Algérie

Claude Estier, un ténor du Parti socialiste français, au Quotidien d'Oran Mitterrand a tiré vers le haut la relation franco-algérienne



Membre de la «garde rapprochée» de François Mitterrand, Claude Estier fait partie des hommes politiques français les plus familiers de l'Algérie. Journaliste engagé, il a milité pour l'indépendance algérienne. Homme politique, il a assumé des responsabilités au sein du Parti socialiste et dirigé la commission des Affaires étrangères du Sénat. En précurseur, il avait préparé la visite à Alger de François Mitterrand, alors Premier secrétaire du PS. Rencontre avec un politique attentif à toutes les évolutions de la relation franco-algérienne. Le Quotidien d'Oran: A 83 ans, vous sacrifiez à l'exercice de vos mémoires (1). Dès la couverture, vous dites au lecteur que vous en avez «tant vu». Quelle est la part de l'Algérie dans la moisson d'images et de souvenirs qui jalonnent votre parcours médiatico-politique ? Claude Estier: L'Algérie représente énormément. C'est une relation vieille de bientôt soixante ans. Ma première visite remonte en juin 1949. Journaliste accrédité à l'Elysée au titre du Progrès (premier quotidien de la région Rhône-Alpes), j'avais couvert la visite du président Vincent Auriol. Une visite surchargée de cérémonies fastidieuses : monuments aux morts, réceptions à répétition, visites d'écoles. Cette débauche protocolaire n'était pas dénuée de calcul. C'était une manière d'empêcher les journalistes de voir de très près la réalité algérienne. Les envoyés spéciaux ont été hébergés à Aïn Taya à l'abri de l'effervescence algérienne. A une trentaine de bornes d'Alger, la presse ne risquait pas de rencontrer des sources informées sur l'Algérie pré-insurrectionnelle. Depuis, je n'ai jamais cessé de repartir, durant la guerre d'Algérie et après juillet 1962. Ce pays est resté très présent dans mon c?ur. Q.O.: Un de vos voyages les plus significatifs est daté de 1975. Vous y étiez avec la casquette de dirigeant du Parti socialiste. Dans son «journal-mémoires» récemment publié chez Fayard, la journaliste Michelle Cotta vous attribue un rôle décisif dans le déplacement de François Mitterrand en 1976 à Alger. Elle estime que vous avez déblayé le terrain pour les retrouvailles de l'ancien ministre de l'Intérieur et Garde des Sceaux avec l'Algérie. C.E.: Nous avons été trois à travailler à l'organisation de ce voyage : Pierre Joxe, Lionel Jospin et moi. Journaliste à France observateur pendant la guerre puis à l'ancien Libération, j'avais multiplié les séjours, y compris pendant la période de déchirements de l'été 1962. Mes couvertures m'avaient permis de nouer des liens suivis dans le temps avec l'ensemble des acteurs algériens, dont Ben Bella et Boumediène. Avec ce dernier, les contacts avaient ont été nombreux entre 1965 et 1975. A l'évidence, elles avaient joué dans la concrétisation du déplacement de Mitterrand. Q.O.: Comment était perçu à l'époque le voyage d'un homme qui, à l'instar de Pierre Mendès-France (président du Conseil), avait réagi à l'insurrection du 1er Novembre par un cinglant «l'Algérie c'est la France» ? Comment, à deux décennies de distance, l'ancien Garde des Sceaux au temps des «pouvoirs spéciaux» avait-il été accueilli ? C.E.: Les retrouvailles de Mitterrand avec l'Algérie avaient eu lieu dans un contexte et un état d'esprit algériens très différents. En 1976, les relations diplomatiques entre Paris et Alger étaient dans une passe particulièrement difficile. Le voyage de Giscard en 1975 - le premier d'un chef d'Etat français depuis l'indépendance - avait beaucoup déçu. Il n'avait abouti à aucun résultat. Q.O.: Quel était le sentiment «algérien» du PS à ce moment-là ? C.E.: Dans le sillage du congrès d'Epinay (dit congrès d'»unification des socialistes), la mise en place d'une relation chaleureuse avec l'Algérie figurait en tête des priorités de la politique internationale du PS. Mitterrand voulait bâtir une relation positive et suivie avec Alger. Tel était d'ailleurs le sentiment dominant de son long entretien avec le président Boumediène. Elu à l'Elysée, il avait effectué l'un de ses tout premiers déplacements extérieurs à Alger (novembre 1981). J'étais du voyage en tant que membre de la direction du PS. Il y avait une volonté commune d'approfondir la relation franco-algérienne. Depuis, Mitterrand s'était rendu à maintes reprises durant la présidence de Chadli, tirant vers le haut la relation bilatérale. Q.O.: Quel regard portez-vous sur la relation bilatérale en 2008 à l'heure de publier vos mémoires ? C.E.: Les rapports entre Paris et Alger sont très en deçà de ce qu'ils devraient être. Ils n'ont pas évolué de manière positive. Du moins telle que je l'espérais personnellement. Q.O.: En 2003, la visite - qualifiée d'historique - de Jacques Chirac à Alger et Oran avait auguré une avancée irréversible de la relation bilatérale ? Vous y étiez du voyage avec la casquette de président du groupe d'amitié France-Algérie au Sénat. C.E.: La relation franco-algérienne surprend par certaines de ses facettes. A chaque grand événement de ce genre et de la ferveur qui l'entoure, on dessine des perspectives prometteuses. On mise sur une relance, des concrétisations tous azimuts. Et, au final, ça ne débouche sur rien. A preuve, après la visite d'Etat de Chirac, les relations sont toujours ambiguës. Je le regrette. C'est un grand point d'interrogation. Personnellement, j'ai du mal à comprendre... Q.O.: La relation est-elle à ce point illisible ? C.E.: La relation souffre des hésitations des politiques, de malentendus récurrents et pesants. Q.O.: A cause du poids du passé ? C.E.: Il va sans dire qu'il pèse énormément sur la relation entre nos deux pays. Les Algériens - j'en ai parlé avec le président Bouteflika - parlent de la nécessité de solder le passé. Ils l'ont réclamé au moment des négociations sur le traité d'amitié. Côté français, on n'avait pas la même idée de la gestion mémorielle du passé. Les choses sont restées en suspens. Personnellement, j'ai tant souhaité la ratification de ce traité et milité pour. Q.O.: La loi du 23 février 2005 est passée par là. Elle a mis en difficulté le projet avant que Nicolas Sarkozy ne le range dans le casier des projets mort-nés. Un de ses propos a fait date : l'amitié n'a pas besoin d'être gravée dans un traité, a-t-il dit à plusieurs reprises. C.E.: Personnellement, j'y vois des mots dénués de sens. Le problème du passé reste entier. Français et Algériens gagneraient à le solder une fois pour toute. Une relation bilatérale inscrite dans l'avenir en dépend. Dire que la page coloniale a été noire de bout en bout ne reflète pas toute la réalité. Mais soutenir que ça été un cours tranquille est choquant pour la mémoire. Des faits graves et atroces ont émaillé une séquence historique longue de 132 ans. Journaliste longtemps à pied d'oeuvre sur le terrain algérien, je l'avais constaté de visu. Cela m'avait conforté dans mes convictions de journaliste engagé contre la guerre d'Algérie et pour l'indépendance algérienne. Q.O.: Quelle solution pour l'hypothèque mémorielle ? C.E.: Par une reconnaissance de ce qui s'est passé. Plutôt, on le fait et mieux c'est pour la relation bilatérale. (l'ex-sénateur épouse la revendication des historiens français et algériens sur le «contentieux historique»). Q.O.: Depuis 1962, six chefs d'Etat se sont succédé à la tête de l'Elysée. Quel commentaire succinct vous inspire leur «politique algérienne» ? C.E.: Le général de Gaulle reste pour l'histoire comme l'homme à l'origine du processus qui a débouché sur Evian. Après, il ne s'est pas beaucoup occupé de la relation franco-algérienne. Giscard d'Estaing a eu un rôle totalement indifférent. Mitterrand a essayé d'oeuvrer en faveur d'une relation chaleureuse. Il est parvenu à des résultats positifs avec le président Chadli, mais sans aller plus loin. Chirac a fait ce grand voyage spectaculaire mais sans retombées vraiment positives. Sarkozy dit des choses et fait le contraire. Il va tellement vite qu'on a du mal à lire ses intentions. Personnellement, je ne pense pas que l'Algérie soit au premier rang de ses intentions. C'est mon sentiment. (1)Claude Estier : J'en ai tant vu. Mémoires. Editions Le Cherche midi. Paris.


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