Algérie

Clôture du colloque consacré à l'?uvre de Mohamed Harbi «Le retour à l'histoire pour s'épanouir des servitudes»



Ceux qui attendaient une communication de type académique de la part de Mohamed Harbi, le dernier à intervenir dans le colloque consacré à son oeuvre, ont eu droit à une sorte de manifeste. Pour justifier son propos, il dira que «mes préoccupations sont celles d'un colporteur d'idées». Dès le départ, il lancera, devant une salle observant un silence presque religieux, que «les Algériens ont gagné leur souveraineté, il leur appartient maintenant de s'approprier leur devenir». Caractérisant la période post-coloniale, il ne manquera pas de la qualifier de «frein à notre épanouissement» individuel et collectif. Abondant dans ce sens et répondant à une question posée le matin, il dira que «les mythes mobilisateurs se sont mués en facteurs de légitimation» d'un ordre établi. Contrairement à une tendance dominante ne prêtant aucune importance aux événements d'Octobre 1988, il estimera qu'à partir de cette date «les conflits internes ont été réactivés». Pour comprendre les enjeux du moment, il invite à un retour à l'histoire. «Sans histoire, la citoyenneté est décharnée» et d'ajouter «il nous faut une mémoire du passé». Harbi, pour répondre à l'attente de son auditoire, développera sa vision de l'histoire (en tant que discipline scientifique) en rejetant d'emblée celle idéologisée et en se réclamant de celle des professionnels «sujette à des critiques et au questionnement perpétuel», ajoute-t-il. D'ailleurs, il qualifiera l'histoire de l'Algérie allant de 1930 à 1980 d'idéologique parce que visant dès le départ à asseoir «une conscience politique». Pour lui, d'autres préoccupations ont émergé au lendemain de l'indépendance, telle que la question des femmes, de la berbérité et de la citoyenneté. Abondant dans ce sens, il tonnera : «l'Algérie a besoin d'un renouvellement historiographique», entreprise qui ne peut pas faire l'économie d'un «renouvellement des sources». En voulant se montrer concret, il réclame une approche de la guerre de libération nationale, jugée événement fondateur, en tenant compte de l'apport de l'anticolonialisme français et européen. Il précisera que cet anticolonialisme est bien antérieur à 1954. Pour Harbi, ce retour sur l'histoire coloniale «nous interpelle dans la mesure où elle nous incite au rejet de toutes les formes de servitude». Et de mettre en garde, «l'indépendance risque de devenir un non-événement». D'ailleurs, il estimera que «ce qui s'est passé durant les années 90 a été exploité contre nous». Jean Leca, en tant que politologue, posera une question concernant «les problèmes de la science politique appliqués à l'Algérie». Il reprendra une interrogation de sa discipline concernant l'Etat en s'interrogeant «est-ce que l'Etat algérien est un Etat fort ou un Etat faible ?». Il estimera qu'il existe deux thèses opposées. Cette première interrogation appelle une autre beaucoup plus lourde se rapportant au «rapport entre le nationalisme et la démocratie». Sans trancher la question, il estimera néanmoins que «le nationalisme issu d'une guerre victorieuse» a permis la mise en place «d'un Etat politiquement différent de l'Etat colonial». A la fin de sa démonstration un peu chahutée à cause de l'impératif du timing, Leca, ce grand connaisseur du système politique algérien, lancera «le nationalisme a abouti à l'érosion de la démocratie». La conclusion de sa communication sera encore sans appel, puisqu'il considère qu'en ce moment on assiste «au triomphe de la myopie politique». Voilà une seconde interpellation à l'adresse des intellectuels et des politiques. Mohamed Hachmaoui, un jeune politologue, a avancé lui aussi une autre thèse lourde de sens. Sa communication «Y a-t-il une tribu dans les urnes ? Analyse d'une énigme électorale» ne cadrait pas d'apparence avec les travaux de ce colloque. Finalement, elle s'est avérée en plein dedans, puisqu'il revient à l'histoire d'une part en relisant notamment les archives de l'époque coloniale. Auparavant, il s'est étalé sur sa propre démarche scientifique en affirmant qu'il avance des hypothèses après le travail du terrain. En s'intéressant à des opérations électorales dans la région de Tébessa, notamment celle de 2002 et une autre qui s'est déroulée un siècle auparavant, il constatera la permanence du tribalisme comme facteur de mobilisation. Il constatera que le FLN au lendemain de l'indépendance a consacré les rapports de force tribaux existants dans la région considérée. Mieux, après toutes les déstructurations et les chamboulements sociaux qu'a connus l'Algérie indépendante, il estimera que ni le FLN ni l'Islah ne sont arrivés à «effacer» les dimensions tribales du champ politique local. Ce qui lui fait dire, et sa thèse, que «les affinités électorales relèvent d'un tribalisme sans tribus et d'un clientélisme politique». Benjamin Stora, en parlant de Harbi, a rappelé que l'Algérie avait disparu du champ intellectuel français durant les années 70. Le livre de Harbi «Aux origines du FLN», qui a constitué «un choc» pour Stora encore étudiant, a ressuscité l'intérêt pour l'Algérie en France et ailleurs en Europe. Parmi les nouveautés de cet ouvrage, Stora citera entre autres le repérage de l'importance du facteur religieux. Il laissera entendre que les événements des années 90 ont donné raison aux intuitions de Harbi concernant ce facteur. Il ajoutera que ses rapports avec Harbi sont aussi des rapports militants puisque ensemble ils ont participé à des regroupements politiques pour l'Algérie, notamment celui de la Mutualité à Paris en 1984 et la signature des pétitions en faveur de l'émancipation des femmes.
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