Le mausolée du roi numide Syphax (IIIe siècle avant J.-C.) à Aïn Témouchent
Sous-intitulées «Syphax et la rencontre de Siga, 206 avant J.-C.», une trentaine de communications réparties sur six séances thématiques sont à son programme, ainsi qu’une quinzaine d’interventions en trois tables rondes. Quelles sont a priori les plus notables ?
La première séance, en guise d’introduction au royaume des Massaessyles, verra le professeur Abderrahmane Khelifa évoquer le «pays des Traras» à l’époque du roi massaesyle et le «développement de cette région à travers l’histoire, notamment à l’époque romaine et musulmane pour montrer la continuité et la transformation d’une région qui joue un rôle important au début de la conquête musulmane.» Quant à l’archéologue Virginie Bridoux, du CNRS (Paris), elle remettra en question le bien-fondé de la frontière matérialisée par la Moulouya, entre le royaume de Syphax et celui des Maures.
Elle pose qu’il n’est pas certain que ce fleuve ait séparé ces royaumes avant 118 av. J.-C, cela au regard d’une série de témoignages qui plaident en faveur de l’autorité exercée par Syphax au-delà de ce fleuve. Son hypothèse suggère que c’est à partir de l’extrême fin du 3e siècle av. J.-C. que les Maures ont probablement repoussé les Massaessyles vers l’Est.
La deuxième séance, centrée sur la diplomatie et les alliances de Syphax, débutera avec une intervention qui pourrait apporter un démenti aux fantaisistes affabulations sur l’influence de Sophonisbe, l’épouse de Syphax, dans l’alliance passée par ce dernier avec Carthage contre Rome.
A cet égard, M’hamed Fantar, professeur émérite des universités en Tunisie, s’attachera à rappeler combien Syphax est un illustre inconnu : «Nous ne savons ni quand ni comment Syphax accéda au trône des Massaessyles. Mais au cours de la deuxième guerre punique, il était déjà maître d’un très vaste royaume et très sollicité par Rome et Carthage, les deux protagonistes de la guerre en Méditerranée occidentale. Il s’en trouva impliqué. Voilà ce qui l’avait mis en contact avec les deux plus grandes puissances de son temps pour une intense activité diplomatique dont nous allons essayer de mesurer les succès et les revers.»
Signalons que ce conférencier est coauteur d’un éclairant l’Afrique du Nord dans l’Antiquité, un ouvrage que des auteurs nationaux, mus par la légitime et louable exigence de vulgariser un pan de notre histoire millénaire, méconnue parce que longtemps mise sous le boisseau, seraient bien avisés de consulter.
En effet, étant des non-historiens, ces auteurs retranscrivent sans discernement, pour ne pas dire plagient une histoire sujette à caution, particulièrement celle écrite par les annalistes romains missionnés pour glorifier Rome, quitte à prendre des libertés avec la vérité historique en présentant Syphax en pantin manipulé par Sophonisbe et cette dernière réduite à une Mata Hari. Quelques interventions programmées vont d’ailleurs reprendre ces assertions.
Syphax, un pantin et Sophonisbe, une Mata Hari ?
Anthony-Marc Sanz, de l’université des Baléares, retracera la genèse de l’alliance passée entre Rome et Syphax dès 213 av J.-C. en l’analysant au regard des ambitions du roi numide en Afrique du Nord, mais aussi des objectifs de Rome dans le cadre de son affrontement avec Carthage.
De son côté, Faouzi Abdellaoui, maître-assistant à la faculté des lettres et des sciences humaines de Kairouan, interrogera les sources anciennes, et plus particulièrement Polybe, Appien et Tite-Live pour comprendre le passage, «un peu surprenant», de Syphax du rôle d’arbitre dans le conflit romano-carthaginois à un acteur dans ce même conflit. «S’agissait-il d’un choix pragmatique dicté par les victoires éclatantes d’Hannibal dont les échos sillonnaient toute l’Afrique du Nord» ?
Par ailleurs, Sophonisbe, «si on croit au récit d’Appien, aurait-elle joué un rôle déterminant dans ce rapprochement entre Syphax et Carthage ? Mais, d’autre part, pourquoi on marginalise une vision stratégique du roi massaesyle ? En effet, à notre avis, minimiser le rôle d’un grand roi comme Syphax à des cupidités pragmatiques est injuste. Nous pensons que Syphax aurait bel et bien une vision stratégique des événements et son alliance avec Carthage serait basée sur la doctrine de »l’Afrique aux Africains ».
De ce point de vue, se ranger à côté d’un voisin dont les relations politiques vinrent d’être renforcées par une relation conjugale était une nécessité pour l’Afrique du Nord. Un roi puissant comme Syphax avec un grand stratège comme Hannibal pourraient, si la guerre aurait été gagnée, changer toute la géographie historique des deux rives de la Méditerranée.» La 3e séance est consacrée à la conférence de Siga, en 206 av J.-C., une rencontre ayant réuni autour de Syphax les deux généraux romains Scipion l’Africain et Asdrubal Gisco. Elle sera clôturée par la projection de Syphax, roi des Berbères, un film d’Abdallah Touhami, sous la supervision historique de Abderrahmane Khelifa.
La séance suivante, consacrée aux «Sources matérielles et littéraires autour du royaume massaessyle» donnera l’occasion à Najat Lahdiri du Crasc de dresser un état des lieux de la recherche universitaire algérienne en rapport à Syphax. Rabie Oulmi, de l’université de Batna, procédera à une étude linguistique et épigraphique sur les inscriptions libyques de SIGA. Stamatis A. Fritzlas, chef du département de préhistoire au ministère de la Culture et des Sports de Grèce, sur la question des alliances, sondera le récit du chroniqueur Appien d’Alexandrie. A sa suite, Ahmed Ferjaoui, directeur de recherche à l’Institut national du patrimoine (Tunisie) traitera de «L’apport des inscriptions puniques, néo puniques et libycopuniques à la connaissance des royaumes des Massaessyles et des Massyles».
La 5e séance consacrée au thème du «Patrimoine matériel et immatériel comme source de la connaissance de l’histoire» verra Zahia Amara de l’Institut des langues appliquées de Moknine (Tunisie) décortiquer la centrale question de la construction de l’identité dans l’œuvre de Tite Live, annaliste romain : «Comme l’identité n’a de consistance que par rapport à l’altérité, nous proposons d’étudier le »portrait livien » de Scipion l’Africain à partir de deux autres individualités différentes et complémentaires : Syphax et Hasdrubal.
Il s’agit de voir dans le récit du Padouan (par exemple à partir des blâmes et des louanges ou plutôt éloges obligés ?) comment s’élabore l’exemplum de Scipion, et surtout de découvrir que l’exemplarité dans l’histoire romaine de Tite-Live cache mal un discours essentiellement finalisé dont le but ultime est d’exalter le personnage-type qui personnifie des vertus romaines.
Jean-Pierre Laporte, chercheur associé au CNRS (Paris) propose de revisiter les sources de connaissances des royaumes numides en les confrontant aux importantes données archéologiques sur l’Oranie, ce qui permettra de progresser sensiblement sur le royaume Massaessyle de Syphax, son fonctionnement interne et son rayonnement, ses liens commerciaux avec Carthage, le sud punique de l’Espagne, mais aussi Rome.»
Prépondérance dommageable des sources littéraires sur les sources archéologiques
Nabil Boudraâ, professeur associé à Oregon State University (USA), analysera quelques représentations (littéraires, filmiques et artistiques) de Syphax en Occident. L’ultime séance du colloque est consacrée aux fouilles du mausolée et du site de Siga en 1977/78. C’est le professeur Mounir Bouchenaki, conseiller spécial de la directrice générale de l’Unesco, qui rappellera pourquoi le Service des Antiquités de l’Algérie, qu’il dirigeait alors, avait entrepris, en coopération avec une équipe allemande, une fouille de la colline de Siga : «Aborder, en effet, les monuments funéraires de tradition libyco-punique, en reprenant l’étude du contexte géographique et historique est d’une importance capitale pour l’analyse des premiers royaumes berbères dont l’existence nous permet d’enrichir sensiblement notre connaissance sur la Numidie avant la conquête romaine.
Le terme même de Numidie et des populations massaessyles et massyles qui l’habitaient peut certainement recouvrir plusieurs réalités et son utilisation sur le plan scientifique exige que des précisions soient bien établies pour faciliter la compréhension d’une région et d’une période dont l’histoire a dû être très complexe dans l’Antiquité, mais dont on ne devine qu’une trame très grossière à travers la lecture des sources littéraires.
Cette approche historique, qui se fonde à la fois sur un certain nombre de textes antiques et sur les résultats des fouilles archéologiques, n’a pas la prétention de fournir une réponse originale aux nombreuses questions qui restent posées par les historiens et les archéologues.
Elle vise essentiellement à placer quelques jalons supplémentaires permettant de mieux comprendre ce que furent les populations numides aux IIIe et au IIe siècles avant l’ère chrétienne.» A sa suite, Amel Soltani, conservatrice en chef et directrice du Musée national Cirta, interviendra sur la production monétaire de Syphax et l’importance de l’application des nouvelles technologies au patrimoine.
Enfin Hakim Kerkeni, expert photogrammètre (Tunisie) exposera à travers quelques techniques l’intérêt des nouvelles technologies dérivant de la technologie spatiale et usant de l’informatique dans la prospection, l’inventaire, la découverte et l’étude des monuments, des sites, des manuscrits, des figures rupestres.
Ce survol du programme ne peut empêcher de relever que si le premier colloque organisé par le HCA a porté principalement sur Massinissa, d’aucuns s’attendaient que son deuxième allait accorder un traitement similaire à la figure de Syphax d’autant que celle-ci a été maltraitée tant par l’historiographie romaine que coloniale.
Ce traitement différencié et la revendication sélective sur les figures tutélaires de notre «numidité» ne peut manquer d’interpeller. Il est heureux que certaines conférences du colloque prennent le contre-pied de cette tendance.
Posté Le : 14/07/2019
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : MOHAMED KALI - Photo Hichem BEKHTI (www.vitaminedz.com)
Source : EL WATAN - 21 SEPTEMBRE 2018