Algérie

Comment la page ESA est devenue le premier journal participatif algérien



«URGENT : La route qui relie les Dunes à Chéraga est coupée à la circulation par des manifestants». Au présent et en «direct», signé, ce mardi 31 janvier à 10h, «Les Envoyés Spéciaux Algériens» (ESA), la page Facebook qui fonctionne comme une agence de presse, avec des correspondants dans plusieurs régions du pays. ESA défraye la chronique, compte 87.000 fans et désormais une notoriété internationale. Ses créateurs, Younès Sabeur Chérif et Mohamed Amine Hamoudi se définissent comme des «journalistes citoyens qui essayent de faire bouger les choses». Rencontre.

Les débuts d'ESA remontent à juillet 2010. «On a été la première page de journalisme citoyen dans le monde arabe. L'idée de départ était de faire connaître l'Algérie profonde avec des vidéos amateurs». Après hésitation entre «observateurs algériens» et «envoyé spécial», le choix s'est porté sur ce qui «me semblait le plus adéquat, où chacun devient bénévolement, l'envoyé spécial de sa région», nous raconte Younès Sabeur Chérif.

A 23 ans, il est étudiant en sciences politiques et relations internationales. «ESA m'a d'ailleurs beaucoup aidé dans l'orientation de mes études...mais à la fac je me fais un peu discret», dit-il encore.

Avant la page ESA, il a essuyé un «échec», en lançant en 2009 «une campagne de boycott des élections sur le Facebook». Avec 600 adhérents, «Je boycotte Bouteflika donc je suis» n'avait pas marché. Il faut dire qu'à l'époque, Facebook faisait ses débuts chez les Internautes algériens.

L'engagement politique il le tient, dit-il, de son père qui «était actif dans un parti». Son grand-père était moudjahid. «Je me rappelle qu'à l'âge de 10 ans j'achetais déjà El Khabar, ça me passionnait». «Au lycée, sur mon skyblog, j'écrivais des articles (même si personne ne les lisait) sur par exemple "comment j'imaginais le président idéal pour l'Algérie", un président jeune et actif...je m'interrogeais sur nos politiques tous en âge très avancé».

Le syndicaliste Yacine Zaid, un déclencheur

Les vidéos postées par le syndicaliste Yacine Zaid sur Youtube ont incité Younès et Amine à se lancer sur Facebook. «J'ai proposé qu'on fasse une page Facebook qui rassemble toutes les vidéos, pour encourager d'autres Algériens à en faire autant», affirme Younès.

Avec le partage de ces vidéos, traitant l'actualité de proximité, la page ESA est passée «de quelques centaines de membres à plus de 5.000 membres». Puis «en janvier 2011, avec les événements qui ont éclaté dans les rues d'Alger et d'autres wilayas du pays, l'idée a pris forme».

Sous la coordination de Younès et Amine, «chaque adhérent à la page devenait un reporter» d'ESA. En moins de 3 jours, la page comptait «10.000 fans supplémentaires».

A ce jour, et souhaitons que ça dure, les promoteurs de la page ESA n'ont pas été inquiétés par les autorités. «Ils doivent discrètement suivre nos activités. Nous essayons de renforcer notre notoriété pour nous protéger à l'avenir», affirme Younès, sans exprimer une crainte latente.

Muni d'une caméra amateur, les créateurs d'ESA ont couvert la marche de la CNCD du 12 février 2011. «On envoyait des rapports tous les quarts d'heure, le soir on a monté les images filmées et on a posté sur la page». «C'est là que j'ai remarqué qu'il faillait réfléchir comme un média. Il faut être présent sur des événements pour que la consultation de la page puisse connaître plus de notoriété. Cette couverture nous a valu près de 10.000 autres membres en une journée». «Mais notre passage sur France-Inter a boosté la page, et la presse s'est à nouveau intéressée à nous», se rappelle Younès.

L'équipe qui gère ESA a été constituée «un peu au hasard», autour des administrateurs permanents comme Imène Mekoura, Smail Ihouda, Hamza Touati, Riad Zitouni, Hamoudi Mohamed Amine et d'autres.

NessNews.com pour professionnaliser l'info participative

Younès Sabeur Chérif fait appel à Abderrahmane Semmar (ancien journaliste d'El Watan, puis rédacteur en chef de la revue Dziri, qui dirige Actusanté.info et ouledsidi.com), qu'il a connu fin 2010, «pour mettre sur pied le projet NessNews.com».

Il s'agit d'un site Web «où n'importe quel citoyen peut accéder pour poster une information concernant la région et la commune où il réside. A lui de trouver le titre et les photos pour illustrer». Et par mesure de sécurité, l'information n'est pas mise en ligne «avant d'être validée» par les administrateurs .

Pour l'instant, le site sera financé par les «propres moyens» de ses promoteurs. Et si l'ouverture médiatique se concrétise réellement, NessNews sera édité «en version papier», et pourquoi pas «créer une radio».

Younès ne cache pas son ambition de «faire de la politique». «Il y a un parti, avec de nouvelle idées, qui est sur le point de voir le jour, j'aimerai y adhérer et travailler pour développer et proposer des solutions».




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