Après trois ans
de crise financière, on pourrait penser que toute analogie à la Grande
Dépression serait abandonnée. Mais elle persiste, avec plus de force
qu'auparavant. La crainte aujourd'hui est qu'une guerre des devises, avec son
lot de barrières tarifaires et de représailles, pourrait entraîner des
perturbations dans le système international du commerce aussi sérieuses que
celles des années 30.
Il y a de bonnes
raisons de s'inquiéter car l'expérience des années 30 suggère que les conflits
de taux de change peuvent être même plus dangereuses que les dépressions
sévères de par les pressions protectionnistes qu'elles entrainent.
En fait, ce ne sont pas les pays aux prises
avec les pires récessions économiques et les plus forts taux de chômage qui ont
le plus augmenté les barrières tarifaires et resserré les quotas dans les
années 30. En comparant les pays, on se rend compte qu'il n'y avait pas de
liens entre soit l'ampleur et la durée de la chute de la production et
l'augmentation des niveaux de protection, ou l'ampleur de l'augmentation du
chômage et l'étendue du protectionnisme.
La raison pour laquelle les pays qui ont été
le plus frappé dans les années 30 n'ont pas été tentés de répondre en
protégeant l'industrie de la concurrence étrangère est simple. Il y eut un
effondrement de la demande au début de la Grande Dépression, qui en retour a
conduit à une chute brutale des importations. En conséquence, les niveaux de
pénétration des importations ont effectivement baissé, et de façon dramatique,
dans presque tous les pays. Les producteurs avaient des problèmes, bien sur,
mais la concurrence de l'importation était le moindre de tous.
Il est arrivé la même chose cette fois-ci :
lorsque la crise est devenue globale en 2008-2009, les importations ont chuté
plus rapidement que la production. Avec la chute des échanges commerciaux, la
concurrence étrangère a été un moindre problème pour les secteurs sensibles à
l'importation. En conséquence, il y a eu peu de réactions protectionnistes. La
Banque Mondiale a estimé que seuls 2% de la baisse dans les échanges
commerciaux pendant la crise étaient dus à une montée du protectionnisme. Dans
les années 30, par contre, environ la moitié de la baisse des échanges
commerciaux mondiaux découlait du protectionnisme.
Pourquoi cette différence
aujourd'hui ?
C'est à cause des conflits de devises. Dans
les années 30, les pays qui avaient augmenté leurs barrières tarifaires et
resserré les quotas étaient ceux qui manquaient de capacités pour gérer leurs
taux de change – principalement les pays qui sont restés indexés sur l'or. En
1931, après que la Grande Bretagne et une vingtaine d'autres pays aient suspendu
leur convertibilité à l'or et autorisé une dévaluation de leur monnaie, les
pays qui avaient préservé leur convertibilité à l'or se sont retrouvés dans un
étau déflationniste. Désespérés, ils ont essayé de défendre leur économie par
n'importe quel moyen et se sont rabattus sur des mesures protectionnistes, en
imposant des droits de « dumping des taux de changes » et des quotas
d'importations pour compenser la perte de compétitivité causée par la
surévaluation progressive de leurs monnaies.
Mais les restrictions commerciales furent un
faible substitut aux mesures de relance intérieure, puisqu'elles n'ont pas
permis d'arrêter la chute des prix et de la production. Et elles n'ont pas non
plus permis de stabiliser les systèmes bancaires délabrés. Par contre, les pays
qui avaient donné du lest à leur politique monétaire et pris des mesures de
relance n'ont pas seulement mieux stabilisé leurs systèmes financiers et
récupéré plus rapidement, mais ils ont aussi évité le reflexe protectionniste
toxique du moment.
Les Etats-Unis sont aujourd'hui dans la
situation des pays qui étaient indexés à l'or dans les années 30. Ils ne
peuvent ajuster unilatéralement le niveau du dollar par rapport au renminbi
chinois. La courbe de l'emploi est décevante et les craintes de déflation
persistent. Par manque d'autres instruments pour répondre aux problèmes, les
pressions protectionnistes enflent. Alors que peut-on faire pour trouver une
solution à cette situation sans tomber dans le «chacun pour soi», avec des
représailles à tout va ? Dans la période de déflation des années 30, la
meilleure manière de contenir les pressions protectionnistes était d'utiliser
activement la politique monétaire pour faire remonter les niveaux de prix et
stimuler la reprise économique. Il en est de même aujourd'hui. Si les craintes
de déflation reculaient et si les courbes de la production et de l'emploi
remontaient de manière plus vigoureuse, cela dissiperait les pressions
protectionnistes.
Le vilain petit canard, donc, n'est pas la
Chine, mais le Bureau de la Réserve Fédérale américaine, qui rechigne à
utiliser les outils à sa disposition pour vaincre la déflation et redynamiser
l'emploi. Le Congrès aurait ainsi moins de pressions à pointer du doigt un
coupable, quel qu'il soit – dans ce cas précis, la Chine – pour la reprise
américaine sans emplois. La Fed ferait bien de suivre l'option pour laquelle la
Banque du Japon a opté.
Bien sur, avec un renminbi fixé par rapport
au dollar, la Fed relancerait effectivement non seulement l'économie américaine
mais aussi celle de la Chine. Mais cela est dans ses moyens. L'économie de la
Chine ne représente encore qu'une fraction de l'économie américaine, et la
capacité de la Fed à gonfler son bilan est effectivement illimitée.
Le résultat pourrait bien ne pas plaire à la
Chine. L'inflation y est déjà un peu trop forte. Heureusement, le gouvernement
chinois a une solution toute prête pour résoudre le problème : c'est vrai, elle
peut réévaluer sa monnaie.
Traduit de
l'anglais par Frédérique Destribats
* Barry
Eichengreen est professeur en économie à l'université de Californie à Berkeley,
Douglas Irwin est professeur
en économie au
Dartmouth College.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 21/10/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Barry Eichengreen Et Douglas Irwin *
Source : www.lequotidien-oran.com