Algérie

Club du peuple !


Zone interdite aux citoyens depuis près de 30 ans, les plages de Club-Des-Pins et de Moretti s'ouvrent enfin aux Algériens. Ils découvrent une enclave qui a nourri bien des fantasmes.La route de Bouchaoui est à peine amorcée, que l'embouteillage apparaît dans sa forme rédhibitoire. Une file de véhicules, pare-chocs contre pare-chocs, s'étale sur plus de 5 kilomètres, jusqu'à l'entrée de la trémie qui mène à la Résidence d'Etat Sahel Club-des-Pins. Jusqu'à jeudi, l'accès n'était autorisé qu'aux occupants des villas et des chalets. L'interdiction est levée instantanément vendredi après l'annonce de la décision du chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune, soit l'ouverture les plages bordant ladite résidence à la fréquentation du large public.
Hier, l'affluence des estivants était si grande, qu'un barrage de la Gendarmerie nationale, dressé au rond-point desservant Staouéli, Aïn-Benian, l'autoroute d'Alger et de Tipaza, déviait les voitures de leur destination. "Le parking de Club-des-Pins est saturé, aucune voiture ne peut y accéder", nous dit-on. Les automobilistes sont invités à déposer leurs passagers et de garer les véhicules ailleurs.
L'expédition est laborieuse : un parcours à pied sous un soleil de plomb, chargés de parasols, glacières, sacs, bouées... et souvent des enfants, trépignant d'impatience et d'énergie, à surveiller. Les processions de familles ou de groupes d'amis, sur presque un kilomètre, confèrent, néanmoins, au lieu l'ambiance d'une station balnéaire, qu'il n'a plus vraiment connue depuis 28 ans. La plage adopte les couleurs des parasols, répartis sur toute la longueur de sa bande sablonneuse.
Un panneau avertit les estivants sur l'impératif de se maintenir à une distance de quatre mètres les uns des autres, une mesure barrière contre la contamination au Covid-19. La consigne est relativement respectée. "Nous avons mis en place un dispositif d'urgence adapté à la situation sanitaire. Nous n'avons pas eu le temps de préparer la saison estivale", précise le directeur général de la Résidence d'Etat.
Selon ses appréciations, les plages et les criques qui s'étendent du quartier les Dunes (Chéraga) à l'extrême limite de Moretti, ont la capacité d'accueillir jusqu'à 60 000 personnes. Le risque épidémique au coronavirus a dicté une fréquentation restrictive à environ 20 000 âmes. Notre interlocuteur affirme, par ailleurs, qu'une quarantaine d'agents ont été recrutés pour sécuriser davantage le site.
Ce dernier est aménagé en trois zones, deux réservées strictement aux familles, le troisième accessible aux jeunes gens. Les plages sont nettoyées chaque matin de bonne heure. Les brigades des gardes-côtes ont été saisies pour interdire l'utilisation des jet-skis. Les résidents sont-ils dépités par la jouissance exclusive et privilégiée des lieux ' "Certains s'inquiètent peut-être de ne plus être au calme et de subir la circulation", suppose un agent de sécurité.
Pour l'heure, les réclamations ne sont pas nombreuses. "Nous avons pris la peine de délimiter la partie des résidences afin que leurs habitants ne soient pas dérangés", rapporte le directeur général du site. "Grâce à la fonction de mon mari, je n'ai jamais eu de problème à entrer à Club-des-Pins et de faire profiter mes enfants de la plage. Ça ne me gêne pas du tout qu'elle soit largement fréquentée désormais. Au contraire, il y a plus d'ambiance", relève une jeune femme. Un sexagénaire, accompagné de deux fillettes, livre le même avis.
"J'ai une carte d'accès. Je suis venu aujourd'hui comme je le fais depuis des années", témoigne-t-il. Un père de famille découvre le mythique Club-des-Pins pour la première fois. "Mes enfants, ma famille et moi-même adorons cette plage. Il y a beaucoup de monde certes, mais elle est propre, bien fréquentée et sécurisée", nous confie-t-il spontanément.
L'ouverture des plages de Club-des-Pins et de Moretti est assurément un événement attractif, car elles ont été hermétiquement fermées aux citoyens lambda pendant 28 ans. En 1992, à l'émergence du terrorisme islamiste, le territoire de la Résidence Sahel a été inscrite comme zone hautement sécurisée, accessible avec un laissez-passer.
Dans les villas et dans les chalets ont été alors logés de hauts commis de l'Etat, des généraux, des personnalités politiques... et leurs familles. Au fil des années, l'argument sécuritaire a perdu de sa force. Pourtant la Résidence Sahel Club-des-Pins a gardé sa vocation de bastion des favorisés de la République.
L'été dernier, des hirakistes ont revendiqué par intermittence le libre accès au site. Début août 2020, l'enseignant-universitaire Mohamed Hennad a lancé, via une plateforme numérique sur les réseaux sociaux, une pétition dans laquelle il est demandé aux autorités du pays de rouvrir les plages de Club-des-Pins et de Moretti au grand public. La démarche a reçu, contre toute attente, un écho favorable.

Souhila HAMMADI
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