Est-il possible, cinquante ans après les Accords d’Evian, de sortir de la guerre d’Algérie avec des «regards croisés, regards apaisés» ? C’est en tout cas la démarche et la volonté des organisateurs du colloque qui se tiendra à Evian ce samedi et demain dimanche. Cette volonté n’est pas partagée par des associations de rapatriés et des harkis, qui ont décidé d’organiser des manifestations de protestation aujourd’hui et demain.
Paris.
De notre correspondante
Par ce colloque les associations organisatrices, aidées pas les associations partenaires ont pour objectif de «donner la parole aux chercheurs, pour que leur parole rayonne au-delà du cercle des seuls spécialistes à l’intention de tous ceux qui cherchent à s’informer, comme citoyens responsables, soucieux de connaître, comprendre et assumer le passé dans toute sa complexité, sa profondeur, en écoutant les voix s’exprimant dans chacun des camps qui s’opposèrent pendant plus de sept années de douleurs, de larmes et de souffrances. Plus longue est la guerre, plus complexes sont les voies de la négociation pour bâtir la paix».
L’originalité du colloque repose, selon ses organisateurs, sur «La dimension savoyarde» avec la présentation de Camille Blanc, maire assassiné au tout début des premières négociations, celle de Mgr Duval, héritier spirituel de la résistance haut-savoyarde, évêque de Constantine puis archevêque d’Alger ; «le rôle des Français libéraux» capables de comprendre la nécessité de faire évoluer de manière fondamentale les rapports entre colonisateurs et colonisés, à rebours de l’opinion dominante. Quelles furent les raisons de cette compréhension ? «La proximité de la Suisse et la diplomatie helvétique ; mais quelle diplomatie pour un pays neutre ?» «Le regard des Allemands est lui aussi original alors que ce peuple n’a pratiquement pas été colonisateur.» «Le point de vue des Algériens, au titre des regards croisés, est capital.
Pour eux, la période décisive, à la différence des Français, est postérieure aux Accords d’Evian ; elle précède la proclamation de la République algérienne en juillet 1962, elle est aussi postérieure à cette proclamation et se manifeste au cours de “l’été de la discorde” : les Algériens négociateurs des Accords d’Evian préfèrent perdre le pouvoir au profit de Ben Bella et de Boumediène, chef de l’Armée de libération nationale plutôt que d’entrer dans la logique d’une guerre civile ; autres regards croisés avec coups de projecteur sur l’enseignement de la Guerre d’Algérie de chaque côté, des deux rives de la Méditerranée. Enseignement qui évolue dans le temps, en fonction de l’évolution de la recherche, mais qui pose la question préalable, fondamentale, sur les objectifs de l’enseignement de l’histoire».
Pour sa part, la Ligue des droits de l’homme (LDH) considère que le temps est venu de «poser enfin un regard apaisé sur la fin tragique de la période coloniale de notre histoire». Elle «condamne vivement les forces politiques qui, dans un but électoraliste, encouragent les nostalgiques de la colonisation. Tel le maire de Nice, Christian Estrosi, qui a tenté, les 10 et 11 février dernier, d’empêcher la tenue d’un colloque organisé par la section locale de la Ligue des droits de l’homme sur le thème “Algérie 1962, pourquoi une fin de guerre si tragique ?” au motif qu’il ne s’inscrivait pas dans “l’esprit” de la commémoration que sa municipalité organise».
La LDH dénonce également avec force le fait que, le 10 mars à Nîmes, des élus de l’UMP et du Nouveau centre (maires, députés, sénateurs et conseillers généraux) se soient joints aux agitateurs du Front national et aux anciens de l’OAS pour tenter de s’opposer à la tenue d’un colloque d’historiens consacré par un collectif d’associations dans les locaux du conseil général du Gard à «La Fédération de France du FLN (1954-1962)». Ce colloque sera, selon la LDH, «l’occasion de réaffirmer sa demande aux autorités françaises qu’elles abandonnent le discours insidieux tenus depuis l’élection de Nicolas Sarkozy sur le “refus de la repentance” et l’éloge de “l’œuvre civilisatrice” de la colonisation pour formuler une véritable reconnaissance des injustices fondamentales qui ont marqué cette époque». Le terme «regards apaisés», signalent les organisateurs, est la reprise du titre d’un livre – Guerre d’Algérie, une histoire apaisée ? – de l’historienne Raphaëlle Branche.
Parmi les conférenciers, il y aura notamment les historiens Alain Ruscio, Gilbert Meynier, Gilles Manceron, Yann Scioldo-Zurcher, Françoise Breuillaud-Sottas, Amar Mohand-Amer, Lydia Aït Saadi, Dalila Aït El Djoudi, Christiane Chaulet-Achour (professeur aux universités d’Alger et de Cergy), ainsi que Martine Buron (fille de Robert Buron, un des négociateurs des Accords d’Évian, ancienne députée européenne, maire de Chateaubriant), Marie-Christine Ray (biographe de Monseigneur Duval, archevêque d’Alger), Louis-Pascal Jacquemond (inspecteur d’académie), Michel Wilson (né à Alger, président régional de Coup de soleil), André Legrand et Jeannet Bottolier (association 4ACG, Anciens appelés et amis de l’Algérie contre la guerre).
Le colloque sera accompagné d’une exposition de photographies de Jean Mohr (photographe suisse) et de la projection de films de l’Institut national de l’audiovisuel sur les Accords d’Evian. Une pièce de théâtre, Le Contraire de l’amour, d’après le journal de Mouloud Feraoun, mise en scène par Dominique Lurcel, suivie d’un débat, est au programme dimanche 18 mars. Une cérémonie commémorative du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, organisée par la fédération des anciens combattants en Afrique du Nord, est prévue lundi 19 mars au Monument aux morts.
- Le colloque est organisé par la société d’histoire La Salévienne ; l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons ; l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (Anpromevo) ; la Ligue des droits de l’homme (LDH) ; l’université populaire de l’AQCV, en partenariat avec la Ville d’Evian, le Conseil général de Haute-Savoie, l’université de Savoie, l’Association des professeurs d’histoire et de géographie de Grenoble et Coup de soleil.
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Posté Le : 17/03/2012
Posté par : aladhimi
Ecrit par : Nadjia Bouzeghrane
Source : Elwatan le 17.03.12