Pour les typographes, cela s'appelle un palimpseste. Lorsd'une conversation, cela s'appelle un brouhaha. En droit juridique, cela peutêtre désigné comme une prescription. Durant les affreux attentats du 11décembre, il y a eu des morts, deux kamikazes et un malaise intime. Si on aparlé des bombes et des assassins, rien n'a été dit sur le malaise. Lequel ?Celui d'un télescopage entre deux dates dont l'une ne pouvait surmonter l'autreni s'en dissocier, et inversement. L'ENTV qui s'était préparée pour fêter le 11Décembre 1960, mieux que l'Etat qui ne s'était pas préparé pour le 11 décembre2007, a donné un beau spectacle trans-temporel avec effet « code quantum ». Aumoment même où des gens condamnaient les attentats, d'autres se souvenaient dela glorieuse manifestation de soutien du FLN à l'époque où le FLN était jeune,beau et sentait bien le sable chaud. La seule différence était dans l'âge : lepremier événement remontait à 47 ans, le second à 47 minutes. Dans les deux cas,l'Algérie était occupée : soit par la France, soit par la mort. Dans les deuxcas les Algériens devaient bouger pour demander quelque chose : l'Indépendanceen 1960 ou des ambulances en 2007. D'où ce sentiment surréaliste et fascinantd'une Algérie à deux étages dans l'édifice de la mémoire, obligée de tenir deuxdiscours en même temps pour répondre à deux dates différentes avec un seulpeuple dans le double rôle de la bouche et de l'oreille. Bien sûr, dans le tas,on ne pouvait pas ne pas parler du 11 Décembre 1960 puisque c'était importantet on ne pouvait pas ne pas parler des attentats puisque c'étaient desattentats. Le résultat ? Une sorte de malaise et de ridicule imparable : parlerdu 11 Décembre 1960 un 11 décembre 2007 est apparu comme un luxe de troisièmeâge, une sorte de plaisanterie rétrospective (demander l'indépendance en 1960pour en fabriquer des cadavres en 2007 ?) et une impolitesse incongrue. Unesorte d'accident entre le devoir de mémoire et le devoir de sépulture. Faut-ilen blâmer quelqu'un ou quelque chose (l'ENTV ) ? Non. Cela est algérien : unedate qui en efface une autre, un moment historique qui ridiculise un autremoment historique, une rue qui débaptise une autre et un coup d'Etat qui enfait oublier un précédent. Bien sûr cela n'est pas la faute de tout le mondemais c'est juste que dans ce tourbillonnant calendrier, nous finissons partomber dans l'absurde. Il y a des jours comme ça où il faut fêtersolennellement en enterrant gravement, en parlant avec enthousiasme d'un peuplequi prie avec emphase et meurt avec des lamentations.
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Posté Le : 17/12/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com