Dans sa
communication, la dernière du colloque qu'a organisé la coopérative Ibn Baja en
collaboration avec l'université Es Senia d'Oran, le professeur Djamel Guerid
posera des questions d'une brûlante actualité. Déjà l'intitulé de sa
communication «Le rêve d'El Maâmoun et les enjeux actuels du savoir et de la
traduction dans le monde arabe» laissait supposer la jonction entre deux
périodes de l'histoire arabe. Il reprendra une question posée au moins à deux
reprises lors de cette manifestation, comme il tient à le préciser : «pourquoi
notre époque n'a pas connu un mouvement de traduction et d'appropriation du
savoir semblable à celui enregistré à l'époque abbasside ?» Surtout, ajoute
t-il plus loin, «les sociétés de connaissance» se substituent désormais «aux
sociétés industrialisées». En tant que spécialiste de la sociologie de la connaissance,
l'intervenant établira une comparaison entre un moment de réussite (l'ère
abbasside) avec deux autres moments d'échec: le moment dit de la «nahda» au dix
neuvième siècle et le moment actuel. Il donnera quelques éléments
d'explication, dont une a été avancée par le Professeur Touati lors de sa
conférence d'ouverture : l'appropriation du savoir grecque et sassanide a
permis aux abbassides de légitimer leur pouvoir et surtout de s'ériger en tant
qu'héritier de ces civilisations qui les ont précédés. Pour le professeur
Guerid, l'acquisition du savoir qui passait en premier lieu par la traduction a
été une préoccupation de l'ordre politique mais aussi de l'ordre social. «Le
mouvement d'appropriation du savoir à l'époque abbasside a bénéficié d'un
soutien de la part de la société civile d'alors», dira-t-il. Il rappellera
l'impossibilité d'isoler le savoir de «la totalité culturelle». Donc le secret
de la réussite abbasside réside dans «l'acquisition du savoir répondait à une
demande sociale interne». Et le conférencier d'esquisser une comparaison avec
la situation prévalant actuellement dans toute l'aire arabe. Il avancera
certains chiffres qui se passent de tout commentaire. Avec ses 300 millions
d'âmes, le monde arabe ne traduit que 330 titres par an, alors que la Grèce,
comptant à peine 15 millions d'habitants, traduit cinq fois plus. De 1981 à
1985, on a traduit 920 titres pour un million d'habitants en Espagne, contre un
seul titre pour chaque million d'arabes. «La demande du savoir n'est pas une
préoccupation des élites politiques arabes manquant de légitimité»,
lancera-t-il. Et pour cause «le pétrole permet l'acquisition du dollar qui
permet à son tour d'acheter le savoir».
Le conférencier
relèvera, par ailleurs, le faible niveau d'instruction des citoyens arabes, le
renversement opéré dans l'échelle des valeurs au désavantage de la connaissance
et du savoir. «A l'époque abbasside, les émirs étaient les protecteurs des
savants et du savoir», rappellera-t-il. Avant de conclure, le Pr. Guerid
parlera de «l'appareil scientifique encore embryonnaire dans le monde arabe».
Les conditions politiques, culturelles et sociales réunies lors de l'époque
abbasside sont absentes actuellement, laissera t-il entendre.
Dans la matinée
du jeudi, Mlle Aicha Belabid, de l'Université de Mostaganem, a consacré son
intervention sur El Biqa'i, un savant de l'Egypte mamelukide (15ème Siècle de
notre ère) qui s'est attelé entre autres à interpréter la Bible. En traçant sa
trajectoire, elle signalera que certains de ses oeuvres ont été la cause de
remous. D'ailleurs, ce savant sera obligé de quitter Alexandrie pour Alep et
Damas. On notera que El Biqa'i ne maîtrisait pas le hébreu, ce qui ne l'a pas
empêché d'entamer son entreprise intellectuelle. Les trois hadiths du prophète
autorisant ou interdisant ses adeptes de s'informer sur la religion judaïque
ont apparemment attiré l'attention d'une partie de l'assistance, composée
d'étudiants. Mlle Belabid, rappellera qu'à partir du dixième siècle «les
interdits» commencent à être institués. A commencer par celui de l'étude de la
philosophie, soulignera-t-elle.
Dans sa tentative
d'établir une synthèse de ce colloque, Françoise Michaux (professeur à
l'université de la Sorbonne) avancera que l'histoire universelle a connu deux
grands mouvements de traduction sans pareil : celui initié par El Mansour à
l'époque abbasside et celui engagé par Frédéric II à Paris au 13ème siècle. Ces
mouvements ont été portés par des structures politiques et économiques et ont
bouleversé l'histoire universelle. Elle terminera en estimant que «la
traduction implique la confrontation avec d'autres cultures, confrontation
source de savoir et de progrès»
Notons que ce
colloque, destiné beaucoup plus aux spécialistes, est le troisième qu'organise
la coopérative Ibn Baja. Pour rappel le premier colloque en 2007 a été consacré
à Frantz Fanon et le second, une année après, a été un hommage à Mohamed Harbi.
En dehors du partenariat avec l'université d'Oran, l'entreprise Sinal et le CCF
ont eux aussi participé à la réussite de cette manifestation.
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Posté Le : 31/05/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com