Algérie

Comme des ombres furtives de Hamid Grine (Portraits) - Casbah Éditions, Alger, 2004



Comme des ombres furtives de Hamid Grine (Portraits) - Casbah Éditions, Alger, 2004
Quand l’éthique préinscrit l’écriture

Comme des ombres furtives de notre confrère Hamid Grine est un livre qui devrait susciter une double curiosité, voire un double intérêt. C’est une œuvre qui se veut autobiographique.

Donc, l’espace d’une énonciation subjective où l’auteur prend le risque de se révéler à nous par bribes, par tranches de confidences subtilement glissées dans les interstices de l’écriture. Ceci est le premier intérêt et pas des moindres : connaître l’écrivain, c’est d’ores et déjà une clé de déchiffrement de ses écrits antérieurs et futurs et dans le moindre des cas de celui présentement décrit.

Consubstantiel au premier et donnant sa raison d’être au livre, le second intérêt, lui, ce sont ces personnages que l’écrivain fait le pari — combien risqué — de nous raconter. Il eut été plus facile pour l’auteur de se donner l’alibi providentiel d’une écriture de fiction où des indices, des initiales et d’autres traces savamment sommés auraient suffi à identifier les uns et les autres.

Loin des êtres de papier

Mais voilà, l’auteur de Comme des ombres furtives pratique l’écriture comme on vit sa vie. Il nous aurait dit lui-même s’il l’avait voulu : «Je ne crois que ce que je vois. Je n’écris que ce que je vis». Un Saint-Thomas de l’écriture, Hamid Grine jurant de demeurer journaliste dans le giron de l’univers livresque. Entre l’ivresse du dire vrai et celle que procure la déambulation imaginaire, l’écrivain choisit la première : ivresse sereine, tranquille… que vient pourtant troubler à la fois un flirt terrible avec les morts et le risque d’un contact avorté avec les vivants…

Mais c’est compter sans l’implication humaine de l’écrivain et paradoxalement sans cette nécessaire distance qu’il établit avec ses personnages.

En fait, des personnages, ces êtres de chair et d’esprit (c’est peu dire) qu’il anime à travers les pages et les chapitres de son livre, Hamid Grine les doit à son vécu socioprofessionnel. Entre personnalités politiques, intellectuels, artistes et autres amis proches, la boucle est bouclée. Mais encore…

Le sens ou l’effet d’une galerie de portraits ou l’autre intérêt du livre, de Boumediène à Bouteflika, de Doukkali à Kadhem Essaher, de Françoise Giroux à Ali Lemrabet, ce sont en effet les jalons humains qui balisent pour l’Histoire tout un intervalle de temps dont l’Algérie est l’espace d’écoulement ou du moins de référence.

Comme des ombres furtives a beau avoir le détachement récréatif d’une galerie de portraits et les prétentions modestes d’un autobiographisme authentificateur, il n’en est pas moins l’espace d’articulation de faits qui synthétisent en filigrane, en dépit de l’insularité apparente des portraits, une partie de l’histoire de notre pays.

Ces portraits, déclic pour la mémoire, restituent, du fait de leur familiarité, l’époque à laquelle ils renvoient et/ou ils installent leur décor. D’où la part de l’Histoire dans cette histoire que Hamid Grine, écrivain et journaliste, s’est proposé de nous restituer noir sur blanc.


Question d’éthique

Qu’y a-t-il de plus respectueux pour un lecteur que l’art d’écrire en vue de lui laisser le droit d’exercer son intelligence et son libre-arbitre ?

Comme des ombres furtives est un des rares écrits en Algérie — le roman est exclu de ce constat — qui prend le soin de favoriser cette liberté du lecteur. Ni jugement de valeur, ni critique subjective… Seule prime une relation des faits, loin de la caricature qui invite, après coup, le lecteur à une réflexion sur le personnage décrit. Et c’est de l’effort intelligent et responsable que suscite le travail de lecture, à travers une reconstitution de ce puzzle humain, que ressortira une impression ou un jugement.

Autrement dit, Comme des ombres furtives n’a pas la prétention de défaire ou de fonder des réputations. Il se défend de toute structuration manichéenne des descriptions ou du récit. Mais cette éviction raisonnable et foncièrement éthique du sensationnel ne prive nullement le livre du mérite de l’inédit à travers une peinture d’êtres réels qu’on a tous un peu connus.

Des êtres que H. Grine a voulu nous rendre familiers et qui deviennent, après coup, plus humains et, brusquement, moins lointains quand on a fini de les déchiffrer.


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