Publié le 06.11.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Meriem Guemache
«Passons aux choses sérieuses !», cette phrase de transition est restée gravée dans la mémoire des anciens téléspectateurs de la Télévision algérienne. C’était dans les années 1970, au temps où Hachemi Souami présentait le journal télévisé en langue française.
Le journaliste a eu une longue carrière dans le monde des médias. Avant de s’afficher dans la petite lucarne pour nous communiquer les dernières «news», il avait navigué sur les flots des mers et des océans en tant que marin. Oui, oui ! Hachemi Souami a travaillé dans la marine marchande, avant d’embrasser le métier de journaliste.
À 82 ans, il partage avec ses lecteurs son parcours de vie professionnelle. Véritable globe-trotteur, le journaliste-reporter a sillonné les quatre coins du monde et a couvert les plus grands événements qui agitaient le monde dans les années 1970. Hachemi Souami a ainsi pu interviewer de grandes figures historiques.
Son ouvrage Clap de fin : Une aventure journalistique, il le dédie à la mémoire de ses quinze collègues et amis journalistes, morts dans un accident d’avion le 8 mars 1974 alors qu’ils effectuaient un reportage au Viêtnam.
Lors de ses nombreux voyages, Hachemi Souami a rencontré d’illustres personnalités politiques à l’instar du général Giap, héros de l’indépendance vietnamienne. «Sachant qu’une équipe de la Télévision algérienne se trouve à Hanoï pour un reportage au Viêtnam, le général Giap tient à venir nous saluer. Je l’avais personnellement rencontré à plusieurs reprises à Hanoï et à Alger, au cours de deux de ses voyages. ‘’L’impérialisme est un mauvais élève’’, a-t-il dit un jour. Le lui rappelant quelques années plus tard, il ajoute : ‘’Il n’a pas fait de progrès’’.»
Le 7 janvier 1979, Hachemi Souami est en reportage à proximité de la frontière cambodgienne au moment de la débâcle des Khmers rouges. Il raconte ce «voyage au bout de l’enfer». Avec d’autres journalistes, il s’est rendu à Seam Reap, non loin des temples d’Angkor où un épouvantable spectacle attendait la presse : un charnier où gisaient des milliers de squelettes : «Sur chaque crâne, une fracture, souvent importante, occasionnée par des objets divers : bambou, pioche, jonc. Les têtes sont parfois toutes petites : ce sont celles d’enfants massacrés comme leurs parents. Des cheveux pendent encore aux surfaces blanches et lisses. J’ai personnellement ramassé le squelette d’une tête de bébé. Pourquoi ce geste ? Je crois avoir ressenti le besoin de témoigner.»
Hachemi Souami convoque sa mémoire. Il se souvient de sa rencontre avec Marguerite Taous Amrouche en 1969, lors du Festival panafricain d’Alger : «Reconnue partout. Sauf dans son pays où elle a été profondément vexée - et nous avec - par les autorités algériennes de l’époque, qui lui ont interdit de participer au Festival panafricain organisé en grande pompe à Alger, au motif inimaginable qu’elle ne devait pas chanter en kabyle (...) Marguerite Taous Amrouche a d’ailleurs été invitée au Festival des arts nègres de Dakar en 1970. Joli pied-de-nez aux indus censeurs algériens.»
La passion malgré la censure
En 1968, le journaliste et son équipe sont en reportage dans les bidonvilles de Nanterre pour un sujet sur l’émigration algérienne : «C’est la première fois depuis l’indépendance que notre diaspora fait l’objet d’une attention quelconque. Oublié l’argent recueilli auprès d’elle pour financer la guerre d’indépendance, oublié les Algériens jetés dans la Seine (...). Le mot bidonville prend ici tout son sens car les abris sont faits de bidons, de planches et autres matériaux hétéroclites. On marche dans la boue jusqu’aux genoux...»
Le 31 octobre 1984, le président Bourguiba est en visite officielle en Algérie. Hachemi Souami est alors directeur de la Chaîne 3 de la Radio algérienne. Le discours du président tunisien est transmis en direct sur les ondes. Le patron de la station se dit que ses jours à la tête de cette radio sont comptés. «Il évoque avec émotion des nationalistes algériens disparus. Il commence par Ferhat Abbas. Des noms sont encore tabous en Algérie. Je suis obligé de penser qu’il n’a pas toute sa tête et qu’il peut à tout moment sortir du cadre admissible en Algérie. Après tout, c’est un chef d’État, invité officiel, et ce n’est pas à moi de le censurer (...) Il se met ensuite à évoquer Krim Belkacem. ‘’On l’appelait le petit Bourguiba parce qu’il m’aimait beaucoup’’, précise-t-il avant d’ajouter : ‘’Mais Boumediene a eu la mauvaise idée d’avoir voulu l’assassiner. Il lui a envoyé quelqu’un à Frankfort, qui l’a étouffé dans sa chambre (...)». Souami poursuit : «Habituellement, au moindre problème à l’antenne, les quatre téléphones de mon bureau sonnent presque simultanément. Ça appelle de partout : ministère, présidence, parti FLN, services de sécurité... Là, rien ni personne. C’est angoissant. Mon bureau, certes grand, me paraît à ce moment-là immense. Tant il est vrai que je peux m’attendre à n’importe quoi. J’avoue avoir téléphoné à quelques intimes pour les informer, au cas où... »
Dans l’un des chapitres de ce livre, Hachemi Souami rend hommage à ses anciens collègues de la télévision à l’instar de Kamel Bendisari, Ahmed Wahid, Mahmoud Maïdat, Benyoucef Ouadia.... «Je n’oublie pas, non plus, Dalila Brahimi qu’un accident de la circulation a mise en marge de la profession. Elle est la première Algérienne à avoir présenté le journal télévisé, bien avant que les stations européennes n’ouvrent leurs antennes aux femmes. Elle aussi m’a précédé dans la présentation de l’édition en langue française. C’était en 1963. Qui se souvient d’elle, sinon ses amis ?»
Dans Clap de fin, vous lirez aussi dans quelles circonstances le journal télévisé en langue française a été supprimé et comment Hachemi Souami s’est retrouvé sur une voie de garage. Il raconte : «En fait, c’est la volonté d’un seul responsable, d’un niveau subalterne de surcroît. Mais il ne fait aucun doute que cet homme n’a fait que concrétiser les injonctions des groupes de pression, soucieux d’avoir la mainmise sur un média important dans un pays à la tradition orale avérée.»
Hachemi Souami est né en 1941. Ancien de la marine marchande à bord de navires d’une compagnie maritime française, il change son fusil d’épaule en embrassant la carrière de journaliste. À son actif, trente-cinq ans de métier dont un quart de siècle en tant que présentateur de l’édition française du journal télévisé. Il a également été grand reporter en Algérie ainsi qu’à travers le monde avant d’occuper le poste de directeur de deux chaînes de la Radio nationale : la Chaîne 3 (en langue française) et la Chaîne 2 (en langue berbère).
La dernière partie de la carrière de Hachemi Souami lui a fait endosser le costume de député de l’émigration algérienne à Paris. Cet ouvrage paru chez les Éditions Casbah est un témoignage captivant chargé de précieuses références historiques.
Meriem Guemache
Clap de fin : Une aventure journalistique. Hachemi Souami. Éditions Casbah, 2023. 154 p. 900 DA.
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Posté Le : 06/11/2023
Posté par : rachids