéit également à la même logique", explique Amar Zarouki, le président de l'Assemblée communale de Tizi N'tléta, dans la daïra des Ouadhias. *
"Il faut alléger ce système d'approbation, il faut que la décision de l'assemblée soit souveraine, dans le respect de la loi bien sûr. C'est la première étape dans la restitution du pouvoir local à l'Assemblée communale", propose Amar Zarouki qui plaide également pour que le maire ne soit plus sous la coupe du chef de daïra pour réduire un tant soit peu l'engrenage bureaucratique. Une vision que partage la quasi-totalité des maires de la région, dont celui de la commune de Souamâa, Nacer Hassian, qui estime qu'"avec les lois actuelles, l'assemblée locale est loin de constituer un levier de pouvoir local. Les élus sont ligotés". "Le pouvoir local est détenu par le pouvoir central par le biais de l'administration, représentée localement par les chefs de daïra. Toute délibération et tout projet sont soumis à l'approbation de la tutelle, à savoir la daïra et la wilaya qui peut réserver une suite favorable ou encore défavorable", analyse-t-il soulignant que même lorsque la commune dispose d'argent, l'assemblée ne peut même pas acquérir un véhicule sans l'autorisation préalable du wali. À cela s'ajoute également, selon le P/APC de Souamâa, le poids du contrôleur financier. "Nous avons encore davantage les mains liées depuis la création des contrôleurs financiers.
Même lorsque nous disposons de l'argent, nous ne pouvons guère le gérer en fonction des besoins réels", explique-t-il citant au passage l'exemple de l'argent destiné à l'entretien des écoles. "Chaque année nous recevons une cagnotte de 7 millions de dinars pour l'entretien des écoles et pour eux l'entretien consiste à remplacer des vitres, des lampes grillées... mais si tu l'utilises, par exemple, pour la réfection d'une étanchéité défectueuse, ce que nous enregistrons pourtant souvent, ou pour refaire un carrelage usé, tu auras des soucis avec le contrôleur financier", relate-t-il.
Une situation qui rend, selon les maires, caduc le concept de la décentralisation des communes contrairement à ce qui est stipulé dans le code communal. "Il n'y a pas de décentralisation effective. Dans un système décentralisé, le contrôle se fait a posteriori, c'est le principe juridique universel de la décentralisation. Le fait que toutes les délibérations sont soumises à un contrôle a priori il y a déjà une transgression de ce principe universel. Nous sommes plutôt dans un système déconcentré", explique Heyouni Berchiche, le maire de la commune d'Ath Aïssi, et néanmoins président de la coordination des maires, créée en 2019 à Tizi Ouzou.
La dépendance financière : à qui la faute '
Au-delà des freins bureaucratiques imposés par des lois qui écrasent les assemblées locales sous le poids de l'administration, c'est surtout la faiblesse des rentes financières locales qui étrangle les communes et les réduit à vivre indéfiniment sous la perfusion des plans de développement communaux (PCD). Les communes sont-elles réellement condamnées par les lois de la nature à ne vivre que grâce aux PCD ' "Le recouvrement des taxes et des impôts ne relève pas du domaine de prérogatives de la commune mais plutôt des trésoreries intercommunales et des services des impôts. Nous avons déjà pris, par le passé, des délibérations qui ont été approuvées pour le recouvrement de la taxe sur les déchets ménagers, les loyers des logements de fonction et des locaux commerciaux ainsi que les enseignes commerciales, mais qui n'ont jamais été appliquées par la trésorerie intercommunale qui est en charge de leur exécution, et cela constitue un important manque à gagner pour la commune", explique Heyouni Berchiche.
Pour ce maire qui cumule déjà quatre mandats, dont deux en tant que maire, c'est cette impossibilité de recouvrer la fiscalité locale qui fait que les communes se retrouvent avec des recettes faibles, qui sont généralement englouties par les charges obligatoires de fonctionnement tels les salaires, l'énergie, l'entretien des écoles et des bâtiments communaux, et qui, en conséquence, empêche toute inscription de projet sur le budget communal et hypothèque tout développement de la commune. "C'est ce cercle vicieux qui fait d'ailleurs que la plupart des communes dépendent des cagnottes des PCD, distribuées annuellement par l'Etat. Autrement, lorsque la commune dispose de fonds propres, elle serait libre de leur répartition et de leur affectation sans aucune soumission à une quelconque nomenclature", explique-t-il précisant que lorsqu'il s'agit des PCD justement, les assemblées locales sont soumises au respect de la nomenclature et, pis encore, lorsqu'il s'agit de projets sectoriels, gérés par les Directions de wilaya, elles ne sont même pas consultées.
"Ainsi, les APC se retrouvent dans l'incapacité d'établir une feuille de route ou un programme de développement qui prend en considération des priorités ou le niveau de développement de chaque commune", dit-il tout en plaidant pour la mise en place, à l'avenir, de mécanismes efficaces qui permettront la récupération de la fiscalité locale. Mais, dit-il, la problématique économique dans les communes ne s'arrête pas à la récupération de la fiscalité.
"Dans le code communal actuel il a été prévu que la commune accompagne l'investissement local et il rajoute que les voies d'exécution seront définies par voie réglementaire mais jusque-là rien n'a été promulgué dans ce sens", ajoute-t-il. Mais pas que cela. La commune, dit-il, n'a aucun droit de regard sur la gestion de la zone d'activité lorsqu'elle est implantée sur son territoire. Elle n'est pas partie prenante dans sa gestion et elle n'a pas sa part des revenus de ce genre de zones, explique-t-il ajoutant que le code communal prévoit également la création d'établissements tels que les Epic mais qu'encore une fois il est dit que cela sera défini par voie réglementaire, chose qui n'est pas faite à ce jour.
"Ce qui empêche la commune de créer des entreprises communales génératrices de richesses pour la commune", déplore M. Berchiche avant de soulever le problème de l'organisation des communes. "Il y a aussi le problème de l'organigramme de la commune. Il faut donner à l'assemblée la possibilité d'établir son propre organigramme en fonction du territoire et des besoins de la commune par le biais d'une loi-cadre qui sera caractérisée par certaines souplesses", préconise-t-il citant le cas de sa commune, Beni Aïssi, qui continue à n'avoir droit qu'à quatre services.
"Nous avons voté des délibérations pour en créer d'autres pour nous adapter aux évolutions socioéconomiques. En vain. Nous voulions par exemple créer un service environnement et la daïra le rejette sous prétexte qu'il n'est pas prévu par la loi. Nous avons arrêté un organigramme figé et type pour les communes en fonction du seul nombre d'habitants", explique-t-il. Si certains maires posent également la question de la réquisition de la force publique qui pose problème, d'autres soulèvent surtout la question du respect des textes. Le problème n'est pas seulement dans le contenu du code communal mais aussi dans le non-respect de son contenu par l'administration.

Par : SAMIR LESLOUS


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