Algérie

Claviers d'hier, claviers d'aujourd'hui



Contrairement à notre ami Merah (voir sa chronique d'hier), je suis un vieux qui tente d'être à la page dans le domaine des nouvelles technologies. Je dirige d'ailleurs une revue branchée sur l'actualité New Tech (Média & Mobile) et cela m'aide beaucoup dans la compréhension des mutations rapides et profondes qui affectent notre vie sociale. Cela vient probablement de ma jeunesse quand le Vieux, pour me récompenser de mon succès au BEPC, m'offrit une petite machine portable qui me permit de me familiariser avec le clavier dès l'âge de 16 ans. J'ai tout de suite eu envie d'écrire des articles de presse : cette machine donnait des ailes à mon désir de taper des textes sur l'actualité de mon village. Quand on écrit sur M'daourouch, il n'y a pas beaucoup de choix dans les sujets : Madaure, le souk, les fêtes nationales - beaucoup plus gaies que les actuels rassemblements «mortuaires» -, le vide culturel, les randonnées au djebel Boussessou, l'agriculture... Rien de sensationnel ! Mais c'était quelque chose d'exhiber une carte de presse verte et rouge à l'âge de l'adolescence !Plus tard, dans le bureau annabi du quotidien An Nasr, je retrouvais une grosse machine à écrire d'une autre époque avec les lettres incrustées dans de belles touches rondes nacrées. Une Remington ! Que d'articles écrits sur cette machine probablement héritée de l'époque coloniale car ce bureau fut celui de la Dépêche de Constantine, que de crimes résolus et non résolus détaillés, que de visites de leaders étrangers couverts, que de dénonciations des autorités locales et que de mots romantiques perdus dans l'horizon bleu de nos rêves marins...
Mais, dans ce bureau, on ne tarda pas à installer une autre machine au clavier électrique : un beau et imposant télex qui nous permettait enfin de bannir à jamais l'enveloppe «Hors sac» et les courses stressantes vers la gare. Il y avait un train à 17h qui reliait Annaba à Alger et il ne fallait pas le rater pour envoyer articles et photos à Constantine, siège du journal An Nasr. Pourquoi «Hors sac» ' Tout simplement parce que cette lettre d'une couleur rouge vif restait en dehors du sac postal pour être directement remise à un agent du journal. Le télex, enfin ! Je me souviens de la couverture des grands procès (meurtre de la petite Khamsa, détournement d'un avion d'Air Algérie vers l'Italie et tant d'autres affaires) où ce télex fut d'un grand secours. Auparavant, nous devions dicter au téléphone tous les articles d'actualité, c'est-à-dire tous les événements que nous n'avions pas pu boucler avant l'envoi de l'enveloppe «Hors sac». C'étaient des séances éprouvantes où il fallait parfois répéter le mot trois fois. Les lignes téléphoniques de mauvaise qualité n'arrangeaient pas les choses.
Quand je rejoignis El Moudjahid, après l'arabisation de notre journal, j'eus des difficultés à me réhabituer au stylo. Heureusement que l'on m'accorda rapidement l'autorisation d'aller chez les secrétaires pour taper moi-même mes articles. Un beau jour, feu Naït Mazi, qui aimait beaucoup discuter avec les journalistes, nous étonna en nous révélant l'existence d'un appareil que l'on pouvait brancher à la prise téléphonique et qui «envoyait» n'importe quel texte manuscrit ou tapé ! Incroyable ! Nous étions émerveillés par cette invention. Fini le calvaire des soirées éreintantes où, le téléphone collé aux oreilles, on passait des heures à dicter des articles qui devaient passer dans l'édition du lendemain. Mais, en même temps, nous pensions que c'était de la science-fiction et que ces engins n'arriveraient jamais en Algérie. Et un beau jour, le journal fut équipé de fax. Et au cours de nos pérégrinations à travers l'immense Algérie, nous tombions toujours sur un fax, à l'hôtel, à la wilaya ou dans n'importe quel bâtiment officiel. Pour l'envoi des photos, c'était plus compliqué. Mais comme nous étions souvent en reportage, c'est-à-dire pour un travail qui sera remis au journal à notre retour, cela ne posait pas de problème pour les photos.
Mais il y avait une autre possibilité d'envoyer ces documents directement et automatiquement vers le journal. Nous découvrîmes un jour un appareil installé dans une immense valise qui dormait parmi les vieilleries datant de l'Echo d'Alger. Renseignement pris, il s'agissait d'un bélinographe. Il était utilisé pour les grands événements, notamment sportifs, comme les courses cyclistes. On le connectait à un système spécial, présent dans les grandes agences postales et on enroulait la photo autour d'un cylindre qui va tourner lentement pour permettre à un rayon de balayer horizontalement chaque espace du document. Au même moment, un autre appareil installé à Alger imprimait tous les détails de la photo sur un papier vierge. Mais, pour que tout marche à merveille, il fallait développer la pellicule sur place et tirer les photographies sur papier ! Nous l'utilisâmes une seule fois pour une visite présidentielle à Sétif mais il fut si problématique de dénicher cette fameuse prise à la poste locale que l'expérience tourna court !
À la création d'Horizons, le fax fut roi ; il devint un outil ordinaire du travail journalistique. C'était encore l'ère du plomb à l'imprimerie mais la qualité s'améliorait grâce à l'offset. Plus tard, au Soir d'Algérie, nous fûmes le premier journal à aller directement à la publication assistée par ordinateur (PAO). Après un court apprentissage chez notre ami Chaouch d'Astein, je pus me familiariser avec cet autre clavier, celui de l'ordinateur. Oh, ce n'était pas la grosse bête bourrée de technologie, juste un tout petit écran et un système d'exploitation primaire. Ces Macintosh de première génération fonctionnaient avec le «Ready Set Go». Nos amis des autres journaux tablaient sur la photocomposition dont le principal handicap était une lourde participation manuelle que l'on pouvait éviter en confiant à l'ordinateur toutes les tâches exécutées auparavant par les linotypes et aux typographes.
Le 2 septembre 1990 au matin, nous étions au rendez-vous dès 5h du matin pour le grand coup de feu du numéro 1, daté du 3 septembre comme le veut la tradition des journaux du soir. J'eus l'honneur de mettre en page la première Une du nouveau quotidien directement sur un ordinateur ! Ce n'était pas courant, même à l'étranger, car les services techniques des quotidiens étaient déjà à la photocomposition et il leur fallait du temps pour muter vers la PAO.
Les années passent. La disquette disparaît. Le CD laser devient le maître, très vite dépassé par le DVD, puis par un tout petit appareil avec lequel on pouvait trimballer toute une bibliothèque dans sa poche ! Le flashdisk, invention phénoménale qui va bouleverser les habitudes de travail et de distraction. Mais le monde qui se dessine devant nous rend obsolète tout emmagasinage physique. Nous sommes désormais à l'ère du virtuel, y compris dans la conservation et le transport de nos documents. Le Cloud permet de mettre ses documents en lieu sûr et de les retrouver à tout moment, sans avoir besoin d'un support quelconque !
J'ai connu très tôt la révolution du télétravail puisque c'est ce que je fais depuis 1998 ! Depuis cette date, tous mes écrits ont été expédiés d'abord par fax, puis par ordinateur et maintenant par smartphone. Durant ces longues années, je me suis familiarisé avec le téléphone mobile qui est devenu oppressant au point de me pousser à m'en débarrasser durant deux années. Intéressante expérience ! Je me suis essayé à Facebook et j'ai échappé de justesse à la dictature des réseaux sociaux en me libérant de leur emprise. Je n'ai plus de pages et je ne m'en porte que mieux ! Je vois les choses telles qu'elles sont dans la réalité, dans leur véritable dimension humaine. Je hume l'air du matin sans parasites, ni fake news, ni nouvelles stressantes. Le soir, je sillonne paisiblement les chemins de campagne sans redouter le moment où, de retour à la ferme, le smartphone m'annoncera catastrophe sur catastrophe. Je vois le monde tel qu'il est et je ne retournerai plus jamais dans l'enfer bleu.
M. F.


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